Entrevues

Marie-Mai et Fred : d’amour & de musique

Rencontre avec un couple uni.

Derrière Marie-Mai : 10 ans de carrière, 270 spectacles, 500 000 spectateurs, 5 prix Félix, 3 albums platine, entre autres. Et toujours à ses côtés, Fred St-Gelais, mari, amoureux et complice. Rencontre avec un couple uni dans la vie autant qu’en studio ou sur scène.

Un jeudi soir d’octobre, dans la salle de spectacle branchée de la New City Gas, complexe industriel patrimonial fraîchement restauré dans le quartier Griffintown, à Montréal. Après Loco Locass et le trio français PYK, c’est au tour de Marie-Mai d’occuper la scène dans ce party privé organisé par la station de radio CKOI. La jeune femme démarre en trombe avec C.O.B.R.A., premier extrait de son nouveau disque, Miroir, certifié or avec ses 40 000 exemplaires vendus un mois après sa sortie, en septembre.

La chanteuse incarne à merveille les paroles qu’elle a écrites il y a plusieurs mois et qui s’envolent ce soir sur un riff de guitare dans la salle bondée : « Viens vers moi / Le Cobra dansera /Pour qui le suivra / Porter notre emblème / Les yeux sur la scène / Viens vers moi… »

Marie-Mai hypnotise la foule (composée d’animateurs et d’auditeurs de CKOI) dans son pantalon moulant en cuir noir et sa camisole d’un vert menthe scintillant. On ne voit qu’elle, mais elle n’est pas seule. Cinq musiciens l’accompagnent, dont son amoureux, Fred St-Gelais, à sa droite, fidèle au poste, faisant corps avec sa guitare. Le couple se regarde et se comprend sans se parler. Il s’avance vers elle avec sa fougue, tout sourire. Elle va vers lui avec son énergie rock, heureuse d’être sur scène. Et de l’avoir à ses côtés.

Pendant Emmène-moi, une chanson qui parle d’eux, ils se collent l’un à l’autre, dos à dos: « Jusqu’au bout de toi, emmène-moi / Ramène-moi plus près de toi / Si je me perds… »

Douze heures plus tard. Rendez-vous avec Marie-Mai et Fred dans le studio-appartement du Plateau-Mont-Royal où tout a commencé pour eux : premier album, premier regard, premier baiser et premier nid d’amour.

« C’était ici ! » lancent en chœur Marie-Mai et Fred en se regardant de concert.

Journaliste spécialisée en musique à La Presse, j’ai interviewé Marie-Mai à la mi-septembre au sujet de son nouvel album. Un mois plus tard, c’est plutôt pour saisir la complicité et la force créatrice qui l’unissent à son amoureux et réalisateur, Fred St-Gelais.

Tracer le bilan de la carrière de la chanteuse, c’est aussi (inévitablement) faire celui de son amour avec Fred. Elle avait à peine 18 ans – et les cheveux blond platine – quand le Québec l’a connue dans la folie de la première saison de Star Académie (2003). La petite Bouchard de Boucherville au caractère fort (« J’étais un bulldog », dit-elle aujourd’hui) s’est hissée à la demi-finale, remportée finalement par Marie-Élaine Thibert.

Star Académie à peine terminée, Marie-Mai participe à la comédie musicale Rent tout en préparant son premier disque. Sa directrice artistique, Anne Vivien, lui conseille alors de discuter avec plusieurs réalisateurs, dont un certain Fred St-Gelais. Celui-ci a écrit et réalisé l’album d’une jeune chanteuse connaissant le succès auprès des ados, Andrée Watters.

