L'édito

«Ouf, je n’ai pas de fille!»

Cette phrase, presque toujours lancée avec un soupir de soulagement, trône en haut de la liste des réactions qui m’horripilent. Depuis un bout, je dois dire. Mais disons que j’ai eu davantage l’occasion de saigner des oreilles au cours de ces tristes semaines où les fugues d’adolescentes ont fait la manchette.

Photo: iStock

Bien sûr, tout le monde a un pincement au cœur en lisant sur ces mineures et les risques, plus qu’élevés, qu’elles tombent entre les mains de proxénètes. Mais, cette émotion passée, les quidams se divisent en deux catégories : ceux pour qui ces histoires n’auront pas de suite, et les autres, qui ont une victime potentielle sous leur toit. À ces derniers revient l’angoisse de se demander comment bien informer leur fille des stratagèmes du crime organisé et des glissements possibles des partys « chez un ami » qui n’en est pas un. À eux les nuits blanches quand l’ado commence à avoir de drôles de fréquentations et remplace ses idoles de One Direction par un gars plus vieux « qui ne l’a pas eu facile, tu ne peux pas comprendre ». On sait maintenant qu’avoir une enfant brillante, entourée d’amour et de modèles positifs ne nous épargne pas le risque qu’elle mette le doigt dans un engrenage infernal.

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Pourtant, ce poids ne devrait pas reposer sur les parents de fillettes. Du moins pas uniquement. L’exploitation sexuelle, c’est le problème de toute une société, de tout citoyen digne de ce nom. Il faut collectivement choisir d’investir dans la prévention et décider de ne plus banaliser ce type de crimes. Car oui, la prostitution est encore illégale. Et elle n’a rien d’une jolie PME : au moins 80 % de ses travailleuses sont sous l’emprise d’un pimp.

En tant que mère d’une préado et d’un petit bonhomme, j’en ai assez de devoir ajouter trois annexes à mon discours sur la prudence quand vient le temps de parler de ce sujet à mon aînée. J’ai beau vouloir éviter de l’éduquer dans la peur, je ne peux faire semblant qu’elle n’est pas plus vulnérable que son frère. Commentaire inutile à m’envoyer : les gars aussi ont leurs problèmes. Merci, je suis très au courant des statistiques sur le décrochage scolaire, le suicide, l’itinérance. Voilà une autre bonne raison d’arrêter de penser qu’il est plus facile d’élever un garçon. Sauf qu’il ne faut pas pour autant négliger avec eux les discussions sur l’égalité, le respect, le consentement, la portée des mots utilisés pour parler d’une femme. Et être conscient de nos comportements d’adultes.

S’il y a des victimes, c’est qu’il y a des prédateurs. Les proxénètes, bien sûr. Mais aussi les consommateurs qui, pour la plupart, n’ont rien du désaxé tel qu’on l’imagine. Plutôt un homme sans histoire – un collègue, votre frère, votre conjoint ? – qui, tout en sachant que son comportement n’est pas matière à se vanter, n’y voit rien de bien grave non plus. Peut-être parce que ses parents, un jour, se sont dit : « Ouf, je n’ai pas de fille ! »

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