Société

Les monologues du voile: Enquête sur le hijab

L’essai Les monologues du voile, de Kenza Bennis, propose d’ouvrir la discussion sur le port du hijab, dans le respect des sensibilités de chacun.

Durant 18 mois, la journaliste Kenza Bennis est allée à la rencontre de plus de 80 femmes d’ici, dont des musulmanes. Son but ? Connaître les motivations de celles qui choisissent de porter le hijab, et décrypter le malaise qu’elles suscitent chez autrui. Inspirée par la célèbre pièce Les monologues du vagin de l’Américaine Eve Ensler, elle en a tiré 21 témoignages aussi touchants qu’instructifs. En alternance avec ces Monologues du voile, elle présente une enquête exhaustive, soute­nue par de nombreux entretiens avec des experts de la question (islamologues, sociologues, historiens, anthropologues…). Rencontre.

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Photo: Ryan Remiorz/La Presse Canadienne

Dans votre livre, vous dites qu’il y a 20 ans vous étiez réfractaire au port du voile. Comment votre perception a-t-elle changé depuis ?

Quand j’étais jeune, personne ne portait le hijab chez moi, au Maroc. Mais dans les années 1990, j’ai vu de plus en plus de femmes se voiler. J’ai commencé à m’inquiéter pour les droits des Marocaines. Je craignais qu’en se tournant vers la religion, on recule. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Le hijab, bien qu’il soit de plus en plus présent, n’a pas empêché les Marocaines de continuer à avancer sur le plan de l’égalité hommes-femmes. Si bien que, lorsque je suis arrivée au Québec quelques années plus tard, il ne faisait plus vraiment partie de mes préoccupations. Jusqu’au 11 septembre 2001. Dès lors, on s’est mis à parler d’islamisme. Puis, les années ont passé, et se sont succédé au Québec la crise des accommodements raisonnables et celle de la Charte des valeurs. Chaque fois, on relançait la discussion sur le voile et, chaque fois, ça soulevait les passions. À force d’y réfléchir, je me suis dit qu’il était temps qu’on aborde la question à partir de la réalité et non des perceptions. J’ai écrit ce livre pour faire de la place aux faits, aux études de terrain. Et j’ai voulu, entre autres, donner la parole aux femmes voilées du Québec. Parce que, bien qu’on en parle beaucoup, on les entend trop peu.

« Les imams qui disent aux musulmanes de se voiler, c’est la même chose que les prêtres. Ils essayent de les contrôler. Ils leur font croire que c’est pour leur bien. À nous aussi, on a servi le même discours. Mais c’est un mensonge ! La religion, c’est le moyen qu’ont trouvé les hommes pour nous dominer ! » Denise, 71 ans

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Qu’est-ce qui rend ce sujet aussi sensible chez nous ?

Le malaise par rapport au voile existerait chez la moitié des Québécois. On observe que, plus les gens sont âgés, plus ils ont tendance à s’y opposer. Ils ressentent encore de la colère à l’égard de l’Église catholique, qui les opprimait autrefois, et entretiennent par conséquent une image négative de la religion. Et en particulier de l’islam, qui n’a pas bonne presse. Chaque fois qu’il est question des musulmans dans les médias, c’est pour parler de terrorisme. De même, dans les nouvelles locales, on voit souvent des images de gens qui prient à la mosquée. Pourtant, une minorité de musulmans les fréquente ! On nous montre aussi des femmes en niqab ou en burqa, alors qu’il y en a très peu chez nous. Et on n’évoque jamais les mouvements progressistes et féministes qui existent au Moyen-Orient. Cette conjoncture nous pousse à croire que les musulmans sont violents et forcent les femmes à se voiler. Il existe donc chez les Québécois un désir sincère de les libérer. Ce que j’ai toutefois observé en écrivant ce livre, c’est que les Québécoises musulmanes qui se sentent obligées de porter le voile sont très rares. Dans plusieurs pays arabes, ce choix est conditionné par le fait qu’il s’agit d’une norme sociale. Mais chez nous, la grande majorité le fait de son propre chef, sans pression de la part de la famille ou du conjoint.

Kenza Bennis | Photo: Laetitia Jourdan

Kenza Bennis | Photo: Laetitia Jourdan

Outre les nombreuses attaques xénophobes dont elles font l’objet – insultes, agressions physiques, etc. –, celles qui arborent le hijab subissent de la discrimination à l’emploi. Sait-on pourquoi, au juste ?

Ce pourrait être lié à la religion, au nom à consonance étrangère, au voile, à la couleur de la peau, au fait que ce sont des femmes… Ou à un peu tout ça. Alors qu’elles sont plus diplômées que la moyenne, leur taux de chômage est de 19,2 % – comparative­ment à 6,5 % pour l’ensemble des Québécoises. Les employeurs redouteraient de leur part des demandes d’accommodements raisonnables, tels que des heures de prières ou des congés. Pourtant, selon des études, ces craintes sont non fondées. Aussi, en ce qui a trait aux emplois avec le public, les patrons ont peur que leurs clients répugnent à se faire servir par une femme voilée.

« En dehors du ramadan et des prières, je ne mets rien sur mes cheveux. Je ne crois pas que notre religion nous demande ça. Ma foi ne passe pas par là. J’ai des copines, oui, elles portent le voile. On n’en parle pas entre nous, mais j’imagine que c’est important pour elles. Je les trouve quand même courageuses. Parce que ça doit pas être facile tous les jours ! » Aïssatou, 31 ans

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Qu’est-ce qui vous a le plus marquée dans vos recherches ?

De tout temps, le voile a été instrumentalisé. Déjà au début du 20e siècle, Lord Cromer, consul général britannique en Égypte, s’en servait pour démontrer aux Européens à quel point les peuples arabes n’étaient pas civilisés, et combien leurs femmes étaient opprimées. Or, au même moment, il s’opposait au droit de vote pour les Anglaises. Bref, il était féministe quand ça l’arrangeait ! Et repensons à l’épisode du burkini, l’été dernier. Quand des maires français ont décidé de l’interdire chez eux, Jean-François Lisée, en pleine course à la chefferie du Parti québécois, en a fait un cheval de bataille ici. Pour­tant, ce débat n’avait pas lieu d’être chez nous. Bref, les hommes de pouvoir utilisent souvent le voile pour obtenir des votes ou la faveur de la population… Malheureusement, je n’ai pas toujours l’impression que les intérêts de ces femmes soient vraiment au cœur de leurs discours.

« L’autre jour, j’étais au feu rouge. Il y avait une voiture arrêtée. Il y a un petit garçon qui a ouvert la vitre, il avait peut-être 10 ans. Il m’a insultée. Pourquoi il a fait ça ? Ça me blesse, ce genre de choses. Je suis très sensible. J’ai toujours été comme ça. Ça me fait mal quand le chauffeur d’autobus répond pas à mon bonjour. Maintenant, je mets mes écouteurs avec ma musique. Ça me protège. Quand je monte dans le bus, je dis bonjour au chauffeur. Je ne sais pas s’il me répond ou pas. Dans la rue, j’ai ma musique aussi, j’entends pas les autres. Je regarde devant moi quand je marche. Je ne vois personne. Je suis tranquille. » Manar, 18 ans

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Les monologues du voile – Des Québécoises se racontent, par Kenza Bennis, Robert Laffont, 22,95 $. 

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