« Fred est le premier réalisateur que j’ai rencontré, raconte Marie-Mai. Je suis venue ici, au studio, et on a parlé de la musique qu’on aimait : Green Day, Blink-182, Evanescence… Une semaine plus tard, on faisait des tests et on enregistrait quatre chansons. J’étais super intimidée de lui montrer ce que j’avais écrit, mais il m’a rapidement mise en confiance. »

L’auteure-compositrice-interprète ignorait que le réalisateur avait déjà un faible pour son talent. « Je n’avais pas la télé à l’époque de Star Académie, mais j’écoutais le gala du dimanche quand j’allais chez ma mère, se remémore Fred. J’ai vu Marie-Mai chanter Salaud, de Luc Plamondon, à la finale des filles. C’était incroyable! Juste ses yeux quand elle chantait: il se passait quelque chose. Je venais de déménager et je ne voulais pas entreprendre de projet. On m’avait proposé d’écrire pour Marie-Élaine Thibert et Wilfred LeBouthillier. J’ai dit à mon éditeur: “Je n’ai pas vraiment de temps, mais si Marie-Mai a besoin de chansons, j’embarque!” Je trouvais qu’elle avait du chien. »

En studio, les deux artistes travaillent d’abord au tout premier succès de Marie-Mai, Il faut que tu t’en ailles?: « J’ai plus envie de te voir / J’veux vraiment plus rien savoir… »

Prémonition? Trois mois plus tard, Marie-Mai a mis fin à sa relation quand Fred l’invite à écouter le résultat final de l’album Inoxydable. « On a écouté le disque une fois, deux fois… Et on a tous les deux pris conscience que le travail était fini et qu’on n’allait plus se revoir. »

Le reste appartient à la petite histoire du showbiz québécois… et à leur album de souvenirs personnels. « On a décidé d’étirer cela une journée de plus », dit Fred, malicieux. « Et je ne suis plus jamais repartie?! rétorque Marie-Mai, les yeux brillants. On habite ensemble depuis la première journée. »

Ce soir-là, Fred avait-il réellement oublié de remonter le lit escamotable qui transformait son studio en chambre à coucher? Le doute persiste toujours dans l’esprit de la belle. « C’était la première fois que le lit était baissé! »

Dix ans plus tard, l’anecdote fait toujours pouffer les deux tourtereaux. « On a un désaccord sur mes intentions. La vérité, c’est que je n’avais pas eu le temps de faire le ménage », dit Fred en riant.

Dans l’entrée du studio de Fred, au cœur du Plateau (le couple habite maintenant en banlieue), la décoration tient aux nombreux albums de Marie-Mai certifiés or ou platine, joliment encadrés. Je vois aussi la page couverture que le couple a faite pour la revue Paroles et musique de la SOCAN, en 2008.

Avant ce numéro de Châtelaine, ces deux-là  n’avaient jamais posé ensemble pour la première page d’un magazine grand public. Et ce ne sont pas les offres qui manquaient. « Fred aime faire des entrevues pour parler de son métier », explique Marie-Mai. Normalement, quand elle est en tournée de promotion ou en séance de photos, le musicien s’enferme dans son studio. Il réalise des albums pour d’autres artistes (Marc Dupré, David Usher, le retour des BB) et compose des indicatifs musicaux pour la télévision (Ramdam, Fan club, Les étoiles du dodo…).
Le parcours de Fred St-Gelais est celui d’un autodidacte au talent inné. Né à Chibougamau en 1974, 10 ans avant Marie-Mai, il a deux ans quand sa famille déménage à Chicoutimi. Au secondaire, pour s’amuser, il forme un groupe de musique avec des filles. Lui qui jusque-là pensait devenir illustrateur de bandes dessinées apprend alors à jouer de la guitare, seul dans sa chambre. « Je suis viré fou. C’est devenu une obsession. Je mettais mon réveil deux heures plus tôt le matin pour jouer. Je pensais juste à ça! »

Marie-Mai l’interrompt : « Raconte ce qui t’a poussé à t’installer à Montréal. »

« Ah oui! enchaîne-t-il. J’avais 24 ans, j’étais super sérieux avec la musique. Mon frère commençait à trouver qu’il était temps qu’il se passe quelque chose dans ma carrière. Un jour, il m’a rendu visite et j’ai voulu lui faire écouter ma dernière “toune”. Il m’a répondu: “C’est assez. Tu me la feras entendre quand tu voudras percer pour de vrai et que tu l’auras envoyée à un producteur.” Ça m’est rentré dedans! »

