Famille tout compris

Militer contre la commercialisation de la naissance

Marianne Prairie a vu Naître dans ce monde de Noemi Weis et outre le discours pro-allaitement du documentaire, c’est un fascinant plaidoyer contre la commercialisation de la naissance et de l’allaitement, écrit-elle.

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Milk_Poster_Final_« J’espère provoquer la discussion. Je souhaite un changement social. » La réalisatrice, scénariste et productrice Noemi Weis répètent souvent ces mots lorsqu’elle parle de son documentaire Naître dans ce monde (version française de Milk). La cinéaste argentino-canadienne œuvre depuis des années à la promotion des droits de la personne et milite toujours avec ses films pour une meilleure justice sociale. Le p’tit dernier s’attarde à un enjeu mondial : l’industrialisation et la commercialisation de la naissance, mais surtout du lait pour les nourrissons.

D’entrée de jeu, on met la table : « Ce n’est pas à l’avidité des corporations de nourrir les enfants, mais aux mères. » Des millions de femmes dans le monde n’allaitent pas parce qu’elles sont mal informées, mal conseillées par des professionnels de la santé non formés, laissées à elles-mêmes et influencées par le marketing féroce des multinationales du lait maternisé qui brassent des dizaines de milliards de dollars annuellement. Soyez donc averties, Naître dans ce monde est pro-allaitement.

À la suite d’un périple de 9 mois (comme une grossesse… ça ne s’invente pas) où elle a tourné dans 11 pays et visité 35 villes, Noemi Weis a assemblé les témoignages de mères, les points de vue d’experts et de magnifiques scènes empreintes de douceur et de force maternelle. Le film s’ouvre d’ailleurs sur deux Kenyannes souriantes, allaitant leurs bambins à quelques pas de leur hutte, en fort contraste avec les images suivantes d’une Nord-Américaine en sueur et en pleurs dans une salle d’accouchement d’hôpital éclairée au néon.

Kenya-Two Massay moms

Tout au long du film, on se balance entre ces scènes lentes, en pleine nature, dépeignant des rituels ancestraux ou des mères paisibles, et des images du monde industrialisé. Un accouchement empreint de prières chez les autochtones brésiliennes, une Canadienne qui énumère tous les échantillons gratuits et non sollicités de lait maternisé qu’elle a reçu après la naissance de son enfant, une Française qui allaite sa fille de presque 4 ans et son bambin, de jeunes mères philippines qui donnent du colorant à café (un substitut végétal blanc, sans produits laitiers) à leur bébé parce que c’est le produit le moins cher qui ressemble à du lait…

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Le résultat m’est apparu comme une vaste fresque impressionniste qui m’a fait prendre conscience d’une chose essentielle. Si au Québec, le biberon est plutôt mal vu et la pression pour allaiter est ressentie par bon nombre de nouvelles mamans, le portrait à l’échelle mondiale est tout à fait différent. Les femmes les plus vulnérables, en manque de ressources matérielles ou peu éduquées, sont les cibles principales de campagnes de marketing aux effets dévastateurs sur elles et leurs bébés.

Philippino mom and malnourished baby

Le moment fort du documentaire expose d’ailleurs les terribles conséquences de l’envoi massif de préparations lactées pour nouveau-nés dans les zones en situation d’urgence. À la suite de l’ouragan Yolanda qui a ravagé les Philippines en novembre 2013, toutes les mères de la zone touchée ont reçu du lait maternisé, même celles qui allaitaient déjà. Ce produit, don de l’étranger (donc perçu comme meilleur que le lait maternel, parce qu’importé et « gratuit »), a été adopté par une majorité d’entre elles. Mais au bout de deux mois, l’approvisionnement a été brusquement interrompu. Les mères n’ont pu reprendre l’allaitement qui s’était tari. Six mois plus tard, 50 % des bébés de la région souffraient de malnutrition aiguë.

« C’est un drame qui se produit trop souvent », a raconté Noemi Weis après la projection montréalaise de cette semaine. « La même chose s’est passée avec l’ouragan Katrina, la guerre en Syrie, les réserves autochtones canadiennes aussi. » Et elle est la première à révéler cette situation préoccupante dans les médias et sur la place publique.

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Finalement, bien que l’excellent travail d’investigation transparaisse dans la diversité et la qualité des intervenants, certaines statistiques lancées comme des petites bombes m’ont fait tiquer, comme le fait de lier le non-allaitement à l’obésité, au diabète et au cancer.

Le documentaire a déjà été présenté plus d’une centaine de fois dans des groupes communautaires répartis dans 90 pays différents afin de susciter les discussions entre femmes, les éduquer et les mobiliser. Un film à voir comme un geste de résistance et de solidarité : contre le corporatisme sauvage, avec les mères moins privilégiées de la planète.

Naître dans ce monde sera diffusé en primeur à TV5 le 1er mars 2016 à 20h et disponible la semaine suivante en rattrapage sur le site web de TV5.

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Pour écrire à Marianne Prairie: chatelaine@marianneprairie.com

Pour réagir sur Twitter: @marianneprairie

Marianne Prarie est l’auteure de La première fois que… Conseils sages et moins sages pour nouveaux parents (Caractère)

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