Société

Inondations à Rigaud: «Je dois repartir de zéro»

Mélanie Laberge a tout perdu lors des inondations catastrophiques à Rigaud. Sa maison, ses meubles, une partie de ses souvenirs. Même si les eaux se sont retirées, pour les sinistrées comme elle, la véritable épreuve commence. Encore sous le choc, elle a accepté de nous montrer les décombres de son nid. Témoignage.

Photo: Presse Canadienne

Photo: Presse Canadienne

Pour se rendre chez Mélanie Laberge, il faut stationner sa voiture au début du chemin de la Pointe-à-la-Raquette, enfiler des salopettes de pêcheurs – des «bottes à corps», comme elle les appelle –, puis marcher un kilomètre dans l’eau, parmi les brochets qui fuient en entendant les splish splash de nos pas. Singulier trajet dont Mélanie a l’habitude: chaque mois de mars, ou presque, la rivière des Outaouais submerge la rue menant à son bungalow, construit au bout d’un boisé marécageux. «Quand ça commence, je déménage mon auto plus haut pendant une semaine ou deux, le temps que l’eau baisse, raconte cette aide ménagère de 38 ans. Sauf qu’elle ne montait pas jusqu’à mon terrain avant… En 13 ans ici, je n’ai jamais vu ça. Et l’ancien propriétaire non plus.»

Elle m’avait prévenue de ne pas «capoter» en voyant ce qu’il reste de son nid, après les inondations dont on parlera encore à Rigaud dans un siècle. Manière de dire: «Merci de laisser votre émoi à la porte, j’en ai assez à gérer.» En ce samedi après-midi de mai gorgé de soleil, elle est venue faire une corvée de nettoyage en compagnie de sa belle-sœur et amie Annie Tranchemontagne, elle-même sinistrée.

Quand Mélanie a quitté sa demeure à la hâte le 30 avril, après avoir coupé le courant et hissé sa télé sur le comptoir de la cuisine, elle anticipait les dégâts. Les vagues léchaient déjà la galerie arrière – ça n’augurait rien de bon. Mais le pire du pire est arrivé: à quelques cossins près, elle a tout perdu. C’est que la crue spectaculaire a transformé sa chaumière en aquarium pendant des jours. Aujourd’hui, les fondations tiennent par la peur et ses biens trempent dans la vase. En plus, comme des couvercles de fosses septiques ont levé pendant le déluge, ses affaires ont possiblement nagé parmi les coliformes et autres germes infectieux… «Mieux vaut tout jeter», raisonne Annie. Même si, parfois, ça brise le cœur. Au moins, les minous Sweet et Meggie ont pu être rescapés en chaloupe.

«Ma maison est morte, c’est le sentiment qui m’habite en rentrant», dit Mélanie. Elle jette un coup d’œil au solage érodé et au plancher pourri, l’air impassible. «Je suis comme gelée. Je n’ai même pas pleuré une fois depuis le début.» Elle fait des rêves épeurants, par contre. Dans l’un d’eux, sa maison s’effondre sur elle comme un château de cartes. Elle a du mal à manger aussi. «J’ai perdu 20 livres en trois semaines. Je pense à tout ce que j’ai à faire et mon estomac se noue.»

Mélanie Laberge, à gauche sur la photo, en compagnie de la journaliste de Châtelaine. Pour se rendre à la maison de Mélanie, au bout du Chemin de la Pointe-à-la-Raquette, il faut porter des salopettes de pêcheurs parce que la route est submergée. Photo: Stéphane Brazeau

Photo: Stéphane Brazeau
Mélanie Laberge, à gauche sur la photo, en compagnie de la journaliste de Châtelaine.

Rien que l’évaluation des dommages pour être indemnisé par le gouvernement est un job à temps plein. Lister tous les biens perdus, prendre des photos, faire des suivis auprès de l’agent du ministère de la Sécurité publique… Le cas de Mélanie est particulièrement complexe: elle pourrait être expropriée, à cause de la possibilité qu’une situation pareille se reproduise. Adieu donc, chemin de la Pointe-à-la-Raquette. «J’attends qu’ils prennent leur décision. C’est ça, le plus dur: ne pas savoir.» Son frère, qui habite dans le village d’à côté, l’héberge jusqu’à ce qu’elle connaisse son sort. Des amis lui ont acheté des vêtements – le peu qu’elle avait pu sauver des eaux est désormais trop grand.

Son coquet bungalow, elle l’a acheté à 25 ans. Toute seule. «Je n’ai jamais été ben ben chanceuse avec les gars.» Du haut de ses cinq pieds, cette fille d’entrepreneur en construction se débrouille pour fendre son bois, entretenir sa cabane, la rafistoler. «M’asseoir pour regarder La Voix, ce n’est pas mon genre. Je travaille tout le temps. Mes proches m’appellent Mini-Rambo!» Elle a investi toutes ses billes pour transformer ce qui était un vieux chalet en vinyle blanc en havre douillet au bord de la rivière Raquette. Ses amis aiment venir prendre une bière autour du poêle à bois l’hiver, après la pêche sur la glace. «Ici, c’est ma sécurité. Une journée comme aujourd’hui, si tout ça n’était pas arrivé, j’aurais pris mon café à la table bistro dehors, pis j’aurais écouté les oiseaux.»