Donc, direction Montréal. Fraîchement débarqué, Fred décroche un emploi dans des stations de radio – CIEL-FM, COOL-FM, CKOI –, où il compose et réalise des indicatifs musicaux (jingles). Son patron, manquant de chansons rock francophones, lui commande des reprises de succès québécois en version punk-rock. Un peu malgré lui, Fred St-Gelais fonde un groupe au nom trash, Hépatite B. « Un nom qui faisait partie du trip punk-rock antisocial du temps. Si c’était à refaire, je choisirais autre chose, c’est certain! » dit-il. Les premiers titres (Darlin’, de Roch Voisine, Ton amour est trop lourd, de Jim Corcoran, sans oublier C’est zéro, de Julie Masse et Material Girl, de Madonna) connaissent un certain succès et donnent même lieu à un album, toujours en vente sur iTunes.

Pour le musicien et chanteur, c’est une révélation. « J’ai pris conscience que je ne voulais pas être une rock star et que je préférais rester dans l’ombre. J’aime être sur scène, mais pas constamment sous le spotlight… C’est rare que j’accepte des entrevues. Marie-Mai est tellement bonne là-dedans. C’est naturel pour elle de signer des autographes pendant trois heures après un spectacle. »

Marie-Mai et Fred ont fait leur nid à Saint-Bruno dans une maison avec studio. Si, dans leur quotidien, l’amour et la musique ne font qu’un, leur métier et leur vie de couple peuvent très facilement se dissocier.

« Peut-être parce qu’on s’est connus dans le cadre du travail, croit la chanteuse. C’est l’une de nos grandes forces d’être capables de passer à autre chose. » Fred enchaîne : « On ferme l’ordi, on sort du studio et ça finit là. On retourne à une vie normale de chum et de blonde qui vont se louer un film et voient des amis. »

Ils ont uni leurs destinées le 4 septembre 2011 sur la plage intime du chic hôtel Four Seasons de Hualalai, à Hawaii. « Moi qui suis perfectionniste, je peux dire que tout était parfait! » dit Fred. La veille du grand jour, pour faire plaisir à ses fans et partager avec eux ce moment important, Marie-Mai a mis en ligne une vidéo toute simple où, avec son futur mari grattant le ukulélé, elle chante en guise de vœux traditionnels une chanson composée pour l’occasion, For The First Time. Au dernier décompte, la vidéo a été vue plus de 100 000 fois.

L’idole du couple, l’auteur-compositeur-interprète (et surfeur) Jack Johnson, est originaire d’Hawaii, et le titre d’une de ses chansons a été tatoué au même endroit sur l’avant-bras de chacun des amoureux, Better Together. Mieux ensemble: voilà qui les résume bien. « Depuis que nous sommes mariés, on dirait qu’il y a une partie de moi qui ne veut pas décevoir Fred. Je veux qu’il m’admire et je souhaite m’améliorer dans mon couple. »

Moment inoubliable on ne peut plus romantique, leur mariage sous les palmiers a été aussi un rappel du sablier qui coule trop vite. De se retrouver là-bas tous les deux, loin de tout, « on a eu le temps de se demander: mais où sont passées les huit belles dernières années de nos vies? Il ne faut pas que les 10 prochaines passent aussi vite. »

Voilà pourquoi Marie-Mai et Fred désirent faire une pause après le tourbillon qui a suivi le lancement du nouvel album. « Miroir, c’est notre bébé. On veut le mener jusqu’au bout et se donner à 200 %, mais on veut aussi un équilibre », dit Marie-Mai.

