Société

Femmes inuites assassinées: la souffrance de celles qui restent

2 000 km. C’est la distance qui séparait Sarah Birmingham de sa fille Mary Ann lorsque celle-ci a été assassinée, à l’âge de 15 ans. Plus de 30 ans plus tard, elle peine encore à se pardonner.

Alice Nowyakallak. Photo: Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées

C’est pour accompagner son fils adoptif alors âgé de trois ans à l’hôpital, à Montréal, que Sarah avait dû quitter Iqaluit, au Nunavut, en 1986. Il devait y recevoir des traitements de chimiothérapie pour lutter contre la leucémie infantile et elle avait dû partir en vitesse, le jour même, laissant ses deux filles de 15 et 16 ans à la maison.

Aux audiences publiques de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Sarah parle pour la toute première fois de ce qu’elle a ressenti.

«J’ai rendu mon fils responsable de ce meurtre. Je me disais que, s’il n’avait pas été là, rien de tout cela ne serait arrivé», souffle-t-elle en éclatant en sanglots.

C’est son autre fille, Barbara Sevigny, qui a trouvé le corps de sa petite sœur. Elle revenait tout juste de la métropole, où elle s’était rendue pour appuyer sa mère.

«Dans l’avion qui me ramenait, j’étais triste, mais j’avais tellement hâte de raconter à ma sœur tout ce que j’avais vu dans le Sud, raconte Barbara. J’ai eu le sentiment que quelque chose n’allait pas quand j’ai constaté que la porte était verrouillée. J’ai réussi à entrer par l’une des fenêtres, puis je l’ai vue en arrivant dans le salon. Elle était étendue sur le divan, entourée de sang.»

Elle a couru chez une voisine pour appeler les secours, qui l’ont emmenée à l’hôpital, en état de choc.

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Dans les mois qui ont suivi, Barbara était seule, persuadée qu’elle serait la prochaine. Sa mère, revenue pour les funérailles de Mary Ann, avait dû repartir tout de suite à Montréal pour son frère.

«Ç’a été très difficile. J’étais en pleine adolescence et je n’avais aucun adulte pour me guider. Je me suis mise à fréquenter des endroits où les gens buvaient, consommaient de la drogue. Je ne pouvais pas rester seule dans cette maison où ma sœur était morte. Je n’y arrivais pas», confie celle qui est maintenant conseillère en traumatologie et en deuil.

Heureusement, elle a rencontré celui qui allait devenir son mari quelques mois plus tard. Lentement, elle a guéri. Pour elle, il est évident que les communautés inuites auraient besoin d’un accès plus facile à des services psychologiques dans leur langue et adaptés à leur culture.

Le mystère qui règne toujours autour de l’assassinat de Mary Ann rend le deuil encore plus difficile. «Je n’ai jamais rêvé d’elle. Si je l’avais fait, j’aurais pu lui demander ce qui s’est passé et connaître la vérité, déplore sa mère Sarah. C’est notre devoir de trouver ce qui est arrivé.»

La famille a toujours espoir que l’enquête sera résolue. Le dossier n’a jamais été fermé et la photo de Mary Ann est encore affichée au poste d’Iqaluit.

En quête de vérité

À peu près le même constat du côté d’une autre famille. Quand Alacie Nowyakallak a disparu à Montréal, en 1994, tous ses proches étaient à Inukjuak, au Nunavik, dans le nord du Québec. Sans nouvelles de l’enquête et sans moyen de se rendre eux-mêmes dans la métropole afin d’essayer de la trouver, ils ont demandé à un ami de la famille, Oliver, de la chercher pour eux. Celui-ci a fait le tour de tous les endroits qu’elle fréquentait, en vain. Le corps de la jeune femme de 34 ans a été retrouvé un mois plus tard dans le fleuve, repêché par un navigateur. Il y était depuis si longtemps que son conjoint de l’époque a dû se fier à ses bijoux pour l’identifier.

«On allait au poste de police du village pour savoir si l’enquête avançait, s’ils avaient des informations, mais on nous répondait toujours que Montréal n’avait pas appelé. On n’a jamais su le nom des enquêteurs au dossier, jamais pu les contacter», raconte la sœur d’Alacie, Sarah, lors des audiences.

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Les membres de la famille n’ont eu accès au rapport du coroner que la veille de leur témoignage pour l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Et les informations qu’il contenait n’ont fait que semer la confusion chez eux.

«On m’avait dit qu’elle avait souffert, que ses pieds et ses poings étaient liés quand ils l’ont repêchée, mais le rapport semble contredire cette version. Il ne mentionne pas les liens et dit qu’elle serait morte sur le coup», indique Sarah.

Pour la famille, il est évident qu’il s’agit d’un meurtre. Alacie n’était ni une nageuse ni une pêcheuse. Pour quelle autre raison se serait-elle retrouvée dans le fleuve? Cette jeune femme douce et joviale n’avait pas non plus d’idées suicidaires, ils en sont convaincus.

Mais tant de détails restent à éclaircir. Qui l’a trouvée? Où, dans le fleuve Saint-Laurent? Les policiers ont-ils même mené une enquête? Ils en doutent.

«Chez nous, quand quelqu’un disparaît, toute la communauté se rassemble et le cherche. Je tenais pour acquis que c’était la même chose ici, à Montréal», ajoute Sarah.

Sa cousine veut elle aussi savoir ce qui a été fait pour identifier le meurtrier d’Alacie. «Lorsqu’un crime n’est pas élucidé, il est toujours dans notre tête, impossible à oublier. Nous avons besoin de réponses. Nous avons besoin de paix.»

 

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