Reportages

Un rayon de soleil à Montréal-Nord

Un organisme qui permet le retour aux études de jeunes mères de famille monoparentale.

Un appartement abordable, une garderie, un coup de pouce pour les repas, un réseau d’amis, un encadrement bienveillant mais ferme. L’organisme Un Rayon de soleil offre tout ça aux jeunes mères de famille monoparentale de Montréal-Nord. 

Le sol est jonché de jouets. Les fenêtres de l’appartement sont ouvertes pour libérer les odeurs de cuisson. « Il est né la même date que moi. C’est un beau cadeau, non ? » lance Joannie Lalonde, 23 ans, qui s’active autour de la cuisinière pour préparer le souper d’Andrew, son garçon de 3 ans. Pour certaines femmes, tomber enceinte à peine sortie de l’adolescence est synonyme de catastrophe. Pour Joannie Lalonde, ça a plutôt été une révélation, la chance de repartir à zéro. « Ça m’a permis de réaliser que je devais reprendre le droit chemin. Mon fils, c’est la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie. C’est un petit ange descendu du ciel. » Bien décidée à garder son petit ange, Joannie a cessé de consommer pot et alcool, largué le père de son enfant, avec qui elle n’avait pas grand-chose en commun, puis est retournée au cégep pour faire une technique en éducation spécialisée. C’est pour aider des mères comme elle que Brunilda Reyes, travailleuse sociale, a fondé, angle boulevard Rolland et rue Pascal, en plein cœur du « Bronx » de Montréal-Nord, l’organisme Un Rayon de soleil.

L’histoire commence il y a cinq ans. Déjà responsable des Fourchettes de l’espoir, un organisme d’aide alimentaire de Montréal-Nord, Brunilda sursaute en lisant le rapport du CLSC. Dans l’arrondissement, une mère de famille monoparentale sur deux a moins de 20 ans. À Montréal, c’est une sur cinq. Elle décide d’agir. Profitant du programme gouvernemental AccèsLogis et de divers dons et subventions, elle démarre un projet d’appartements abordables destinés aux mères seules de moins de 30 ans. Le prix du loyer ne doit pas dépasser le quart du revenu mensuel des résidantes. On intègre à l’immeuble les nouveaux locaux des Fourchettes de l’espoir et un CPE, L’Oasis des enfants. De cette manière, on assure un accès direct à une alimentation saine, mais surtout à une place en garderie. Une seule condition, formelle, pour être admise : reprendre les études. Aujourd’hui, Joannie Lalonde adopte un ton léger lorsqu’elle raconte ses débuts en tant que maman. Avant la naissance d’Andrew, elle avait en tête le scénario parfait de la mère irréprochable. Mais ça n’a pas été aussi facile qu’elle l’imaginait.

Moments de connivence entre Joannie Lalonde, 23 ans, et Andrew, 3 ans, dans leur chez-soi.

Moments de connivence entre Joannie Lalonde, 23 ans, et Andrew, 3 ans, dans leur chez-soi.

« Les six premiers mois, je n’étais pas capable de me faire à manger ni de m’occuper de mon appartement », raconte-t-elle. La garderie intégrée au bâtiment – les filles peuvent s’y rendre en pyjama – lui a permis de relâcher la pression et de prendre un peu de temps pour souffler.

Pour Vania Codio, qui habite à quelques portes, tomber enceinte à 19 ans a plutôt déclenché chez elle une « alarme ». Se retrouver seule et sans diplôme d’études secondaires, c’était le pire des scénarios. Coup de chance, l’infirmière qui suivait sa grossesse lui a appris l’existence d’Un Rayon de soleil. « Le lendemain même, enceinte de huit mois, je déménageais ici », se souvient-elle en riant. Allégée du stress financier d’assumer seule un loyer, elle poursuit maintenant un baccalauréat en ressources humaines à l’UQAM.

Tania, pimpante ballerine de 3 ans, avec sa maman, Vania Codio, qui poursuit des études universitaires.

Tania, pimpante ballerine de 3 ans, avec sa maman, Vania Codio, qui poursuit des études universitaires.

« L’école n’était pas ma priorité, mais cette enfant-là n’a que moi. Je dois préparer son avenir », ajoute Vania, pendant que Tania, trois ans, les genoux blindés de protecteurs rose pétant, traverse le trois et demie sur ses patins à roulettes.

