Boucar Diouf
Le Québec m’a aidé à m’affranchir d’une infirmité plus mentale que physique qui m’a accablé durant mon enfance. Quand la grande majorité des nôtres nous regarde comme un être incomplet, les poids s’accumulent sur notre tête et sauter aussi haut que les autres devient presque impossible. Les personnes qui nous aident à alléger un tel fardeau deviennent des alliés, des proches, des amis. J’aime le Québec et le remercie un peu comme quelqu’un souffrant du mal de vivre remercie le psychologue qui l’a aidé à retrouver le sourire. Quand j’ai réalisé, en arrivant ici en 1991, que les gens cherchaient plus mes yeux qu’ils ne scrutaient ma jambe maganée, mon cœur s’est ouvert et, depuis, je chante mon affection pour cette terre, un peu comme un oiseau fredonne les louanges du pays où il a passé la saison chaude. Au-delà de tout le reste, c’est cette acceptation totale de la différence, physique, intellectuelle, sexuelle et raciale, qui fait que j’adore cette nation.
Il y a aussi cette solidarité économique qui est à la base de ce grand privilège que nous avons de dormir en toute sécurité avec notre famille, sans craindre une violation de domicile. Ce Québec pacifique, réfractaire à la violence et aux fusils, comme en témoigne son acharnement au sujet du registre des armes à feu, s’est parfois construit en ralentissant pour ménager ceux qui ont vieilli ou ont hérité de lourds bagages de vie les empêchant de suivre la cadence. J’aime ce Québec qui accepte de trotter pendant que les autres provinces courent. Cette nation qu’on doit à une tradition de décideurs politiques qui savaient que, lorsque l’économie ne marche pas main dans la main avec le social et le communautaire, l’instabilité sous toutes ses formes n’est pas loin derrière.
Ce qui fait la force du Québec, c’est aussi son caractère très distinct, qui, au-delà de la langue, s’exprime dans cette distance que nous prenons avec le dogme religieux et les politiques conservatrices, qui nous donnent collectivement une crise d’urticaire. On pourrait aussi parler de la combativité de nos femmes et de la délinquance de nos créateurs, qui les amènent à se distinguer dans tous les domaines. Le Québec est loin d’être parfait, mais le charme réside parfois dans les imperfections et ça, c’est une Québécoise qui me l’a appris. J’ai longtemps maudit ces dents espacées qui se côtoient dans ma bouche sans se toucher. Du moins jusqu’au jour où la Gaspésienne qui partage ma vie m’a dit qu’elle les trouvait bien charmantes… Sa famille m’a déroulé le tapis rouge et m’a accepté comme un des siens malgré mes lointaines origines.
Comme immigrant, si j’aime cette nation, c’est parce qu’on m’y a proposé un vivre-ensemble dans une véritable laïcité. Entre les déboires du communautarisme inspiré du modèle britannique et ce Québec métissé serré qu’on tente de mettre en place, je suis absolument certain que c’est ici qu’on trouve le projet d’accueil et d’intégration de la diversité le plus ouvert.