Société

Puberté hâtive : être ado à 8 ans

Assumer un corps d’ado quand on est en âge de jouer à la poupée, c’est difficile.

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Des seins à sept ans, des menstruations à huit ou neuf, c’est possible. Et même de plus en plus fréquent, selon certaines études scientifiques. C’est ce qu’on appelle la puberté hâtive. Les médecins montrent du doigt l’obésité et l’hérédité, mais aussi des perturbateurs endocriniens, qu’on trouve entre autres dans le plastique et les pesticides. Assumer un corps d’ado quand on est en âge de jouer à la poupée, c’est difficile. Quelques jeunes femmes qui ont vécu cette situation ont accepté de raconter leur expérience à la caméra. Grande fille !, un documentaire réalisé par la cinéaste Hélène Choquette et produit par l’ONF, sera diffusé le 9 octobre à 20 h sur RDI. Châtelaine a demandé à deux spécialistes comment les parents peuvent aider leur fille qui grandit plus vite que prévu.


Garine Papazian, psychologue spécialiste de l’enfance et professeure de psychopédagogie à l’Université de Montréal


La puberté hâtive, c’est nouveau ?
Je ne pense pas. Ce qui est sûr, c’est qu’on en parle et qu’on l’étudie davantage. On incrimine l’alimentation, l’environnement, l’hérédité… mais il pourrait aussi y avoir des causes psychologiques. L’être humain est un tout : on ne peut pas séparer le développement physique du développement affectif, social, cognitif. Quand on a des problèmes psychologiques, le corps parle.

Que se passe-t-il quand ça arrive à une fillette de sept ou huit ans ?
Les changements hormonaux et corporels entraînent des changements psychologiques. Notamment la curiosité et l’excitation sexuelles, auxquelles elle n’est pas forcément prête. Même quand cette puberté se fait doucement, on remarque chez les adolescents, et plus particulièrement chez les filles, une dépression, un deuil causé par la perte de l’enfance, de l’innocence. Alors, si elle survient brusquement, la fillette ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle peut vivre les premières menstruations comme un traumatisme. À cet âge-là, le sang est synonyme de blessure et d’agressivité ! Une fillette précoce ne parvient pas -toujours à trouver sa place. Ses amies sont encore des petites filles qui ont envie de sauter à la corde, d’aller au parc. Les autres enfants vont-ils lui faire des remarques, se moquer d’elle ? Si elle vit mal cette situation, elle pourrait tomber dans l’anorexie, pour garder un corps d’enfant, ou bien la boulimie, pour annuler ses formes.

Que peuvent faire les parents ?
La puberté hâtive chamboule toute la famille, et souvent les parents sont tristes. S’ils nient les changements, la fillette ne sera pas en mesure de les accepter. C’est lorsqu’on en parle que les choses commencent à exister et qu’on peut les gérer. Il faut accepter que sa fille passe à une autre étape, normale même si elle a été un peu accélérée. Si on y arrive, on est sur la bonne voie. Il faut être présent, rester attentif et garder son calme, en expliquant à l’enfant les menstruations et les changements corporels sans tabou. Ça va déjà rendre ce passage plus facile. Si elle a des questions, on y répond à son rythme, sans devancer ses besoins. Elle n’est pas forcément prête à tout entendre, et ça pourrait fausser le rapport qu’elle a avec les garçons. Si elle n’ose pas en parler, on essaie de la rassurer, en ouvrant la discussion mais sans la brusquer. On peut dire : « Tu n’as pas besoin d’angoisser, c’est normal, tout le monde passe par là, tu l’as vécu un peu tôt, mais ça ne fait rien. » La mère devrait s’exprimer en premier, parce qu’elle est capable de partager son vécu. Le père aussi devrait être présent, pour montrer qu’il s’agit d’un phénomène normal et qu’on peut en parler. C’est important que l’authenticité de la relation parent-enfant ne soit pas perdue. Si le père est crispé toutes les fois que sa fille lui fait un câlin, celle-ci pourrait voir la puberté comme une punition.

Et l’école dans tout ça ?
L’enseignant doit être à l’écoute et accompagner la fillette. S’il voit qu’on lui fait des remarques ou qu’elle est intimidée, il devrait intervenir. Malheureusement, il n’y a plus de cours d’éducation sexuelle dans les écoles.

 

Sophie Brousseau, sexologue spécialisée dans l’éducation sexuelle des enfants et chroniqueuse pour le blogue Je suis une maman

Vous donnez des consultations en ligne. Quelles questions posent ces fillettes ?
« Est-ce que je suis normale ? » revient souvent. Elles ne savent pas ce qui leur arrive et à qui poser leurs questions. On pense être une société libérée, mais personne n’est totalement à l’aise de parler de sexualité. Avec les enfants, c’est -délicat. Les parents ne leur disent pas « pénis » ou « vulve », mais préfèrent inventer des mots plus vagues. Selon moi, ils aimeraient bien laisser cette tâche aux enseignants, mais craignent en même temps les questions au retour de l’école. Il y a un réel manque d’éducation. Certaines fillettes me demandent si elles auront leurs menstruations à longueur d’année ! Mon boulot, c’est de les rassurer et de leur expliquer. Les tampons, les serviettes… À cet âge, tout est compliqué. La petite fille doit grandir et gérer ça plus tôt. Elle peut être mal à l’aise dans son corps. Certaines ont le dos courbé. Il y a l’effet sac à dos, mais c’est aussi une façon de dissimuler ses formes. Les menstruations, ça se cache, mais le développement des seins et des poils, c’est plus difficile. Elle peut faire l’objet de railleries. C’est un âge où on rigole beaucoup, où on est gêné de ça. Et où l’on veut être comme les autres.

Comment aborder le sujet à la maison ?
On vérifie ce que sa fille sait et on lui explique la puberté en lui racontant sa propre expérience. Le papa aussi devrait parler. Cela permet à l’enfant d’avoir un autre regard sur la question. À l’adolescence, elle sait qu’elle va pouvoir lui demander conseil parce que, quand elle avait huit ans, il ne s’est pas moqué d’elle. Le parent aussi a le droit d’être gêné, et de l’exprimer. Dans ce cas-là, on peut dire : « Je vais aller chercher l’information » ou « Peut-être que Untel pourrait mieux t’expliquer que moi, parce que je ne suis pas très à l’aise avec le sujet ». On peut lui conseiller un site Internet ou laisser traîner un livre à la maison. On croit que l’enfant n’écoute pas, mais ça l’intéresse et, en cachette, elle va aller le lire.

C’est un risque de parler de sexualité avant l’adolescence ?
Au contraire, plus on fait de l’éducation sexuelle tôt, plus ça reporte le moment des premières fois. D’ailleurs, on devrait commencer dès deux, trois ans. Déjà, l’enfant s’interroge et, plus tard, il saura qu’il peut venir nous parler. Il revient aussi aux parents de poser des limites et de ne pas suivre la tendance à acheter des vêtements sexy et du maquillage aux petites filles.

L’école a-t-elle un rôle à jouer ?
Il faudrait qu’il y ait des intervenants au primaire. En éduquant les garçons, en expliquant aux enfants que c’est normal, que c’est une étape à passer, ça permettrait de protéger les fillettes précoces victimes d’intimidation. Consultation en ligne : amis-maux.com

 

À voir : la bande-annonce du film Grande fille! 

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