Projet 97

« Ma fille a été condamnée pour distribution de pornographie juvénile »

Pour un texto envoyé à une copine, une jeune fille de 16 ans voit sa vie basculer. Sa mère raconte le cauchemar, vu de l’intérieur.

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En novembre 2012, une adolescente de 16 ans a envoyé à une amie un message accompagné d’une photo où l’on voyait l’ex-petite amie de son copain, nue. La suite ? On a accusé la jeune femme de possession et de distribution de pornographie juvénile et d’avoir proféré des menaces. Deux ans plus tard, elle a été reconnue coupable, devenant ainsi la première personne mineure à être condamnée en vertu de la loi canadienne sur la pédopornographie. L’adolescente, dont on ne peut révéler l’identité parce qu’elle était mineure au moment des faits, avait jusqu’au mois de mars 2015 pour accepter sa sentence comme délinquante sexuelle ou pour la contester pour procédure abusive au tribunal pour adolescents de Victoria, en Colombie-Britannique.

On a rencontré la mère de l’adolescente en question, maintenant âgée de 18 ans. Rebecca (dont on doit taire le nom de famille afin de préserver l’anonymat de sa fille) nous a parlé de l’importance de connaître la loi, même quand on envoie des textos entre ados.

Racontez-nous ce qui s’est passé lorsque vous avez appris que votre fille était accusée de distribution de pornographie juvénile.

Au moment des évènements, je travaillais en Alberta et mes deux filles habitaient chez une de mes amies, en Colombie-Britannique, où je réside. J’ai reçu un appel de ma fille ; elle était affolée. Il m’a fallu du temps pour la calmer et comprendre ce qui se passait.

Les policiers sont venus à l’école et l’ont fait convoquer au bureau de la Direction. Ils l’ont ensuite amenée au poste. Ils ont relevé ses empreintes digitales et l’ont renvoyée à la maison, sous conditions. Par la suite, elle a été inculpée de possession et de distribution de pornographie juvénile. Elle venait juste d’avoir 16 ans.

Dès le premier coup de fil, elle m’a dit qu’elle ignorait complètement qu’une telle chose pouvait lui arriver. Elle était horrifiée, terrifiée. Si elle avait su qu’elle pouvait avoir des ennuis, jamais elle n’aurait envoyé cette photo. Je suis immédiatement revenue chez moi, en Colombie-Britannique.

Comment avez-vous vécu cet épisode ?

J’étais estomaquée. Possession et distribution de pornographie juvénile, c’est bon pour les pédophiles, pour les hommes adultes qui leurrent les enfants avec des bonbons ! J’ai toujours cru que la loi était là pour ça. Je sais que je généralise, mais ma fille n’est pas une délinquante sexuelle.

Les médias rapportent que toute cette affaire a commencé parce que le copain de votre fille était encore en contact avec son ex, qui lui envoyait des photos d’elle nue. Votre fille n’a pas apprécié et a partagé ces photos avec une amie.

Le copain de ma fille possédait dans son téléphone des photos de son ex nue. Ma fille a pris une photo du téléphone, avec un de ces clichés à l’écran, et l’a envoyée en message privé à sa meilleure amie, qui la lui avait demandée. La photo ne circulait pas partout, elle n’a été partagée qu’entre elles. Il n’y avait là-dedans aucune intention de gratification sexuelle. Les filles se sont retrouvées dans une situation qui les dépassait. Ma fille a toujours déclaré que si elle avait su que ce qu’elle faisait était le moindrement illégal, elle ne l’aurait pas fait.

Est-ce que votre fille avait déjà eu des ennuis avant ça ?

Elle n’a jamais commis une infraction de toute sa vie. Elle figurait parmi les meilleures à l’école, jouait à la balle molle, faisait partie de l’orchestre. Elle adore la photo, le dessin par ordinateur… C’est une ado typique, bien dans sa peau, qui a beaucoup d’amis. Elle venait de rencontrer un garçon, son premier amoureux. Elle voulait seulement que son ex-copine cesse de se comporter de cette façon. Elle est consciente qu’elle s’y est mal prise. Elle n’a pas envisagé les conséquences de son geste. Dans le fond, tout cela n’est que chamailleries et intimidation entre deux adolescentes. De la jalousie pour un garçon.

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Photo: iStock

Vous dites que les accusations de pornographie juvénile n’ont aucun sens dans ce cas-ci. Pourquoi ?

La loi sur la pornographie juvénile a été conçue pour protéger les enfants, pas pour en faire des criminels. Ma fille n’est pas malveillante, alors que cette loi a été faite pour les gens malveillants.

Ma fille s’est retrouvée dans une situation qu’elle n’était pas préparée à affronter sur le plan émotionnel. Si ce n’avait été d’autres cas de sextage et de cyberintimidation largement médiatisés, je ne crois pas que cela se serait rendu aussi loin. Du moins, pas au point qu’elle soit déclarée délinquante sexuelle mineure. On a dit aux autres ados impliqués que s’ils témoignaient contre ma fille, ils n’encourraient pas de conséquences. Tout ceci est consigné dans les transcriptions de la cour.

