Entrevues

Martin Matte: sans malaise

Il cartonne comme humoriste (baveux) depuis plus d’une quinzaine d’années. Pourtant, on en sait peu sur lui. Il a bien voulu nous présenter les autres «Martin».

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Photo par Maude Chauvin

L’homme de famille 

Ma blonde et moi, on est ensemble depuis l’âge de 15 ans et ça se passe bien, même si, comme tout le monde, on a des périodes qui sont meilleures que d’autres.

Je ne parle jamais de ma vie privée. Je ne fais jamais de photos avec ma famille, par exemple. Pourtant, je me livre beaucoup sur scène. C’est même parfois très intime, mais, comme c’est sous le couvert de l’humour, personne ne distingue ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas.

J’ai tout ce qu’il me faut. Je gagne bien ma vie, j’ai une belle famille, des enfants. Je suis bien. Malgré ça, je ne suis pas toujours heureux. Il n’y a pas de recette. Je cherche beaucoup et rien ne vient facilement même si, en vieillissant, on sait mieux ce qu’on veut. Par exemple, je ne veux plus faire huit choses en même temps. Mon spectacle Condamné à l’excellence a pris cinq ans de ma vie et, à un moment, j’en ai fait trop et je me suis brûlé. Je ne veux plus ça. Je travaille sur Les beaux malaises (TVA) à temps plein depuis trois ans. Ça me permet d’avoir des horaires respectables. Et ça me donne beaucoup de bonheur. À cause de la qualité de vie, de l’écriture, du défi, de la fierté de réussir à créer une série comme celle-là.

Je travaille fort, je suis exigeant envers moi-même et envers les autres. Des fois, j’aimerais ça être plus fin avec mes enfants, avec les gens que je côtoie dans mon travail. Mais je suis impatient, et je ne suis pas fier quand je me fâche. Je crois qu’on peut s’améliorer un petit peu à gauche et à droite, mais qu’on reste fondamentalement le même qu’à 20 ans. J’apprends donc à gérer cette impatience, j’essaie d’être la meilleure personne possible pour moi et pour mon entourage. J’espère être un bon père – je pense que je le suis. Avec mes forces et mes faiblesses.

Le gars fier

J’ai une grande affection pour la société québécoise. J’aime ce que l’on est, ce que l’on fait. Ce qui m’énerve, c’est le côté colonisé qu’on sent encore. Le côté « né pour un petit pain ». C’est comme dans notre ADN. Exemple : dans les Alpes, un Français me demande si je suis bon en ski. « Pas mal », que je lui réponds. « Et vous ? » – « Je suis top. J’ai fait tous mes niveaux. » Moi aussi, j’ai fait tous mes niveaux, mais je lui ai répondu que je me débrouillais…

J’ai été élevé dans un petit bungalow à Laval. Mon père avait son entreprise et, à une époque, il faisait des sous. Je me suis fait insulter à l’école parce qu’on roulait en Cadillac. Ça devait être génétique, les enfants se faisaient dire par leurs parents : « Regarde le crosseur, il a un gros char. » Tu n’es pas une moins bonne personne parce que tu as des sous. Bill Gates, un des hommes les plus riches du monde, est aussi l’un des plus grands philanthropes de la planète. Je ne dis pas qu’il faut faire de l’argent. Mais il n’y a pas de mal à ça non plus.

Ce gros tabou nous a empêchés de nous épanouir. C’est pour casser ça que je montais sur scène en disant que j’étais le plus grand humoriste de la planète. C’était de l’humour, évidemment. Mais être fier de soi comme médecin, comme libraire, comme charcutier, c’est beau, je trouve. Moi, je suis heureux quand je suis fier d’un épisode bien écrit, bien fait. Et quand je prends le métro à Londres et que les rames sont signées Bombardier.

L’amoureux des arts 

Je lis tout le temps. Des romans, en général. En ce moment, c’est Le royaume, le dernier Emmanuel Carrère. Avant ça, j’ai lu Tag, de mon ami Ghislain Taschereau. Un Baricco aussi, d’une grande poésie, d’une beauté telle que je me dis que s’il me reste 1 % de ce que j’ai lu, pour trouver le mot juste, ce sera bien.

Je suis un passionné de peinture. Les classiques, mais surtout l’art contemporain. Des artistes d’ici comme Marc Séguin, Corno. Et Jean-Pierre Lafrance, pas très connu, mais que j’adore. J’aime beaucoup l’abstrait, les couleurs, l’énergie qui se dégage d’une toile. J’en ai acheté quelques-unes. Par exemple, une œuvre de Daniel Grenier (des défunts Chick’n Swell), qui est l’un de mes amis. Des Marc Séguin, j’en aurais bien trois ou quatre. Mais j’y vais avec parcimonie ; c’est une question de budget aussi…

Quand je suis assis chez moi devant une belle toile, je l’admire, ça m’apaise. La musique, c’est la même chose. Toute œuvre m’émeut. Il m’a fallu du temps avant d’assumer qu’il y a quelque chose de très beau et de très noble dans l’humour aussi. Un musicien, un humoriste, un chanteur, un peintre expriment quelque chose. C’est vraiment proche, finalement.

Le créateur

Douze émissions des Beaux malaises, c’est une année de travail. Six ou sept mois d’écriture, les tournages, les montages. Le plus beau défi n’est pas de le tourner ou de le monter, c’est d’écrire 25 pages par semaine et que ce soit drôle. Parfois, j’écris 10 versions d’un épisode. Si quelqu’un me dit qu’il a été touché mais qu’il n’a pas ri, pour moi, c’est un échec.

