Reportages

L’amour en deux temps

Quand une grande différence d’âge entre en ligne de compte, la vie d’un couple s’en voit affectée. Confidences de couples pour qui l’amour n’a pas d’âge.

Avoir 10 ou 20 ans d’écart avec son conjoint : un handicap ? Plutôt une force, comme en témoignent nombre de tandems. Même si ce n’est pas toujours facile à vivre sur le long terme. Confidences de couples pour qui l’amour n’a pas d’âge. 

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Mathilde Roy, 25 ans, journaliste et Maurice Gatto, 41 ans, directeur des ventes

En couple depuis 2 ans, pas d’enfant 

Nous nous sommes rencontrés… chez des amis communs, à Toronto, où nous habitions à l’époque.

Il m’a appris… qu’il existe beaucoup plus qu’un modèle de couple, et que ceux qui sortent de l’ordinaire se révèlent souvent extraordinaires. 

Elle m’a appris… l’importance de la famille. Ça me donne à mon tour envie d’en fonder une.

Mon plus grand bonheur… de voir que mon amour pour lui ne fait que grandir. 

Ma plus grande crainte… que la vieillesse m’empêche de faire ce que je veux, dit Maurice.

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« Prends l’âge de ton chum, divise-le par deux et additionne sept », me lance un collègue. Mon cerveau se met en quatrième vitesse. Résultat : 27 ! « C’est l’âge minimum socialement acceptable pour sortir avec lui », enchaîne-t-il. Mon visage se fige une fraction de seconde. Le hic ? J’en ai 25…

Cette règle mathématique est évidemment bidon. Elle renvoie à bien des clichés. Celui de l’homme quadra ou quinqua en quête de sa jeunesse perdue, de la jeune femme qui n’a d’yeux que pour le compte en banque de son roméo ou de la cougar à l’affût de sa prochaine proie. 

La première fois que j’ai fait allusion à l’âge de mon barbu, les réactions dans mon entourage ont été mi-figue, mi-raisin. J’ai senti le jugement de certaines amies. À l’autre bout du fil, mon père était sceptique. Puis, les appréhensions se sont volatilisées quand je le leur ai présenté. D’abord parce qu’il ne fait pas du tout son âge, mais surtout parce qu’on a bien vu que nous étions heureux.

Je me pose néanmoins la question : nos 15 ans d’écart nous rendent-ils aussi incompatibles que la société veut le laisser croire ? Et si la différence d’âge pouvait représenter l’atout d’un couple ?

C’est possible, selon Sylviane Larose, sexologue et psychothérapeute. « Si deux partenaires acceptent leur différence d’âge et le regard que les autres posent sur eux, ils ne sont pas plus à risque que d’autres. » Cette disparité peut même devenir un avantage : « Quand l’un est à la retraite, il est plus disponible pour aider l’autre dans l’organisation du temps, ce qui peut rendre la relation plus harmonieuse », poursuit-elle.

Les partenaires ayant une « très grande » différence d’âge – soit plus de 10 ans – remportent en outre la palme du plus bas taux de divorce au pays, d’après une étude fondée sur des données de Statistique Canada. Mieux encore : les hommes mariés à des femmes plus jeunes vivraient plus longtemps, ont constaté des chercheurs allemands de la société Max-Planck. Ceux dont l’épouse a de 15 à 17 ans de moins qu’eux voient leur risque de mourir prématurément chuter de 20 %. 

Si les couples intergénérationnels fascinent – et dérangent –, c’est aussi parce qu’ils se font rares, souligne Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’UQAM. Quatre années séparent en moyenne les conjoints québécois, mais à peine 1 couple sur 10 a un écart de plus de 10 ans, selon l’Institut de la statistique du Québec. À toutes les époques et dans toutes les cultures, on peut observer une différence d’âge en faveur de l’homme. Encore aujourd’hui, celle-ci domine largement.

« Sauf que cette différence s’est réduite au fil des générations, indique la spécialiste de l’amour dans les sociétés contemporaines. Là où la femme gagne autant que l’homme et a un accès égal au travail, l’écart d’âge s’estompe. Au Québec, par exemple, ce n’est plus aussi important d’avoir un mari plus âgé, qui assure sa sécurité financière, que ce pouvait l’être avant les années 1960-1970. »

Jeux de pouvoir ?

