L'édito

Le jour où je suis devenue féministe

Les femmes ne gagnent toujours que 80 % du salaire des hommes – et c’est pire encore pour celles issues des communautés ethniques, écrit notre rédactrice en chef, Johanne Lauzon.

Un cours de publicité à l’université. En équipe, on devait préparer le lancement d’une bière européenne sur le marché québécois. Un étudiant a alors présenté le travail de son groupe : bouteille à la main, des filles en microbikini faisaient le party sur une plage. Tous les clichés des pubs de bière ramassés en quelques images. Le prof a demandé nos commentaires. J’ai exprimé mon malaise face aux stéréotypes véhiculés. Le gars, déchaîné, m’a lancé : « Ban ! Encore une mal baisée qui comprend rien ! »

Ce jour-là, je suis devenue féministe. Depuis, combien de fois a-t-on cherché à me clouer le bec – les anglos appellent ça manterruption –, à me faire comprendre que ma parole n’avait pas de valeur ? Trop souvent. Et vous ?

Photo: iStock

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C’est par la force des choses qu’on s’engage en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Parce qu’un jour, l’autre devant soi nous voit comme le « sexe faible ». Il cherche à nous tripoter dans un coin, nous paie moins que notre confrère ou nous prend carrément pour une idiote.

Parfois, c’est encore plus insidieux. On se fait « tasser » par des ambitieux condescendants, des voleurs d’idées, des machos séducteurs. Le sexisme ordinaire, voici comment la journaliste américaine Jessica Bennett le définit dans son bouquin Feminist Fight Club – An Office Survival Manual :  « Ce genre de sexisme qui vous fait vous demander : “Est-ce que je suis folle ou quoi ?” (Non, tu ne l’es pas.) »

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Dans ce guide de la survie au bureau, Jessica Bennett, 35 ans, définit les personnalités types qui se mettent en travers du chemin des femmes par autant d’étiquettes rigolotes difficiles à traduire (le stenographucker, qui pense qu’on est à son service, le menstruhater, le bropropriator…). Non sans humour – ni sans sérieux d’ailleurs, comme en témoignent les 16 pages de références bibliographiques de son ouvrage –, elle nous invite à riposter. Un collègue coupe sans cesse la parole aux filles ? On continue à parler, au diable la politesse. Ou encore, on lui demande gen-ti-ment de laisser terminer son interlocutrice. Les études démontrent que, dans les réunions, les hommes parlent plus que les femmes, et que celles-ci se font interrompre deux fois plus, rapporte la collaboratrice au New York Times, qui a fondé son propre cercle de combat féministe il y a 10 ans.

La féministe et professeure à l’UQÀM Martine Delvaux raconte, dans le livre Les superbes, un passage à la télé, où elle avait été invitée pour analyser la place des hommes dans le mouvement féministe. Tout au long de l’émission, elle s’était fait interrompre par les deux invités masculins à ses côtés. « Depuis, j’interromps ceux qui me coupent. Je me fais affirmative et je touche mes interlocuteurs au besoin, comme pour dire : “Excusez-moi, je voudrais parler.” On a peu d’occasions de s’exprimer. Il faut se tenir prête, rebondir, préparer ses interventions et livrer un message clair », explique-t-elle.

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Oser la prise de parole, occuper la place qui nous revient sans demander la permission et éviter les pièges (nombreux) qui se présentent sur le marché du travail. « Depuis des centaines d’années, c’est culturellement enraciné en nous : les hommes mènent et les femmes nourrissent, écrit Bennett. Donc, quand une femme affiche des traits “mâles” – l’ambi- tion, l’affirmation, parfois même l’agressivité –, on la perçoit comme trop masculine, pas assez distinguée ; par consé- quent, nous l’aimons moins. »

Et ces préjugés, nous les avons nous-mêmes – soyons-en conscientes pour mieux les enrayer. L’entraide est primor- diale si l’on veut s’en sortir. Triomphons en équipe, les filles. C’est la règle no 3 du Feminist Fight Club : le combat vise le patriarcat, pas de guéguerre entre nous.

Juste un rappel comme ça : on ne gagne toujours que 80 % du salaire des hommes – et c’est pire encore pour celles issues des communautés ethniques. Si l’on ne fait rien, il faudra attendre encore 170 ans avant que les écarts de rémunération entre hommes et femmes soient comblés, selon le Forum économique mondial.

Pas un gars ne patienterait jusque-là.

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