Léa & Louise

Léa rencontre Laure Waridel

Entretien avec l’inspirante éco-sociologue et co-fondatrice d’Équiterre.

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Laure Waridel est une femme exceptionnelle pour ses convictions, sa foi en l’humanité, sa capacité de croire en un projet commun, son amour des humains. J’affectionne tout particulièrement cette femme à la personnalité forte, parce qu’elle me donne confiance en l’avenir, la pérennité, la transmission. Ce n’est pas rien. Sa capacité à donner le goût d’espérer est un don rare.

Laure Waridel (Photo : Isabelle Clément)

Laure Waridel (Photo : Isabelle Clément)

Qui est votre modèle?
J’en ai plusieurs! Si je m’en tiens à mes modèles féminins, je dirais… Pour leur activisme environnemental et social : Vandana Shiva, Maude Barlow et Naomie Klein. Pour son engagement académique bien ancré dans le réel de l’économie sociale, Margie Mendell économiste et professeur à l’Université Concordia. Pour sa plume et son authenticité lumineuse, Josée Blanchette. Pour leur sens de l’organisation, leur gros bon sens et tout ce qu’elles sont : ma mère et mes trois sœurs. Pour leur résilience, ma fille Alphée, atteinte d’une maladie génétique rare et mon amie Christine dont le mari a la maladie d’Alzheimer.

Ce qui vous inspire?
Les gestes de courage et de bienveillance. La beauté du monde. Le fleuve, les rivières, les lacs, les forêts, les montagnes et toute la vie qui y foisonne. Les arts et la culture qui nous transportent hors de nous. La musique qu’elle soit classique ou fringante. Des livres comme The empathic civilisation de Jeremy Rifkin et Plaidoyer pour l’altruisme de Matthieu Ricard. De même que Demain il sera trop tard, mon fils de Lucie Pagé, une autre femme formidable.

Ce qui vous révolte?
L’égoïsme et l’égocentrisme, véritable carburant de la société de surconsommation, du tout à l’argent et de l’aveuglement, même amoureux.

Ce qui vous donne espoir?
Les quatre citoyennes qui ont bloqué l’accès à la raffinerie de Suncor le 8 octobre dernier afin de s’opposer à l’expansion des sables bitumineux que permettront les pipelines. Tous ceux et celles qui s’impliquent dans des comités de citoyens, des organisations sans but lucratif et des coopératives. Ceux et celles qui dans leur milieu de travail, au sein de petites comme de grandes entreprises, poussent pour que de meilleures pratiques soient mises en place. Bref, toutes ces personnes qui partout à travers le Québec, et la planète, se mobilisent par mots et par gestes d’une multitude de façons pour une suite du monde plus équitable et plus écologique.

Qu’est-ce que vous avez envie de léguer aux filles des nouvelles générations?
L’envie de prendre part à des solutions. Le goût de l’engagement. Je souhaite qu’elles réalisent à quel point elles ont beaucoup plus de pouvoir qu’elles seraient portées à croire, surtout lorsqu’elles travaillent ensemble. Que de passer de la parole aux actes, de poser des gestes qui sont en cohérence avec le monde qu’elles souhaitent, contribuent au bonheur : le leur comme celui des autres. Il n’y a pas d’idéal trop grand, ni de geste trop petit. Tous s’inscrit dans un mouvement. « L’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain » écrivait fort justement Victor Hugo. L’histoire humaine lui donne raison : pour le meilleur comme pour le pire!

Quel est votre plus grand rêve?
Un monde écologique et solidaire évidemment! Mais aussi un monde de paix. Un monde où chaque être humain pourra développer son plein potentiel et être heureux quelles que soient les conditions sociales et économiques dans lesquelles il naît.

Quels sont les principaux défis qui attendent les femmes?
L’égalité des sexes. Nous en sommes encore loin à l’échelle de la planète. Naître femme demeure désavantageux dans une majorité de pays du monde. Beaucoup de travail reste encore à faire. Même au Québec, surtout à partir du moment où l’on devient maman. Tellement!