Dans toute relation, les gens cherchent à combler des besoins, avance Sylviane Larose. Que ce soit conscient ou non. Alors, aujourd’hui, que recherche la femme qui fréquente l’homme mûr ?
Selon elle, la même chose que les hommes qui vont vers les femmes dans la force de l’âge : la stabilité, les valeurs qu’ils ne retrouvent pas chez les personnes de leur génération ou la maturité.

C’est le cas de Stéphanie. « Je suis enfant unique et j’ai toujours baigné dans un monde d’adultes », relate la femme de 33 ans qui partage sa vie avec Daniel, de 20 ans son aîné. Le couple – qui convolera dans quelques mois – s’est rencontré au boulot, il y a 11 ans. « On dînait ensemble de temps en temps. De fil en aiguille, il y a eu des rapprochements », poursuit la jolie brune. À leur grande surprise, car tous deux avaient l’habitude de fréquenter des gens de leur âge. Leurs 20 ans d’écart se sont fait sentir au début, Daniel ayant eu une fille d’une union précédente. La petite avait neuf ans à l’époque. « L’éducation de ma fille n’a pas toujours été évidente, mais toutes deux se sont vite apprivoisées. Sinon, je ne vois pas notre différence d’âge… sauf au restaurant, quand le serveur me vouvoie alors qu’il tutoie Stéphanie », rigole l’homme à la tête grisonnante.

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Caroline Dumas, 46 ans, chef, et Roger Frappier,69 ans, producteur

Caroline Dumas, 46 ans, chef, et Roger Frappier,69 ans, producteur

Caroline Dumas46 ans, chef, et Roger Frappier,69 ans, producteur

En couple depuis 8 ans, 5 enfants (lui : 29 et 35 ans ; elle : 12 et 21 ans. Le couple a eu une fille ensemble. Elle a eu 9 mois en janvier.) 

Nous nous sommes rencontrés…au restaurant L’Express, à Montréal. J’attendais une copine. Lui dînait seul au bar. On a finalement mangé ensemble.

Il m’a appris… qu’une vie de couple harmonieuse, ça existe. Que la passion n’a pas d’âge.

Elle m’a appris…à ne pas m’en faire pour rien, à raccourcir les périodes difficiles.

Ma plus grande crainte… mourir à petit feu, confie Roger.

Mon plus grand bonheur…qu’il n’ait pas besoin de moi pour vivre sa vie. Ce qui fait que nous nous sentons libres d’être ensemble, dit Caroline.

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Les raisons qui expliquent l’attirance entre générations peuvent aussi être sexuelles, fait valoir le psychologue Yvon Dallaire. « Pour certaines jeunes femmes, l’homme vieillissant se révèle un meilleur amant, car il est en général moins tyrannisé par la sexualité et plus ouvert à la sensualité, affirme-t-il. Pour monsieur, d’un point de vue anthropologique, le but de la sexualité est la reproduction. Le corps d’une jeune femme est beaucoup plus stimulant que celui de la majorité des partenaires de son âge, sans compter qu’il est encore fertile. » 

Mais un instant. Est-ce à dire que la gent masculine se met en couple avec des compagnes plus jeunes pour des raisons… biologiques ? C’est du moins ce qu’avancent des anthropologues américains de l’Université Stanford, selon lesquels cette tendance – qui existait déjà dans les sociétés ancestrales – expliquerait la préservation de l’espèce humaine. Rien de moins ! Les auteurs de l’étude, parue en 2007, sont partis du constat qu’un homme peut en moyenne se reproduire jusqu’à l’âge de 70 ans, alors qu’une femme cesse d’être fertile vers 50 ans, à la ménopause. Il s’agirait donc d’un moyen instinctif pour l’homme d’accroître les naissances.

Les femmes sont toutefois en train de renverser le courant. La proportion de celles qui ont 5 ou 10 ans de plus que leur mari demeure faible (sous la barre des 5 %), mais ce taux a doublé entre 1960 et 2007, indique une enquête américaine menée par le Queens College. Pas étonnant qu’on ait vu le terme « cougar » se populariser récemment. 