« On me reproche de ne pas être assez autoritaire, mais c’est difficile de savoir comment élever un enfant quand on n’a pas eu d’exemple. Au début, j’étais complètement nulle ! Les autres filles m’ont donné des conseils. Ce sont un peu elles qui m’ont sauvée. »

Justement, elle était là, l’idée de Brunilda Reyes. Créer, avec Un Rayon de soleil, une communauté, une sorte de bulle protectrice qui profiterait du fort sentiment d’appartenance déjà existant dans Montréal-Nord. « Mais attention ! on ne veut surtout pas être la maman des filles. On veut plutôt leur donner l’appui qu’elles n’ont pas eu », précise-t-elle. Qui dit appui dit aussi encadrement serré. Lorsqu’elles s’engagent au sein de l’organisme, les résidantes acceptent de respecter un code de vie : vérification de la propreté de l’appartement, interdiction de garder un copain à coucher, obligation de rapporter leurs échecs et leurs succès scolaires aux responsables de l’organisme…

Une manière de faire qui ne plaît pas toujours. « L’organisme n’a jamais soulevé un enthousiasme délirant auprès des jeunes mères », admet Brunilda, pour qui la -principale difficulté demeure de gagner la confiance des filles après leur arrivée.

« Être exigeant et se mêler de la vie privée des filles, c’est important, poursuit-elle. Au Québec, il existe des programmes sociaux fantastiques qui offrent du soutien aux gens dans le besoin, mais sans rien attendre en retour. Selon moi, la personne qu’on aide doit avoir des obligations. C’est la meilleure façon d’atteindre des résultats. »

Lissa Léon-Pierre, 25 ans, peut en témoigner. Lorsqu’elle est arrivée à Un Rayon de soleil avec son garçon de trois ans, elle a bénéficié de la structure de l’organisme « comme une plante profite d’un tuteur ». À la veille d’obtenir son diplôme en inhalothérapie, elle est la preuve que l’initiative fonctionne. Mal encadrée à l’adolescence, elle se souvient surtout des batailles dans la cour d’école et de son passage dans huit établissements différents avant de décrocher en troisième secondaire. « Je réussissais bien, mais j’avais un problème avec l’autorité », dit-elle avec un certain recul. Elle s’assure maintenant avec une main de fer que son garçon, Daryan, vivra l’opposé.

Lissa Léon-Pierre, 25 ans, veut que son fils Daryan, 6 ans, soit fier d’elle.  C’est pour cette raison qu’elle termine une technique d’inhalothérapie au Collège de Rosemont.

Lissa Léon-Pierre, 25 ans, veut que son fils Daryan, 6 ans, soit fier d’elle.
C’est pour cette raison qu’elle termine une technique d’inhalothérapie au Collège de Rosemont.

« Quand j’ai commencé ma première session, je n’avais pas encore reçu le montant d’aide financière aux études auquel j’avais droit pour payer mes livres. On m’a avancé de l’argent », explique-t-elle. Trois ans plus tard, la jeune femme est entièrement autonome et reconnaît que ce coup de main l’a aidée à garder le cap.

Lissa s’essouffle rien qu’à décrire tout ce qu’elle a à faire en une journée : conduire Daryan à l’école, se rendre au cégep, combiner étude, stage, boulot, et ce, aux quatre coins de la ville.

« Après autant de sacrifices, si je n’obtiens pas mon diplôme, je vais faire une dépression, c’est sûr ! » s’exclame-t-elle. Pour elle, comme pour les autres filles, réussir, c’est pouvoir servir de modèle à son enfant. « Comment pourrais-je lui dire d’aller à l’école si je n’y suis pas allée moi-même ? »

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Un Rayon de soleil 101

Combien de temps peut-on demeurer au Centre et à quelles conditions ?

Les filles peuvent habiter à un Rayon de soleil un maximum de cinq ans. Une fois leurs études terminées, elles disposent de six mois pour trouver un emploi, période pendant laquelle elles peuvent travailler et économiser. Elles doivent être admissibles à la subvention de l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), payer le loyer le 1er de chaque mois, se conformer au code de vie et rester aux études.

Qu’arrive-t-il si une résidante n’arrive pas à payer le loyer ?
Fixé à 25 % de son revenu, le loyer d’une résidante varie entre 150 $ et 200 $ par mois. Elles sont donc, en principe, toutes capables d’y arriver. Mais si un problème survient, bien sûr, leur situation sera évaluée.

Et si elles échouent à l’école ? Sont-elles expulsées du centre ?
Le centre offre un service d’accompagnement scolaire. Tout est toujours à évaluer. Chaque cas est différent.

Que se passe-t-il si une résidante refait sa vie ?

Elles peuvent avoir un copain. Il ne peut pas dormir au centre, mais elles peuvent dormir chez lui. Si le couple décide de cohabiter, de se marier ou d’avoir un enfant, la fille n’est plus considérée comme monoparentale et elle doit partir.

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