Couple et sexualité

Chez les milléniaux, l’amour n’a pas de sexe

Aimer un garçon, puis une fille, et peut-être de nouveau un garçon… Les milléniaux sont plus que jamais ouverts à la fluidité sexuelle. Pour le meilleur et pour le pire?

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Photo: Guille Faingold/Stocksy

«Pour les milléniaux (nés entre 1980 et 2000) nord-américains, la fluidité sexuelle – aussi appelée hétéro ou homoflexibilité – est presque devenue banale.» 

Des filles féminines ou plutôt tomboys ? Des gars poilus-barbus ou moins typés masculins ? Camille Martin, 24 ans, n’a pas de préférence. « Je ne penche pas plus d’un côté que de l’autre : quand je suis en amour, c’est avec une personne, pas avec un sexe ! » Crâne rasé et collection d’anneaux au nez et aux oreilles, elle est en couple avec un gars, mais a eu « beaucoup d’amourettes » avec des filles à l’adolescence et n’exclut pas d’y revenir un jour. La jeune femme de Québec, conseillère en produits naturels, est d’orientation « fluide ».

Pour les milléniaux (nés entre 1980 et 2000) nord-américains, la fluidité sexuelle – aussi appelée hétéro ou homoflexibilité – est presque devenue banale. Je n’ai eu aucun mal à trouver des jeunes disposés à me raconter leur parcours amoureux et sexuel fluctuant au gré des rencontres et des périodes. « Aimer les gars et les filles, c’est comme aimer le thé et le café : on n’est pas obligé de choisir », dit Vincent Plourde-Lavoie, un étudiant montréalais de 25 ans qui se qualifie de « bicurieux ». D’autres se disent bisexuels, pansexuels ou queer, et tous semblent plutôt bien dans leur peau, ne ressentant ni gêne ni culpa­bilité. « Je suis joyeusement monogame avec ma copine depuis cinq ans », affirme Alexis*, 26 ans. Né et élevé à L’Assomption, dans Lanaudière, cet étudiant a eu des coups de cœur pour des garçons au primaire et au secondaire. « Si je me retrouvais célibataire, je pourrais tomber amoureux d’un homme : pour moi, le sexe n’entre pas en ligne de compte. »

Les milléniaux et la fluidité sexuelle

Dans l’histoire récente, c’est la sexologue américaine Lisa Diamond qui a, la première, parlé de « fluidité sexuelle » en 2000. Car celle-ci ne date pas d’hier. Dans la Grèce puis la Rome antiques, la bisexualité était répandue et valorisée. En 1920, Sigmund Freud élaborait une théorie selon laquelle la bisexualité est innée, latente chez tous les hétérosexuels. Et, au tournant des années 1950, le biologiste américain Alfred Kinsey mettait au point une échelle d’orientation sexuelle (graduée de 0 à 6 entre hétérosexualité et homosexualité), à laquelle se réfèrent bien des milléniaux.

Enfants de la Charte des droits et libertés, ces derniers se sont nourris au respect des différences. « Ils ont été socialisés à une époque qui accorde de la légitimité aux décisions individuelles, même lorsqu’elles vont à l’encontre des normes dominantes ou des traditions établies », dit le sexologue et sociologue Martin Blais, professeur au Département de sexologie de l’UQÀM et chercheur à la Chaire de recherche sur l’homophobie. « Ils sont aussi très proches de leurs besoins affectifs et sexuels, ajoute Valérie Major, sexologue et intervenante à Jeunesse, J’écoute. Leur bonheur a préséance sur tout le reste. »

Les années 1980 représentent par ailleurs un tournant : celui où la procréation se sépare de la sexualité. « Cela s’est fait très progressivement, avec la pilule, la procréation médicalement assistée, etc. », rappelle le psychanalyste français Jean-Pierre Winter, auteur de nombreux ouvrages sur l’amour, la transmission et l’homoparentalité.

