Reportages

On n’a pas toute la vie pour faire des bébés!

On veut tout. La carrière, le bon gars, la maison. Et, ensuite seulement, un enfant. Ce sera plus difficile à 35 ou 40 ans? Mais non, la médecine fait des miracles… Est-ce vrai, docteur?

Cultura/Corbis

Le jour où Mireille Paris a consulté un spécialiste, elle a eu tout un choc quand il lui a dit qu’après l’âge de 35 ans la fertilité des femmes chutait de façon brutale. Elle avait 34 ans et demi.

Mireille aurait bien voulu avoir des enfants plus tôt. Mais ce n’était jamais le bon moment. Quand elle rencontre Louis, de 11 ans son aîné, elle en a à peine 24. Lui est déjà père de deux fillettes. La vie de la jeune femme gravite alors autour de son travail de réalisatrice, de ses amis et de ses sorties. Dix années passent… Le bon moment arrive. Et puis, rien.

« Pourquoi personne ne m’avait dit ça avant? se demande encore aujourd’hui Mireille, 40 ans. J’avais peur d’avoir manqué le bateau… »

Les femmes qui craignent de rester sur le quai, Judith Daniluk ne les compte plus. Psychologue spécialisée en fertilité et professeure à l’Université de la Colombie-Britannique, elle en a vu défiler pendant près d’un quart de siècle. Des femmes de 30 et 40 ans, stupéfaites d’apprendre que la fertilité décline avec l’âge et s’éteint parfois bien avant la ménopause. « En vieillissant, la quantité et la qualité des ovules diminuent, dit-elle. Même si on est en forme et en santé. Et la science ne peut pas toujours y remédier. Il ne suffit pas de dire : “Je suis prête” pour devenir enceinte. »

Dans la vingtaine, Sophie Boily lance aussi son « projet bébé ». Mais après une grossesse ectopique, son ventre ne répond plus. La prise d’hormones et trois inséminations n’y changent rien. Son couple ne survit pas aux contrecoups.

Avec son nouveau conjoint (le parfait papa!), elle a dû, à 35 ans, subir trois autres inséminations et deux fécondations in vitro (FIV) pour donner enfin naissance à Antoine, deux ans plus tard. Pour agrandir la famille, elle devra de nouveau suivre la procédure l’été prochain avec ses deux embryons congelés.

Le problème? Infertilité inexpliquée. Comme pour Mireille et Louis, et plus de 1 couple sur 10 – 1 sur 3 chez les couples dont la femme a plus de 35 ans.

« Les femmes tiennent pour acquis qu’elles sont fertiles », expose Judith Daniluk. La psychologue en est venue à ce constat au terme d’une vaste enquête menée à l’échelle nationale. Pour son étude, la chercheuse a interrogé plus de 3 000 Canadiennes de 20 à 50 ans, sans enfants, sur leur perception de la fécon­dité – elle sondera 600 hommes dans un second temps. La plupart d’entre elles étaient convaincues de pouvoir donner naissance.

La réalité, dit l’obstétricienne Louise Lapensée, de la clinique Ovo, c’est que, à 40 ans, la moitié des femmes auront de la difficulté à devenir enceintes. Et près de 40 % feront une fausse couche. Sans parler des risques de la maternité tardive pour la santé de la mère (prééclampsie, diabète de grossesse, accouchement par césarienne…) et de l’enfant (bébé de petit poids à la naissance, anomalies chromosomiques, malformations…).

Les techniques de procréation assistée ne peuvent repousser à l’infini les limites imposées par le corps. « Les attentes doivent être réalistes », précise la Dre Louise Lapensée. Les chances de devenir en­ceinte par transfert d’embryon restent minces : 30 % en moyenne. Et ce taux diminue nettement avec l’âge : à partir de la quarantaine, il n’est plus que de 17 %.

Pour Mireille Paris, l’expérience n’a pas été concluante. À 38 ans, elle tente une insémination artificielle, qui échoue. La FIV aussi, même si ses embryons « se portent à merveille en labo », comme le lui confirme l’embryologiste.

Non seulement ça ne fonctionne pas, mais c’est éprouvant. « La procréation assistée n’a rien d’un conte de fées, dit Mireille. Ton corps ne t’appartient plus. On te bourre d’hormones et d’injections. J’avais comme une enclume au-dessus de la tête. » L’exercice est si pénible qu’elle se demande si elle aura la force de recommencer.