Je m’intéresse à la politique et à ce qui se passe dans le monde, mais je n’ai pas envie d’écrire là-dessus. Ce qui m’allume, c’est la chicane entre toi et ta blonde au sujet des enfants, le travail, la vie de fou qu’on mène. Je parle de ce qui m’émeut et me touche, mais je cherche à aller le plus loin possible. Et ça m’énerve que quelqu’un décide que je ne peux pas dire ci ou ça à la télé. Alors je le dis quand même. Pas pour baver, mais pour prouver que c’est possible, que les gens sont capables d’en prendre et d’en rire. J’ai écrit un épisode sur le sexe handicapé. Le jour de la diffusion, j’ai reçu 6 000 messages. Positifs dans leur immense majorité. Alors…

J’ai déjà fait des choses comme Caméra café ou Km/h. C’était correct il y a 10 ou  15 ans, mais on n’en est plus là. Notre télé est en compétition avec des séries comme Breaking Bad (AMC ; Le chimiste, AddikTV, au Québec) ou Curb Your Enthusiasm (HBO ; Cache ta joie, Super Écran, au Québec). Ça modifie notre façon d’écrire et de tourner. En drame, il y a eu beaucoup de belles grandes séries. Mais en comédie, bien moins. Pour Les beaux malaises, j’avais envie d’un gars de cinéma, comme Francis Leclerc, je voulais une grande qualité de réalisation. Et ça m’émeut que ce soit aussi bon.

Le skieur

Je capote sur le ski alpin. Ça va vite, c’est thrillant… Je pratique ce sport depuis que je suis tout petit. J’ai fait de la compétition, mes enfants aussi. Quand j’étudiais à l’université, je travaillais comme vendeur chez André Lalonde Sports et j’essayais des skis pour les fournisseurs. Récemment, une petite entreprise québécoise, Raccoon, m’a demandé de tester ses skis. J’ai été impressionné et je me suis associé à eux.

Une fois par année, j’organise avec des amis un voyage de ski un peu plus extrême dans de grosses montagnes. On est là une semaine, on se loue un chalet, on se fait des bouffes… Je me rappelle le premier grand voyage de ce genre que j’ai fait, c’était dans les Alpes françaises, j’avais peut-être 30 ans. J’étais sur le balcon à prendre une bière après une journée de ski, et je me suis dit que c’était peut-être le plus beau jour de ma vie.

Le bienfaiteur

Mon frère Christian est devenu traumatisé crânien à la suite d’un accident de voiture. Notre famille a beaucoup souffert du manque de ressources de répit et d’hébergement. La Fondation Martin-Matte est issue de cette souffrance. Mon frère est passé par 19 maisons d’accueil en 20 ans. Le but ultime de la Fondation Martin-Matte était de lui offrir un milieu de vie. À lui et à d’autres. Des traumatismes crâniens sévères, il y en a 10 par jour au Québec. Et un jeune homme de 22 ans qui, après un accident d’auto, se retrouve dans un CHSLD pour le restant de ses jours, c’est dégueulasse.

Mais le système de santé ne suffit pas aux besoins. Nous avons recueilli des millions de dollars depuis neuf ans. Une troisième Maison Martin-Matte – après celles de Laval et de Sherbrooke – ouvrira ses portes ces jours-ci à Blainville. Deux autres devraient s’ajouter dans l’avenir, à Québec et Trois-Rivières. On offre aussi un gros programme de répit pour les familles, des camps, des activités. La Fondation ne fait pas tout de A à Z, mais elle est un acteur important. Pour la Maison de Blainville, par exemple, on s’est engagés pour un million de dollars. Disons que ça fait bouger les affaires…

Je ne voulais pas que la Fondation porte mon nom. J’ai assez de reconnaissance, je n’ai pas besoin de ça. Mais Michel Ostiguy et Roger Gariépy de l’agence Bos, à qui j’avais proposé de siéger au conseil d’administration, m’ont dit : « Tu veux aider le plus de monde possible, tu veux ramasser des sous ? Alors il faut ton nom. » Et j’ai décidé de prendre sur moi, d’assumer.

Je donne aussi une partie des ventes de billets pour mes spectacles à la Fondation. Au départ, je n’avais pas le courage de demander de l’argent aux spectateurs. Puis, un jour, j’étais à Wilfrid-Pelletier pour 10 soirs, et je me suis lancé. J’ai demandé aux gens qui le désiraient de donner un petit quelque chose. Je me suis ramassé avec tellement de monnaie, c’était fou ! Les techniciens m’aidaient à mettre ça dans des sacs et à tout transporter jusqu’à ma voiture. On roulait les sous dans la cour chez nous, ma mère venait nous aider. Alors ma blonde a appelé Garda, qui a accepté de sécuriser tout ça. On a recueilli 200 000 $ en un peu plus d’un an de tournée.

Je préside chaque conseil d’administration de la Fondation, j’anime tous les évènements – le souper annuel, le tournoi de tennis –, je vais chercher les chèques. Ça me prend une dizaine d’heures par semaine. J’aimerais que, d’ici un an ou deux, quelqu’un d’autre prenne la présidence. Je resterais porte-parole et membre du C.A.

Cette Fondation, c’est un petit côté de ma vie dont je suis bien fier.

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