Féministe tout compris

Pourquoi ne se soucie-t-on pas du sort de Homa Hoodfar?

Emprisonnée à Téhéran depuis le mois de juin dernier, la Canado-Iranienne Homa Hoodfar risque le pire pour ses convictions et recherches féministes. Mais les Québécois ne semblent pas se préoccuper de son sort. Pourquoi? demande Marianne Prairie.

Bandeau_web_MPrairie - FéministeJ’aimerais ajouter ma voix à toutes celles qui s’élèvent en ce moment pour réclamer la libération de la prisonnière d’opinion Homa Hoodfar. Restez ici avec moi deux minutes et résistez à l’envie d’aller chercher une recette pour votre souper de demain. Ce sera pas long. C’est important.

Si vous regardez les actualités, peut-être savez-vous que cette anthropologue montréalaise, professeure à la retraite de l’Université Concordia, est incarcérée dans une prison iranienne depuis trois mois. En mars, elle quittait Montréal pour visiter de la famille et faire des recherches, mais interrogée à plusieurs reprises sans pouvoir bénéficier de la présence d’un avocat, on lui a confisqué ses effets personnels. Puis, le 6 juin dernier, la Canado-Iranienne de 65 ans a été arrêtée et mise en détention en isolement pour des accusations qui n’ont toujours pas été révélées par les autorités.

En effet, on peut supposer que sa carrière de chercheuse et experte de la situation des femmes musulmanes et de leur place dans la vie politique ait attiré l’attention des Gardiens de la Révolution, une puissante organisation paramilitaire iranienne. Selon les documents publiés par la branche canadienne francophone d’Amnistie internationale, Homa Hoodfar a été questionnée sur ses convictions et recherches : « Ceux qui l’ont interrogée lui ont également posé des questions telles que : “Êtes-vous féministe?” et “Qu’est-ce que le féminisme?”» Selon eux, les intérêts et activités de Homa Hoodfar menaceraient la sécurité du pays.

Feminisme.tout.compris.Homa.Hoofdar.UneLa chercheuse se trouve dans la tristement célèbre prison d’Evin, à Téhéran. En 2003, c’est au même endroit que la photographe Zhara Kazemi, une autre Canado-Iranienne, était décédée des suites de ses blessures après avoir été battue, torturée et violée. Plusieurs dissidents politiques au régime iranien y sont également détenus dans des conditions épouvantables.

Depuis son emprisonnement en juin, on est presque sans nouvelles de Madame Hoodfar, mais on sait cependant que ses droits sont assurément bafoués: son avocat ne peut lui rendre visite, elle est sans contact avec sa famille et est privée des médicaments qui traitent la grave maladie neurologique dont elle est atteinte. On a appris récemment qu’elle avait été hospitalisée pendant l’été et que son état de santé s’était si aggravé, qu’elle pouvait à peine parler et marcher. C’est très très préoccupant.

Le Canada a fermé son ambassade iranienne en 2012 et n’entretient plus de relations diplomatiques avec le pays, ce qui rend encore plus complexe la négociation pour le renvoi de Homa Hoodfar en sol canadien. Plusieurs articles soulignent qu’elle pourrait être une « monnaie d’échange » pour l’Iran qui souhaiterait l’utiliser comme argument pour négocier dans des dossiers qui n’ont aucun rapport avec elle.

Ce qui m’attriste, c’est que si la classe politique et juridique a manifesté une vive inquiétude par rapport à cette injustice criante, la moyenne des ours québécois ne connait pas la situation de Madame Hoodfar et j’oserais même dire qu’elle s’en soucie peu. Une professeure d’une université anglophone, qui s’intéresse aux femmes musulmanes, avec un nom qui ne sonne pas « canadien-français », prise dans une prison dans un pays lointain qu’on peine à identifier sur une carte… Y’a deux trois-quatre solitudes là-dedans. Et je m’inclus là-dedans. Je ne connaissais pas du tout le travail de madame Hoodfar et je ne saurais pointer l’Iran sur la mappemonde avec certitude. Je n’en suis pas fière.

C’est pourquoi j’ai choisi d’en parler sur ma tribune hebdomadaire. Pour faire amende honorable et surtout parce qu’on tend à oublier que les femmes qui mènent des « activités féministes » le font parfois au péril de leur vie, encore en 2016. Quand l’une d’elle se fait emprisonner et déposséder de ses droits pour s’être penchée sur la situation d’autres femmes, il faut que ça se sache, il faut que ça circule, il faut que ça se partage. Et malheureusement, on le sait tous, on est bien plus prompts à partager une recette de souper de semaine qu’une nouvelle concernant une intellectuelle d’origine canado-iranienne.

Je vous invite à signer la pétition qui exige la libération d’Homa Hoodfar. Ça prend 30 secondes et c’est le moindre qu’on puisse faire, littéralement. Partagez-la ou parlez-en autour de vous.

Ensuite, vous ferez comme moi, lorsqu’on aura terminé ce texte : trouver l’Iran sur la carte du monde et s’en souvenir pour le restant de nos jours.

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Pour écrire à Marianne Prairie: chatelaine@marianneprairie.com

Pour réagir sur Twitter: @marianneprairie

Marianne Prarie est l’auteure de La première fois que… Conseils sages et moins sages pour nouveaux parents (Caractère)

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