Contre toute attente, un petit Victor aux yeux bleus se pointe naturellement quelques mois plus tard, à l’aube des 40 ans de Mireille. « J’ai gagné à la loterie, reconnaît-elle. Aujourd’hui, je suis la première à dire à mes jeunes collègues : n’attendez pas trop! »

Au Québec, comme partout dans le monde occidental, la plupart des femmes ont leur premier enfant à 30 ans. Et, à 40 ans, on en fait deux fois plus qu’il y a 10 ans. Pourquoi si tard? Pour plein de bonnes raisons. Attente de l’homme idéal. Poursuite d’études avancées. Envol de la carrière. Recherche d’une stabilité financière et d’un nid douillet. Et, bien sûr, l’effet d’entraînement.

« Les femmes n’ont pas tort de se con­centrer sur la carrière, les finances, la maison, dit le Dr Hananel Holzer, directeur du Centre de reproduction McGill. Mais avoir une famille est aussi un choix de vie. Les cliniques de fertilité ne peuvent pas “s’arranger” pour qu’elles aient des enfants quand elles en ont envie! »

Il ne s’agit pas de faire un bébé quand ce n’est pas le temps, convient la Dre Lapensée, mais si les conditions sont favorables, pourquoi attendre?

Comment en sommes-nous arrivées à penser qu’on peut tout contrôler, à oublier que la fertilité est une fonction biologique qui ne se pliera pas à nos agendas?

Une partie de la réponse se trouverait du côté de la contraception. Ne pas avoir d’enfant quand on n’en veut pas (merci pilule, stérilet, diaphragme et cie!) ne signifie pas qu’on peut en avoir quand on en veut! « Le raccourci est trompeur et les femmes s’y sont laissé prendre », analyse la Dre Joëlle Belaïsch-Allart, vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français.

L’émancipation des femmes y est aussi pour quelque chose, selon la journaliste et auteure féministe Pascale Navarro. « On a dit aux filles : “Faites votre vie, pensez à vous, à votre carrière.” On leur a fait croire qu’elles pouvaient tout avoir. C’est la plus grande illusion. » Elle-même a adopté à l’âge de 39 ans, après s’être cassé le nez avec la procréation assistée. « Si on veut des enfants, on doit faire de la place pour la maternité. Ou alors faire le deuil de la famille ou de la famille nombreuse. C’est une question de choix. »

Mais avons-nous toujours le choix? La plupart d’entre nous aimeraient bien trouver le partenaire idéal et fonder plus tôt une famille, avance la chercheuse Judith Daniluk. Mais la réalité des études et du marché du travail est telle que c’est souvent impossible. D’ailleurs, note-t-elle, plus une femme est scolarisée et occupe des fonctions importantes, plus il est probable qu’elle reste célibataire et sans enfants. « Pour les hommes, c’est tout le contraire. »

Dernier leurre, la mode des grossesses tardives, lancée par les stars hollywoodiennes… et Céline Dion, devenue enceinte de jumeaux à 42 ans, au bout de six tentatives de FIV. « I feel very, very privileged and fortunate » (Je me sens très, très privilégiée et très chanceuse), déclarait-elle au magazine Hello, le ventre tendu, devant la piscine d’un hôtel chic de Miami.

« À cause de Céline, tout le monde pense maintenant que tu es paresseuse si tu t’arrêtes après une tentative », déplore Geneviève Brouillette. La comédienne a le même âge que la diva au moment de sa deuxième grossesse. Ses démarches – trois inséminations et une FIV – se sont soldées par un échec. « Je n’étais plus capable. Les médicaments inducteurs de l’ovulation me rendaient folle. J’aurais pu m’acharner et aller jusqu’au bout. Mais elle est où, la limite? »

La limite, justement, est propre à soi. Car, depuis l’entrée en vigueur du programme de procréation assistée couvert par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), en août 2010, l’argent n’est plus un frein. L’ouverture, en décembre dernier, d’une clinique publique de fertilité à Montréal et l’inauguration prochaine de trois autres, dans la métropole, à Sherbrooke et à Québec, faciliteront encore l’accès.

