L'édito

Corps consentants

Autant de corps, un seul idéal de perfection. Elle est là, l’erreur.

Plainpicture/Ponton

Ce printemps, Daniel Pennac publiait Journal d’un corps, qui raconte par le menu détail l’enveloppe corporelle dans toute sa grandeur. Le protagoniste de cet étrange objet littéraire observe, analyse, décortique la vie de son corps, comme si celui-ci s’était détaché de son esprit, indépendant dans ses douleurs comme dans ses exploits. Avec pour résultat du jamais lu, une œuvre étonnante suscitant de nombreuses questions sur notre propre relation avec la « machine » qui nous conduit là où notre esprit dé­sire se rendre, qui se crispe quand nous n’arrivons pas à nos fins, qui exulte quand nous lui offrons ce qui est beau et bon.

Un peu plus tôt en 2012, sur son album MA, Ariane Moffatt se demandait si elle devait « trafiquer [son corps] pour parvenir à trahir son âge » ou si elle ne devait pas tout simplement « le guérir, le blesser ou le gaver d’animaux morts » (Mon corps).

Un roman, une chanson. Deux créations typiques de notre époque, qui n’auraient sans doute pas existé telles quelles il y a 25 ans. Deux créations qui jettent un éclairage cru et lucide sur cette enveloppe corporelle que nous portons parfois comme un cadeau, trop souvent comme un fardeau. Trop lourde, trop grosse, trop pataude, trop gauche. Pas assez agile, rapide, élancée, bien roulée. Nous ne sommes pas tendres envers notre chair. Mes 15 années dans l’industrie des magazines féminins m’ont fourni un lot d’anecdotes éloquentes à ce sujet.

La plus triste? Une jeune femme d’à peine 30 ans, devenue maman deux fois en moins de trois ans, qui se glisse sans souci dans des bikinis format mini. Peau mate, longue chevelure lisse, lèvres charnues, un derrière d’enfer. Le regard ? Vide. Ou plutôt, rempli de doutes. On y lisait une seule phrase : « De quoi j’ai l’air? » À ce moment, nos paroles, même les plus bienveillantes, ne pouvaient pas grand-chose contre cet état des lieux. La belle n’aimait pas son corps.

J’ai souvent dit en riant que la clé pour accepter les transformations physiques liées à l’âge et à la maternité, c’est de ne jamais avoir eu le body parfait. N’empêche! Aujourd’hui, je me ravise, en constatant que même le choix de mes mots sous-tend un idéal. Le body parfait pour quoi? Pour enfanter? Pour pédaler? Pour nager? Pour danser? Pour faire l’amour? Pour donner de l’amour? Autant de corps, un seul idéal de perfection. Elle est là, l’erreur.

Vous n’avez certes pas besoin de moi pour vous dire de vous aimer telles que vous êtes. Pas besoin de moi non plus pour vous rappeler que le temps passé à critiquer votre corps est du temps perdu à ne pas vivre pleinement, à exister à moitié, timides, tapissées dans un coin. Vous avez sans doute tenté de vous affranchir des diktats d’une industrie qui formate chacune des images véhiculées, qui charrie son lot d’idées reçues et préconçues que d’aucuns acceptent. Alors je ne taperai pas sur le même clou une fois de plus. Mais j’espère sincèrement vous croiser en maillot de bain sur la plage cet été, fières, souriantes, détendues. Célébrant votre corps bien vivant. À défaut de quoi, je devrai ressortir mes beaux discours l’an prochain.

Allez, bonnes vacances!

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