Qu’est-ce que vous a appris votre mère?
La générosité et la bienveillance. Le don de soi imprégné d’une immense humilité. La beauté des petits gestes : du jardin à la cuisine en passant par les raccommodages de cœurs autant que de genoux usés. Elle m’a appris à observer et à écouter. Mais surtout, elle m’a appris à aimer.

Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager?
Mon amour pour les gens, pour la nature, pour la beauté du monde. Un besoin immense de transformer ma colère et ma tristesse à l’égard de l’état de la planète en quelque chose de positif. Je n’ai jamais rencontré personne qui se levait le matin avec l’envie consciente de polluer ou de contribuer à l’asservissement d’autres humains. Pourtant, sans le vouloir, nous participons tous à un système qui carbure à l’exploitation environnementale et sociale. Ce système peut et doit être transformé. Il en va de notre intérêt commun. Voir de la survie de notre espèce à en croire bien des rapports scientifiques.

Quels défis environnementaux nous attendent?
Ils sont nombreux et majeurs. Que l’on pense aux changements climatiques, à la perte de biodiversité ou à la pollution chimique et génétique et à ses effets sur la santé. Si tout le monde consommait comme nous les Nord-américains, il faudrait de 3 à 5 planètes pour répondre aux besoins, mais surtout aux envies, de tous. Il est devenu urgent d’entamer une grande transition d’un bout à l’autre de la chaine économique.

Sortir de notre dépendance au pétrole devrait être une priorité. Des alternatives existent et le Québec a tout ce qu’il faut pour devenir un modèle à cet égard. À très court terme, nous devons empêcher l’expansion des sables bitumineux, donc le passage du pétrole de l’Alberta par le Québec. Celui-ci est déjà bloqué à l’ouest et au sud, car jugé trop risqué. C’est donc maintenant ici que son développement se joue. On a le pouvoir de faire une grande différence.

À moyens et longs termes, c’est tout notre système économique qu’il faut transformer pour le rendre plus écologique et plus équitable. Et s’est faisable. Mais il nous faut de l’audace et du courage politique.

La maternité a-t-elle changé votre vie?
Elle y a apporté encore plus d’amour et de beauté. Mais la maternité a surtout changé mon agenda! Me faisant revoir mes priorités et revisiter le sens du mot « engagée ». Car celui d’élever des enfants est toute une œuvre, surtout lorsque l’un d’eux à des besoins particuliers. Côté carrière, bien des fois j’ai refusé de belles opportunités. Mais si j’avais accepté, je ne pense pas que j’aurais le même genre de relation avec mes enfants. Alors je ne regrette rien.

Qu’est-ce qui vous émeut?
La beauté et la bonté du monde surtout là où on l’attend le moins.

Qu’avez-vous appris de votre engagement?
Que les luttes qui se gagnent sont celles que l’on n’abandonne pas, mais qu’il faut aussi savoir bien choisir nos combats. Que le cœur et la rigueur sont aussi importants l’un que l’autre : « A Tough mind and a tender heart » disait Martin Luther King. Mais surtout, et je le dis et redis, j’ai appris que nous avons tous beaucoup plus de pouvoir que nous serions portés à croire, et encore davantage lorsqu’on unit nos efforts.


Quelles sont vos racines?
Trois choses : l’amour, l’amour et l’amour. Bien au-delà de toutes les histoires de couples.

Êtes-vous tentée par la politique?
Parfois tentée et souvent dégoûtée. Si un jour je m’y mets, ce sera avec une vague de gens aussi habités que moi par un idéal social et environnemental tout en étant pragmatiques. Il faudrait que je me sente entourée par des personnes aussi rigoureuses qu’intègres.

Quels projets vous attendent?
Terminer ma thèse doctorale sur l’émergence d’une économie écologique et sociale au Québec, aller la soutenir à Genève, puis en faire un livre grand public et donner des conférences. J’aimerais enseigner dans une université tout en restant active sur la place publique. Je souhaite contribuer à faire du Québec un modèle de VRAI développement durable.

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