Je me demande si tout cela n’est pas le résultat de ce qu’ont subi Amanda Todd ou Rehtaeh Parsons, deux jeunes femmes qui se sont suicidées après que des photos d’elles toutes nues ont circulé.

On a voulu faire de ma fille un exemple. Pourtant, la situation est complètement différente. La photo en question n’a pas été publiée sur Internet.

Pardonnez-moi si je me trompe, mais la société a de grandes attentes quant à la manière dont les jeunes femmes doivent se comporter de nos jours. Le message est que toutes peuvent être actives sexuellement. Des célébrités et des personnalités de premier plan partagent des photos d’elles-mêmes nues. La nudité est partout à la télévision, au cinéma, sur le web. Mais quand cela se produit dans la vraie vie, votre enfant peut être étiquetée de pédophile, de criminelle.

De quelle manière auriez-vous voulu que la situation soit traitée ?

Les enfants qui se retrouvent dans une situation inconnue ont besoin d’être conseillés, informés et soutenus, pas d’être accusés au criminel. Un agent de liaison de la police pourrait, par exemple, venir en classe et donner des cours ou des ateliers. Pourquoi leur éducation sexuelle à l’école n’inclurait-elle pas des discussions sur le sextage ou sur les effets négatifs des médias sociaux ? Ça devrait être intégré au programme de tous les étudiants. J’ai commencé à écrire un livre sur ce qui nous est arrivé.

Quelles répercussions les accusations et le procès ont-ils eues sur la vie de vos filles ?

Tout a changé. J’avais l’impression de regarder ma fille s’enfoncer dans une dépression. À la suite des inculpations, elle a changé d’école. Le directeur et le conseiller d’orientation ont été très compréhensifs et lui ont offert beaucoup de soutien. Mais après un peu moins d’un mois, je me suis rendu compte que sa vie n’était plus la même. Une des conditions de sa liberté provisoire est de ne pas utiliser Internet sans supervision. Elle a maintenant presque 19 ans et elle doit toujours se plier à cette règle. Pour cette raison, elle n’a pas pu garder ses amis ni s’en faire de nouveaux. Je devais l’implorer d’aller à l’école.

Autrefois première de classe, elle obtenait tout juste les notes de passage. Ç’a été très difficile de la voir perdre pied. Son désir de se lever le matin, sa soif d’apprendre, son envie de participer à la vie, tout cela s’étiole lentement.

Ça doit être très difficile pour vous…

Je ne peux que l’aimer. Lui dire que je suis fière d’elle, peu importe ce qui lui arrive, et lui répéter tous les jours que je l’aime. Je suis fière qu’elle se batte contre cette injustice.

Ses aspirations sont anéanties. Mais pas mon espoir de la voir devenir une personne entière. Je pense que cette épreuve l’a rendue plus forte et que, d’une certaine manière, elle a été protégée de tout ce que les autres filles vivent sur Internet parce qu’elle n’y a pas accès. Elle s’en sort peut-être mieux que d’autres.

Croyez-vous qu’elle pourra reprendre une vie normale quand tout ceci sera terminé ?

Non, jamais. Elle ne deviendra jamais une politicienne, une juge ou une personnalité publique. Elle voulait être avocate, elle ne peut plus l’être. On nous affirme que les dossiers impliquant des mineurs sont scellés et confidentiels, pourtant ils ne le sont jamais vraiment. Aujourd’hui, n’importe qui peut connaître votre passé. Un jour, quelqu’un va déterrer tout ça et recoller les morceaux.

Avez-vous des conseils pour les parents d’ados ?

Les parents veulent tous croire que leurs enfants savent différencier le bien du mal parce qu’ils le leur ont appris. Mais, en tant qu’adultes, si nous ne nous renseignons pas, si le système scolaire n’éduque pas nos enfants sur les effets néfastes du sextage, il nous manque des éléments d’information. Je ne savais pas que ma fille pouvait être inculpée et condamnée pour avoir envoyé une photo. Il faut donc sensibiliser les parents pour qu’ils puissent, à leur tour, éduquer leurs enfants. Ces derniers font ce que nous faisions quand nous étions petits, sauf que nous, on se passait des bouts de papier. Si on voulait partager une photo, on utilisait le Polaroid de nos parents. Maintenant, plus rien ne vous appartient dès que ça se retrouve sur le web.

Et pour les ados ?

Je leur conseillerais d’avoir une discussion franche avec un parent ou un adulte s’ils croient que quelque chose cloche. Ce qu’ils mettent sur Internet reste à tout jamais sur Internet, et ce n’est pas tout le monde qui a leurs intérêts à cœur.

 

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