Entrevues

Laïcité : non au voile

C’est un symbole trop grave, dit Wassyla Tamzali.

Wassyla Tamzali Crédit photo: Hejer Charf

Wassyla Tamzali
Crédit photo: Hejer Charf

Une femme peut-elle porter le voile et être libre – vraiment libre? L’auteure et avocate algérienne Wassyla Tamzali n’y croit pas une seconde. Pas plus au Québec qu’ailleurs.

Elle a même déjà qualifié cette pratique de « sadomasochiste ».

Cette tête forte se bat depuis toujours pour les droits des femmes. « Quand on est née Algérienne, on ne peut y échapper! » Un combat qu’elle a mené entre autres à titre de directrice à l’UNESCO.

Le débat sur la laïcité au Québec la passionne – et l’inquiète. Châtelaine l’a rencontrée lors de son passage à Montréal, en novembre.

Le projet de loi sur la laïcité au Québec a fait réagir beaucoup de musulmanes. Elles défendent haut et fort leur droit de porter le voile dans la fonction publique. Je pense à l’étudiante en sociologie Dalila Awada, par exemple. Elle dit qu’ici, le voile n’a pas le même sens que dans les pays où on l’impose. Ce serait plus un symbole culturel et spirituel. Que pensez-vous de ce discours?

On ne me fera jamais dire que le voile est innocent. Jamais. C’est bien plus qu’un signe religieux, comme l’est une croix, par exemple : c’est LE signe de l’oppression des femmes. C’est grave de le banaliser.

J’ai du mal à comprendre les Québécoises qui appuient les revendications des femmes voilées. Elles ne penseraient jamais que le hijab est sans conséquence pour elles-mêmes ou pour leurs filles. Pourquoi est-ce plus acceptable pour une musulmane? Pendant vos élections municipales, j’ai trouvé grotesque qu’Anie Samson, mairesse de l’arrondissement Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, se mette un foulard sur la tête pour faire un discours dans une mosquée, à Montréal. C’est ce qui pouvait arriver de pire. On ne se rend pas compte des méfaits de cette démarche.

Si vous pilotiez le projet sur la laïcité, que feriez-vous?

J’irais plus loin en interdisant le voile dans les écoles à tous les niveaux, pour les profs comme pour les élèves. Et je ne dis pas ça parce que j’ai peur de l’islam! J’ai grandi dans une famille musulmane, au sein d’une des premières générations de femmes dévoilées, en Algérie. On tend à nier cette partie de l’Histoire, mais dans presque tous les pays arabes, des années 20 à 60, des femmes ont dit non au foulard. Elles sont sorties, elles sont allées à l’université. Comme quoi on peut très bien être Arabe et musulmane et ne pas se couvrir. La religion ne prescrit rien à ce sujet. « Le voile n’est pas musulman, il est patriarcal », a écrit Mohamed Talbi, grand spécialiste de l’islam. C’est un outil politique pour dominer les femmes. Dans certains pays, ça commence très tôt, avec des petites filles de 4 ans déjà couvertes de la tête aux pieds.

Mais, au Québec, le climat politique est différent, c’est une des nations les plus égalitaires au monde. Les musulmanes voilées sont souvent scolarisées, articulées. Et pas soumises pour deux sous, jurent-elles. Plusieurs se disent féministes.

Si elles sont féministes, alors je ne le suis pas. Porter le voile ne peut être revendiqué comme un acte de liberté. Même si, en Occident, des femmes voilées étudient, gagnent bien leur vie, vont au cinéma, ont un mari qui fait la vaisselle. Même si ça résulte d’un choix personnel. On peut très bien s’aliéner soi-même! Je trouve qu’elles renforcent une vision de la place de la femme dans la société issue du vieux modèle patriarcal. Elles tiennent pour acquis le discours sur la femme dans certaines interprétations de la religion. C’est ça qu’il faut déconstruire!

Pendant ce temps, le port du foulard se répand dans le Maghreb et partout ailleurs. Aujourd’hui même, dans certaines banlieues de Paris, les filles ne peuvent plus sortir sans leur hijab. Leurs frères les surveillent. C’était inimaginable il y a 15 ans.

Comment expliquez-vous ce phénomène?

Je pense que certaines femmes d’origine maghrébine issues de l’immigration se voilent pour manifester leur ressentiment vis-à-vis de l’Occident, notamment à cause de la colonisation du Maghreb par les Français [dès la fin du 19e siècle]. Elles veulent montrer leur résistance à l’assimilation, aux codes culturels d’une autre civilisation.

Leur attitude défensive vient aussi des difficultés d’intégration dans les sociétés d’accueil. En France, les immigrants de deuxième, troisième générations continuent de se faire appeler des « immigrés ». Les politiciens leur ont construit des mosquées pour leur faire plaisir, mais tardent à forcer les entreprises à les embaucher. À la télé, par exemple, il y en a plein qui travaillent à l’arrière-scène, mais pas un qui présente une émission! Au Québec, vous allez devoir être vigilants par rapport à ça. Il y a déjà une certaine xénophobie à l’endroit des musulmans à la suite des attentats de 2001, de la guerre en Irak, etc.

Pensez-vous que la volonté des filles de se couvrir ici peut aussi être une réaction à l’hypersexualisation?

Oui, sans doute. Beaucoup ont un choc face à la modernité. Je suis justement en train d’écrire un roman à ce sujet. Un des personnages est une immigrée algérienne qui, dans son pays d’origine, avait porté la minijupe et allait cheveux au vent. Or, après son arrivée en Italie, elle remet le voile. Parce qu’elle a peur. Elle a peur pour ses enfants. Elle ouvre la télé, et qu’est-ce qu’elle voit? Des gens nus, deux hommes mariés ensemble, deux femmes qui s’embrassent à pleine bouche.

Vous n’avez pas idée comme c’est effrayant, ce monde où tout est désacralisé, alors que pour elles, tout est sacré. Notamment les différences sexuelles. Je dirais même que l’infériorisation des femmes est sacrée!

Mais je crois que ce qui leur fait peur, surtout, c’est la liberté. Parce que pour la femme, cela signifie qu’il lui faut prendre en main son destin, seule, sans protecteur. Elle doit travailler, être en concurrence avec les mecs. C’est dur, la liberté. Il faut aller à contre-courant de sa famille et de son milieu, affronter la solitude… Je suis bien placée pour le savoir, et beaucoup de féministes avec moi le savent aussi. Ça explique peut-être pourquoi je ne me suis jamais mariée. Ceci dit, je n’échangerais ma vie pour rien au monde.

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