Le musicien, qui se déclare « plus en forme que jamais », ne redoute pas la crise de la quarantaine, sauf pour une chose : « Je ne veux pas être trop vieux quand je vais fonder une famille. Quarante ans, pour moi, c’est un dead­line. »

Fred a demandé la main de sa belle en lui offrant un bouquet de trois chansons témoignant de son amour. « C’était la première fois qu’on mettait ces émotions en chansons… À partir de là, j’ai voulu m’ouvrir plus, moi aussi », dit la jeune femme, qui écrit le premier jet de ses textes avant de les fignoler avec Fred.

Cela explique pourquoi Marie-Mai décrit Miroir comme son album « le plus personnel et le plus introspectif » (et son disque le plus achevé, à mon avis). « Je voulais la Terre en­tière / Ce qu’il y a de plus grand / Des rêves fous /Et maintenant je rêve de nous », y chante-t-elle.

 

 

À 28 ans, Marie-Mai pourrait se servir de son talent et de son expérience acquise en 10 ans de carrière en français pour cibler le marché anglophone. « C’était mon rêve de petite fille d’être une pop star, dit celle que Luc Plamondon a con­vaincue de chanter en français. Mais je trouve qu’il est aujourd’hui trop tard pour tout recommencer en anglais. Il y a des choses – pour moi et pour mon couple – que je ne suis pas prête à sacrifier. Ne serait-ce que pour avoir un enfant… »

« Je me compte chanceuse de faire tout ce que je fais dans ma langue », ajoute-t-elle.

J’ai couvert de nombreux concerts et, pour moi, Marie-Mai est l’une des seules artistes québécoises – sinon la seule – à offrir des spectacles à grand déploiement avec de gros moyens de production et avec autant d’assurance, de fougue et d’aplomb rock que les chanteuses américaines de sa catégorie. « Chanter ici, ça n’a pas de prix », dit Marie-Mai. « Tu joues au Centre Bell et tu rentres dormir à la maison », ajoute Fred.

La carrière de l’ex-académicienne va si bien que les bonnes nouvelles et les surprises se multiplient sans cesse. Je pourrais presque écrire un article pertinent sur elle chaque semaine!  « Les plus belles choses qui nous sont arrivées étaient des imprévus : chanter en 2010 aux Olympiques de Vancouver, la pièce Jet Lag avec Simple Plan (qui a remporté un prix très convoité aux derniers NRJ Awards, à Cannes, et lui a ouvert les portes du marché français), le spectacle à l’Olympia de Paris avec Johnny Halliday, le contrat avec Warner en France… Tout ça, c’est arrivé tout seul. »

Le CV de Marie-Mai est imposant. Interprète féminine des deux dernières années du Gala de l’ADISQ, la chanteuse sera cet hiver juge à l’émission La Voix, version québécoise du mégasuccès The Voice, aux côtés d’Ariane Moffatt, Jean-Pierre Ferland et Marc Dupré.

Marie-Mai n’aime pourtant pas m’entendre dire qu’elle crée une certaine unanimité et qu’elle a atteint le statut de superstar. « Plus les choses vont bien, plus je me mets de la pression. Mais je crois que c’est sain de penser comme ça. »

« Il y a des gens qui disent: “Marie-Mai, ce n’est pas mon genre, mais elle est bonne.” C’est une question d’authenticité », souligne avec raison Fred St-Gelais.

Si des fillettes de neuf ans s’appellent Marie-Mai et que des adolescentes ont assisté à son spectacle plus de 90 fois (vous avez bien lu), l’artiste a un public qui grandit avec elle. Il fallait être à la soirée de CKOI pour constater à quel point Marie-Mai fait rocker les 7 à 77 ans.

Devant moi, sur la scène de la New City Gas, il est évident que Marie-Mai Bouchard et Fred St-Gelais se complètent. Leur admiration mutuelle transcende leur performance.

« Fred est ma zone de confort en spectacle. Je m’appuie sur lui et je le trouve beau avec sa guitare?! Il m’impressionne?», dira Marie-Mai, le lendemain, en entrevue. « Je la regarde et je l’admire », de renchérir l’époux. Comme elle le chante si bien: « Jusqu’au bout de toi, emmène-moi… »

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