Mieux accepté

Regard bleu décidé et poignée de main solide, Coralie L’Espérance, 20 ans, assure n’avoir jamais eu d’états d’âme par rapport à son orientation sexuelle. « Ça s’est fait tout seul », raconte la jeune femme qui a fait « une pause des études » et travaille dans un resto de patates frites. « À un moment donné, je fréquentais une fille, à un autre un gars, mais je ne me suis jamais dit “Ah mon Dieu, est-ce que je suis bi ou quoi ?” » Quant à ses parents – mère au foyer et père dans la construction –, ils n’ont pas bronché lorsqu’elle leur a parlé de ses amours. Même chose pour Maya, rencontrée avec Coralie dans un café montréalais. « Je n’ai vécu ni intimidation ni rejet. » Et son conjoint ne s’est jamais senti menacé par la bisexualité de la jeune femme. Ses parents – mère, cuisinière dans un CPE, et père, enseignant au collégial – ont aussi bien réagi. « Sans doute parce que je me conforme à ce qu’on attend de moi, dit la future biologiste, en robe à pois et veste fleurie. Je fais attention à la façon dont je m’habille, je réussis dans mes études et j’essaie d’éviter les conflits. »

En sortant du placard, les stars contribuent à démystifier la chose. Comme Cœur de pirate, qui s’est déclarée queer au lendemain de la tuerie dans une discothèque gaie d’Orlando. « Je fais mon coming out pour ma fille, qui a besoin d’apprendre que l’amour n’a ni race ni religion ni orientation sexuelle », a-t-elle expliqué. Ou Lily-Rose Depp (fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis), bi­sexuelle, qui a posé pour le projet américain Self Evident Truths, visant à photographier 10 000 personnes se considérant « tout sauf 100 % hétérosexuelles ». Sans oublier une foule de youtubeurs/tubeuses, comme la Québécoise Lysandre Nadeau.

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Photo: Alexey Kuzma/Stocksy

Des préjugés tenaces

La société québécoise a beau être ouverte d’esprit, et les familles mieux informées, les préjugés ne sont pas morts. « La bisexualité est souvent perçue non pas comme une orientation sexuelle à part entière, mais comme un stade d’expérimentation », observe Marie-Aude Boislard, professeure au Département de sexologie de l’UQÀM.

« Suis-je hétéro, homo, bi ? Ils sont plus nombreux qu’avant à se poser la question, parce qu’ils voient davantage de diversité autour d’eux », note la sexologue Valérie Major. Amigaëlle Paquette, étu­diante en éducation spécialisée au Cégep de l’­Abitibi-Témiscamingue (campus de Rouyn-Noranda), lui donne raison. « Au secondaire, je ne me comprenais pas, j’étais indécise. Tout le monde pensait que j’étais lesbienne parce que j’étais sortie avec des filles. » En couple avec sa meilleure amie durant deux ans, jusqu’au printemps dernier, l’adolescente sort maintenant avec un garçon et ne se casse plus la tête. « Je pourrais me marier ou avoir des enfants avec un gars ou une fille. » D’autres craignent ­cependant d’en parler à leurs parents. « On les amène à remettre en question la nécessité de se définir tout de suite, dit Valérie Major. Encore de nos jours, ce ne sont pas toutes les familles qui acceptent d’avoir des enfants homos ou bis. Selon l’éducation reçue, ceux-ci peuvent éprouver de la honte. »

Pas toujours facile…

Cheveux ras et pier­cing lingual, Mélinda Myrand s’est décidée un jour à parler de sa bisexualité à sa mère. Et c’est plutôt cette dernière qui a vécu l’aveu comme une honte. « Je suis d’origine haïtienne, et maman est très religieuse, dit la jeune femme, ­assistante-gérante au rayon des viandes d’un supermarché, à Montréal. Pour elle, ç’a a été une catastrophe : la bisexualité, c’est mal vu dans toute la communauté. » Mélinda avait alors 18 ans et sa mère, qui l’élevait seule, l’a mise à la porte. « Je ne m’y attendais pas : elle est travailleuse sociale ! » Elle ne l’a jamais revue. Son père, également haïtien et qu’elle n’a connu qu’à l’adolescence, a été plus conciliant. « On est en bons termes et il adore ma copine. »

Et le chemin peut être plus ardu hors des grands centres. « Surtout lorsque l’accès à des modèles, à des communautés et à des services est restreint », souligne la sexologue Marie-Aude Boislard. Ariane Blanchette en sait quelque chose. Adoptée en Haïti, elle a été élevée dans un village du Lac-Saint-Jean par une mère seule, infirmière. « Que tu sois homo ou bi, c’est cent fois plus difficile en région, surtout quand tu es noire! » Désormais installée à Québec, Ariane est DJ dans un resto-bar.