Mélanie ne vit pas dans le déni, elle savait qu’une inondation pouvait survenir. Dans le cas de sa maison, le risque est évalué à une fois tous les 20 ans. «Mais au point d’avoir deux pieds d’eau par-dessus le plancher? Jamais.» Malgré tout, elle n’hésiterait pas à rebâtir ici avec l’argent de l’État versé aux sinistrés – si la municipalité le lui permet. «En remontant les fondations de quatre pieds au moins!»

Et si à l’avenir, elle était taxée davantage, pour parer à d’autres désastres? «Bonne question. J’en paye déjà beaucoup contre peu de services. Mais j’accepterais probablement. J’adore vivre près de l’eau. Je ne m’imagine pas dans une tour à condos.»

La maison de Mélanie Laberge est une perte totale. Photo: Stéphane Brazeau

Photo: Stéphane Brazeau
La maison de Mélanie Laberge est une perte totale.

Annie, sa belle-sœur, est moins chaude à l’idée de casquer plus. Elle habite à sept kilomètres de chez Mélanie, à Rigaud-sur-le-Lac. Un secteur très éprouvé par les débordements exceptionnels du printemps. «Les maisons étaient comme des îles, c’était spécial», raconte-t-elle à l’occasion d’une visite de son logis, histoire de voir – et de sentir – l’ampleur de la dévastation. Une odeur de poisson mort flotte dans le quartier. «Et encore, t’es chanceuse, il vente aujourd’hui!» Maisons en lambeaux, boîtes postales sur le dos, montagnes de débris encombrant les terrains – la fin du monde est passée par ici.

À son avis, ce sont les changements climatiques, donc l’activité humaine dans son ensemble, qui sont responsables des inondations. Pourquoi les riverains dépocheraient-ils plus, alors qu’ils constituent une infime partie des pollueurs? «Sans compter que bon nombre font l’effort de préserver les berges dans leur état naturel, avec joncs, quenouilles, fleurs aquatiques… Ça aide à atténuer les crues et à dépolluer. Je préférerais qu’on taxe plutôt les industries. Quoique, en fin de compte, c’est toujours le particulier qui finit par payer la note!»

Sa petite maison en triangle tient toujours debout. Le plancher du rez-de-chaussée a dû être arraché, mais selon son chum, Luc Laberge, les dommages ne s’élèvent qu’à 5000$. «On a été chanceux.» Ils doivent leur bonne fortune au premier occupant de la maison, qui avait fait surélever la fondation – un geste peu commun à l’époque. «C’est un hasard, le type s’était sûrement fait avoir par un entrepreneur qui cherchait à faire de l’argent sur son dos, dit Annie, propriétaire depuis 1997. Mais finalement, c’était la chose à faire.»

Annie Tranchemontagne a eu plus de chances que Mélanie: les dommages sur sa maison ne s'élève qu'à 5000 dollars environ. Son père s'affaire à remplacer le plancher du rez-de-chaussée, qui a été inondé.

Photo: Stéphane Brazeau
Annie Tranchemontagne a eu plus de chance que Mélanie Laberge: les dommages sur sa maison sont limités. Le père d’Annie s’affaire à remplacer le plancher du rez-de-chaussée, qui a été inondé.

Cette animatrice culturelle à la Maison des jeunes L’alternative de Rigaud est persuadée que le Québec peut se doter d’un code du bâtiment capable de pallier les inondations, à l’instar des pays qui construisent en fonction des séismes ou des ouragans. D’ailleurs, des concitoyens s’en sont fort bien sortis malgré un niveau d’eau record. «Certains avaient des champs septiques surélevés, par exemple. Ou plusieurs pompes d’assèchement, comme Daniel, le voisin d’en face. On le surnommait “l’irréductible”. Pourquoi les avoir forcés à partir?»

Sujet sensible. Le 7 mai dernier, le maire de Rigaud, Hans Gruenwald, a demandé aux résidents de son secteur d’évacuer, arguant qu’il était devenu trop dangereux d’y circuler. Sans quoi, ils étaient passibles d’amendes allant de 1000$ à 5000$. «On n’avait même pas le droit de retourner chez nous pour surveiller nos pompes», s’indigne Annie, qui a enfreint la consigne trois fois, tandis que d’autres ont carrément refusé de quitter leur fort. Des policiers avaient pour mission de prendre en note le nom des citoyens rebelles. «S’ils m’envoient une contravention, tu peux être certaine que je la conteste.» Le conseil municipal n’a pas encore décidé si les pénalités financières allaient être appliquées.

En attendant l’heure des bilans, Annie s’affaire à recoller les morceaux chez elle. Sa casa ne sera pas habitable avant plusieurs semaines. Elle pige dans sa banque de vacances pour se consacrer au nettoyage à temps plein. Philosophe, elle considère néanmoins qu’à quelque chose malheur est bon: de belles amitiés sont nées au cœur de la crise. «Avant, on saluait nos voisins poliment, sans plus. Maintenant, on est soudés. L’entraide mutuelle était extraordinaire, et elle se poursuit.» Même Tigris, le chat en «garde partagée» du quartier, est plus affectueux depuis. «On se promet un méchant 5 à 7 quand tout ça sera derrière nous. Au sec!»

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