Enfants et vieillesse : au cœur des enjeux

Dans son livre Qui sont ces couples -heureux ?, le psychologue Yvon Dallaire consacre un chapitre à la compatibilité des conjoints. Son constat : un tandem à 70 % similaire a davantage de chances d’être satisfait. Cette concordance se mesure notamment d’après le revenu, le niveau d’études, la religion et… l’âge. « Plus ces paramètres sont dissemblables, plus les sources de conflits risquent de se polariser, dit-il. Si deux partenaires ont plus de 20 ans d’écart, ils ne sont pas de la même génération et n’en sont donc pas à la même étape de leur vie. »

Parmi les obstacles les plus fréquents que rencontrent ces couples : le désir d’avoir des enfants. Chanel, 24 ans, est de celles qui appréhendent cette question. En relation depuis près d’un an avec Hugues, 46 ans (et déjà père de deux enfants de 11 et 16 ans), la Québécoise expatriée en France aspire plus que tout à fonder une famille. « Si possible avant 30 ans. » Les tourtereaux, qui se sont rencontrés dans une fromagerie à Paris, n’en parlent pas encore ouvertement. « Il fait souvent des allusions qui me laissent croire qu’il en veut d’autres. On en parle du bout des lèvres », dit l’étudiante en théâtre, plus amoureuse que jamais. Elle est toutefois catégorique : « S’il n’en veut pas, je devrai le laisser. »

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Mélanie Godon, 38 ans, entrepreneure, et William Lauzon,24 ans, technicien de génératrices industrielles

En couple depuis 5 ans. 2 enfants (1 ½ et 3 ans)

Nous nous sommes rencontrés… à Réno-Dépôt, où j’étais sa patronne. William avait 17 ans ; moi, 31, et j’étais mariée. Nous avons commencé à sortir ensemble deux ans plus tard.

Il m’a appris… à m’aimer comme je suis et à m’assumer en tant que femme.

Elle m’a appris… que je pouvais être un grand homme. Elle m’incite jour après jour à gagner en assurance.

Ma plus grande crainte, c’était… que je l’empêche de vivre sa vingtaine, de faire ses partys, dit Mélanie. La réponse de William : « Tu es plus rebelle que moi ! »

Mon plus grand bonheur… savoir que, pour tous les projets que j’entreprends, j’ai Mélanie à mes côtés, dit William. Et avoir une famille avec elle est en soi le plus grand accomplissement.

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Pour Marie (qui a requis l’anonymat), 40 ans, les défis sont autres. « Il vieillit, mais moi, je suis en pleine possession de mes moyens », confie-t-elle, autour d’un thé, en parlant de son compagnon de 57 ans. Dix-sept ans de vie commune et deux enfants plus tard, elle admet ne plus avoir le désir d’autrefois pour son partenaire de vie. « La différence d’âge m’a physiquement rattrapée. J’ai un blocage. En même temps, c’est normal que le couple s’use. J’ai beaucoup d’amies qui expérimentent la même chose même si leur conjoint est à peu près du même âge qu’elles. »

Impossible pour Marie de prédire si, d’ici quelques années, elle sera toujours avec le père de ses enfants. Pour l’heure, elle dit vivre sa relation « une journée à la fois ». Quand j’évoque la question de l’infidélité, elle avoue se poser des -questions. « C’est possible que j’en arrive là. » Mais, surtout, elle insiste : « Je n’ai aucun regret. Si c’était à refaire, je ne changerais rien. »

Comment l’aîné d’un couple compose-t-il avec le fait de vieillir ? Le producteur de cinéma Roger Frappier, 69 ans, qui partage sa vie avec la chef et fondatrice de Soupesoup, Caroline Dumas, 46 ans, y fait face avec sérénité. Le duo a eu une fille il y a moins d’un an. « Béatrice ne comprend évidemment pas encore que son père est plus âgé que les autres papas, dit-il. Mais je suis convaincu que chaque moment que nous vivons ensemble s’imprègne en elle. Je joue à la fois le rôle du père et celui du grand-père. Mes grands-parents ont eu une immense influence dans ma vie. Même s’ils sont morts il y a 60 ans, je la sens encore aujourd’hui. Mon seul regret, c’est de ne pas avoir eu ma fille plus tôt. »

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