Société

Les femmes, ces menteuses

Tout comme les femmes de «l’affaire Jian Ghomeshi», Alice Paquet n’a pas pu démontrer face au système judiciaire qu’elle avait été agressée sexuellement. Pour certains, c’est l’occasion de scander: «On ne vous croit pas!» Comme si ne pas croire les femmes était un courageux geste de résistance, souligne Lili Boisvert.

«Les femmes sont tellement menteuses, qu’on ne peut même pas croire le contraire de ce qu’elles disent.»
– Georges Courteline, romancier français

À en croire certains, les femmes seraient des menteuses compulsives. Nous ne pourrions pas nous empêcher de travestir la vérité à propos de notre âge, de notre poids… et de nos viols.

Des histoires d’agressions sexuelles comme celles de Jian Ghomeshi ou de Gerry Sklavounos, qui se soldent par l’absence de condamnation, sont régulièrement brandies à la face des femmes et des féministes pour réitérer cette idée que les présumées victimes sont des menteuses, puisqu’elles sont souvent incapables de faire la démonstration de leur agression une fois confrontées au système judiciaire. «Ces femmes nuisent à votre cause», nous dira-t-on.

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Des trolls, des commentateurs et des commentatrices vont s’irriter du slogan «On vous croit» en rétorquant: «On ne vous croit pas». Comme si ne pas croire les femmes était un courageux geste de résistance anarcho-rebelle.

Les fausses accusations existent, oui. Différentes statistiques sont évoquées pour témoigner de cette réalité, mais il est difficile de les interpréter, parce que les critères de fausses accusations retenus pour les compiler sont variables (par exemple, certaines statistiques comptabilisent les cas où il n’y avait pas suffisamment de preuves à la disposition des policiers, même si un manque de preuves ne signifie pas qu’un crime n’a pas été commis). Quoi qu’il en soit, des femmes se sont déjà manifestées en admettant avoir menti par rapport à une accusation.

Maintenant que nous avons reconnu ceci d’une part, peut-on admettre, d’autre part, qu’il existe dans notre société une méfiance spontanée dirigée contre les femmes qui disent avoir vécu une agression sexuelle, et que cette méfiance est le fruit de siècles de préjugés sexistes qui persistent encore aujourd’hui ? 

Lorsqu’on se penche sur l’histoire du consentement au Canada, cela apparaît très nettement. Par exemple, la loi canadienne a établi au cours du dernier siècle que la parole d’une femme valait moins que celle d’un homme en matière d’agressions sexuelles. Et il n’est même pas question ici de la voix d’une «femme victime» par rapport à celle d’un «homme agresseur»: je parle du cas où la victime est une femme par opposition à celui où la victime est un homme.

Pour la petite histoire, à partir de 1873 et jusqu’en 1983 officiellement, lorsqu’une personne portait plainte pour agression sexuelle (nommée «attentat à la pudeur» à l’époque), il était exigé que la victime obtienne la corroboration d’un témoin. Or, en 1955, le Code criminel ayant été réformé stipulait que si la victime était un homme, cette obligation tombait. Sauf que l’exigence a été maintenue pour les femmes.

On a carrément et légalement prévu que la parole d’une femme n’avait pas la même recevabilité que celle d’un homme dans une même situation. Parce que, apparemment, les femmes sont trop portées à délirer.

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Cette discrimination judiciaire sexiste – comme plusieurs autres, notamment le fait qu’une femme ne pouvait pas porter plainte pour viol contre son époux – n’a été abolie qu’en 1983.

Pas 1893. Pas 1938. En 1983! Cela ne fait donc que 34 ans, et ça veut dire qu’un très grand nombre de législateurs et de juges actuels ont connu cette époque pas du tout lointaine où il arrivait même que l’on fasse passer des tests de détecteur de mensonges aux femmes déposant une plainte pour viol [1].

Se méfier des femmes qui se disent victimes d’agression sexuelle n’a rien d’original: ça fait partie de notre héritage culturel.

Chaque fois qu’une dénonciation publique est faite, impulsivement, plusieurs personnes vont se porter à la défense de l’accusé en réclamant le respect de la présomption d’innocence. D’abord, c’est mal comprendre cette notion. Comme l’écrit l’avocate Véronique Robert dans le site Droit-Inc.com, «… la présomption d’innocence n’empêche pas une femme de déclarer publiquement avoir été victime d’agression sexuelle, avec les risques que ça comporte pour elle, et si quelque misogyne veut lui imposer de se taire parce que sa voix dérange, qu’il ne le fasse pas au nom de la présomption d’innocence». Ensuite, il faut aussi réaliser ceci: si l’on clame qu’une femme faisant une dénonciation est une menteuse dont les propos sont diffamatoires, on est en train de l’accuser d’un crime sans preuves… Autrement dit, pour invalider sa parole, on adopte précisément la logique qu’on dénonce.


 

[1] The Globe and Mail, 17 juin 1980, via «La violence faite aux femmes : à travers les agressions à caractère sexuel».

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