« Dans mon village, j’étais gênée par mes sentiments, mes attirances : on me laissait voir que je n’étais pas normale d’aimer autant les filles que les gars, et je le croyais, relate-t-elle. À Québec, je peux enfin être moi-même. »

La fluidité sexuelle semble mieux acceptée pour les filles que pour les gars. « Une fille qui couche avec une fille, c’est hot, sexy, mais un gars qui couche avec un gars c’est une tapette », observe Jérémie Gauthier-Caron, bisexuel et queer. À l’aise avec son identité, cet étudiant montréalais est troublé de voir combien la masculinité et l’hétérosexualité demeu­rent importantes pour bien des jeunes hommes. « Il ne faut surtout pas avoir l’air fif ! »

Vivre sa vie

La fluidité peut-elle engendrer de la souffrance ? « Bien sûr, répond Martin Blais, mais la douleur ne tient pas à l’attirance qu’on éprouve, mais plutôt au regard que la société porte sur ceux qui ont ces désirs. » Cette situation peut être très saine quand on la vit dans l’acceptation de soi, fait observer la sexologue Valérie Major. « Si, par exemple, on choisit les femmes par peur des hommes sans que cela nous définisse vraiment, il sera impossible de s’épanouir », dit-elle. Quant au psychanalyste Jean-Pierre Winter, il souligne qu’un seul signe permet de savoir si ce comportement est bon ou mauvais pour soi. « Ce n’est pas de savoir si c’est bien ou mal, ni si ça correspond à une norme ou pas. L’unique critère, c’est l’angoisse, et le problème c’est qu’on n’y a pas accès tout de suite : elle peut apparaître beaucoup plus tard, c’est imprévisible. »

Selon l’étude sur les Parcours amoureux des jeunes (PAJ) menée auprès de plus de 8 000 Québécois, 11 % des 14-18 ans se disent attirés par des personnes des deux sexes. Et dans une synthèse d’enquêtes canadiennes, les jeunes LGBT comptaient pour 16 % des 14-25 ans. Difficile de savoir quel impact cela aura sur la famille et la société de demain. Plus d’ouverture ou, au contraire, retour du balancier ? Là encore, tout pourrait dépendre des avancées scientifiques, croit Jean-Pierre Winter. « Utérus artificiel ? Clonage ? Quand on n’aura même plus besoin d’un partenaire pour se reproduire – ni même simplement d’un gamète de ce partenaire – les choses seront bien différentes ! »

* Certains jeunes interviewés préfèrent taire leur nom de famille.

LGBTQIA etc.

Le sigle désignant les personnes non strictement hétérosexuelles ne cesse de s’allonger. De LGBT (personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles ou transidentitaires), on est passé à LGBT+ (ou LGBT*) et à LGBTQIA etc. Q pour queers (« étranges » en anglais ; rejetant les normes de genre et d’orientation sexuelle) ou « en questionnement » ; I pour intersexués/intersexuels (auparavant qualifiés d’hermaphrodites) ; A pour asexuels (et alliés); le plus (+) ou l’étoile (*) étant également utilisé pour représenter les autres personnes non hétéro ou cissexuelles (dont l’identité de genre correspond au sexe biologique ou assigné à la naissance). Et certains revendiquent l’ajout du P pour pansexuels, incluant les transgenres.

Sources  : Marie-Aude Boislard, professeure au Département de sexologie de l’UQÀM ; Lexique LGBT sur la diversité sexuelle et de genre en milieu de travail – Chambre de commerce gaie du Québec

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