Entrevues

Livre: Les dessous de l’affaire Turcotte

L’affaire Turcotte: une séparation difficile, deux bambins assassinés par leur père, deux procès sur sept ans. Et plein de questions sur le fonctionnement du système judiciaire canadien. Catherine Dubé, journaliste au magazine L’actualité, a passé sept mois à suivre ce procès. Elle a parlé à tout le monde, lu des milliers de pages de témoignages et d’analyse, posé mille questions. Elle publie L’affaire Turcotte – Les dessous de l’affaire judiciaire de la décennie (Rogers Média). Châtelaine l’a rencontrée.

Au cours des trois dernières années, vous avez suivi de près la saga judiciaire de Guy Turcotte. Pourquoi cet intérêt?

Je voulais comprendre. Guy Turcotte a tué ses deux enfants en février 2009. En juillet 2011, au terme d’un premier procès, le jury l’avait reconnu criminellement non-responsable de ses actes. Dix-huit mois plus tard, la Commission d’examen des troubles mentaux lui a accordé la libération qu’il demandait. Cette décision a enflammé l’opinion publique. Et soulevé plein de questions. C’est à ce moment que j’ai commencé à m’y intéresser.

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Illustration: Paule Thibault.

La décision de le libérer a soulevé plusieurs questions, dites-vous. Par exemple?

Ce drame aurait-il pu être évité? Qu’est-ce que la responsabilité criminelle? Pourquoi la Commission d’examen des troubles mentaux l’a-t-elle libéré? Et pourquoi a-t-il été libéré ensuite dans l’attente de son deuxième procès? Après le premier procès, Isabelle Gaston, la mère des victimes, a remis en question le rôle des témoins experts dans les procès criminels. Elle parlait d’une faille du système judiciaire. Je me suis beaucoup intéressée à ce sujet.

>>> Pour lire un extrait de L’affaire Turcotte – Les dessous de l’affaire judiciaire de la décennie

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La journaliste Catherine Dubé

Isabelle Gaston avait-elle raison?

Il y a longtemps que des juges et des psychiatres questionnent l’impartialité de certains experts. Déjà en 2004, le Collège des médecins parlait d’implanter un processus d’inspection – mais ne l’a jamais fait. Je crois que la croisade d’Isabelle Gaston a contribué à mettre la question sur la place publique.

En 2013, le Barreau du Québec et le Collège des médecins ont jugé qu’il était temps d’y réfléchir ensemble et ont fait rapport en 2014. Les choses ont commencé à changer, surtout du côté du Collège des médecins, qui reconnaît désormais que l’expertise est un acte médical qu’il est de son devoir de surveiller. Depuis, il a mis sur pied un système où des causes sont tirées au hasard par un inspecteur qui s’assure que le travail des experts a été bien fait, sans conflit d’intérêt.

Est-ce que cela va changer la donne?

C’est un premier pas. Mais notre justice est toujours un système contradictoire où chacun des experts est payé par une des parties. L’Association des médecins psychiatres réclame encore des changements. Ses membres voudraient jouer leur rôle de façon plus indépendante. Il y aurait aussi des options différentes. Un panel d’experts, par exemple. Ou le hot tubbing, en vigueur en Australie, où les experts se contre-interrogent entre eux, favorisant ainsi le consensus scientifique. Ces propositions ne sont pas très débattues encore ici, mais les choses changent et j’ai tendance à croire qu’Isabelle Gaston y est pour quelque chose.

>>>Pour écouter le passage de Catherine Dubé à Médium Large

Vous la connaissez assez bien maintenant. Parlez-nous d’elle…

C’est la personne la plus résiliente qu’il m’ait été donné de rencontrer. J’ai deux enfants et je ne peux même pas imaginer vivre ce qu’elle a vécu. Pour elle, le verdict du premier procès (Guy Turcotte a été reconnu non-criminellement responsable) a été une injustice commise à l’endroit de ses enfants et elle a voulu les défendre. Son travail pour faire modifier le système d’expertise l’a tenue en vie les premières années, je crois. Malgré sa colère bien légitime, elle a su poser les bonnes questions, relever les incohérences du système. Pendant qu’elle menait sa bataille de son côté, je faisais ma recherche journalistique du mien. Et on arrivait souvent au même résultat.

Comment va-t-elle aujourd’hui?

Le verdict du second procès (Guy Turcotte, reconnu coupable de meurtre non-prémédité, a été condamné à la prison à perpétuité) a été un baume pour elle. Même si le processus judiciaire n’est pas terminé, car Guy Turcotte fait appel de sa condamnation.

Ce n’est plus la même personne qu’avant (le drame). Elle est vulnérable mais elle le sait. Elle se protège. C’est pour ça qu’elle n’est plus urgentologue, qu’elle s’expose moins dans les médias. Elle sait que ses enfants ne reviendront pas, mais elle veut poursuivre sa vie. Et elle a encore une grande capacité d’émerveillement. J’ai confiance qu’elle pourra se reconstruire. Elle me semble plus heureuse que quand je l’ai connue, il y a trois ans.

Pour ce qui est du système d’expertise judiciaire, elle voit que les choses bougent, très lentement, mais qu’elles bougent. Et elle est prête à passer la balle, je crois. « J’ai ouvert les yeux du grand public et des journalistes, dit-elle. À vous de jouer.»

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L’affaire Turcotte : les dessous de la saga judiciaire de la décennie, Édition papier : 22,95 $ – Édition numérique : 12,99 $.

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