De plus en plus de couples risquent de s’accrocher… et d’être déçus. « Nous avons un gros travail de sensibilisation à faire, reconnaît le Dr Hananel Holzer. On ne peut pas appliquer les traitements de
fertilité à tout venant. Ça coûte cher au gouvernement. C’est un outil de dernier recours. » (Le site My Fertility Choices  , lancé en mars, sera la première pierre d’une campagne à l’échelle du pays.)

Reste l’aspect psychologique – c’est dur pour le moral et pour le couple – et physique – toutes ne tolèrent pas bien la médication. « Pour certaines, la prise d’hormones, l’insémination ou la FIV ne sont pas envisageables, remarque la Dre  Lapensée. D’autres accepteront tout, à répétition, jusqu’au don d’ovules. »

La limite relève aussi, bien sûr, de la médecine. Au Québec, les cliniques de fertilité ont établi l’âge butoir de la FIV à 42 ans et 11 mois. Après cet âge, ou si la réserve ovarienne est trop basse et que les embryons transférés ne « prennent » pas dans l’utérus, on passe au plan B : le don d’ovules, grâce auquel on peut espérer une grossesse jusqu’à 52 ans.

Mais encore faut-il trouver une donneuse (idéalement de moins de 30 ans) qui réside au Québec et qui n’exige pas d’argent en échange. Gros défi. « Depuis 2004, les lois canadiennes interdisent de rémunérer les donneuses, précise le Dr Hananel Holzer. Bien des couples qui n’en trouvent pas parmi leurs proches  et qui en ont les moyens iront aux États-Unis, au Mexique, en Grèce… où la rétribution est légale et le nombre d’embryons implantés moins contrôlé. »

On ne s’étonnera pas d’apprendre que (presque) toutes les stars qui accouchent sur le tard ont reçu (et payé?) des ovules. « Les jumeaux de Geena Davis à 48 ans? Secret de polichinelle! dit la Dre Louise Lapensée. Ces histoires de grossesses miraculeuses donnent de faux espoirs. »

Nathalie Bégin, 36 ans, y a cru un moment. À force de voir ces modèles partout, elle est tombée des nues en apprenant que ce ne serait pas aussi facile pour elle. À 35 ans, son test sanguin montre un taux d’hormone folliculo-stimulante (FSH) anormalement élevé. Autrement dit, elle est déjà en « fin de fertilité ». Ses trois tentatives de FIV resteront vaines. Elle se résout au don d’ovules. « J’ai dû faire le deuil de mon bagage génétique, dit-elle. Au moins, le bébé sera conçu avec le sperme de mon chum et j’aurai la chance de le porter. »

Mais, dans son entourage, aucune donneuse. Épuisée, elle lance une annonce dans Internet… et obtient quatre réponses. Celles de trois jeunes femmes qui lui réclament en échange des milliers de dollars. Et celle d’une mère de trois enfants qui a promis à la vie de faire un geste altruiste… et gratuit. « J’ai eu une chance incroyable », estime Nathalie, les larmes aux yeux. Si tout va bien, le transfert de l’embryon (issu du sperme de son conjoint et de l’ovule de la donneuse) devrait se faire sous peu.

Des ovules au congélateur
Imaginez. Vous avez 25 ans. Vos études à peine terminées, on vous offre le job de vos rêves. Des bébés? Plus tard, assurément. Mais comment stopper le tic-tac de l’horloge biologique?

Des cliniques de fertilité – cana­diennes, américaines, britanniques, espagnoles et bientôt françaises – proposent aux jeunes profession­nelles de congeler leurs ovules jusqu’au jour où elles décideront d’être mamans. Au Québec, le Centre de reproduction McGill est l’un des seuls à offrir ce service, au coût de 5 500 $ (plus les frais de médicaments). Depuis 2004, une quarantaine de femmes y ont stocké leurs gamètes, à -196 °C, en attendant de réaliser une fécondation in vitro. Des célibataires de 38  ans en moyenne qui n’ont pas encore rencontré « le bon gars ». Mais le programme, appelé Préservation de la fertilité, en est encore au stade expérimental, insiste son directeur, le Dr Hananel Holzer. Contrairement aux embryons congelés, qui ont une durée de vie maximale de 18 ans, les ovocytes congelés se conservent mal et survivent mal à la décongélation. Le médecin est formel : « Des ovules frais, c’est beaucoup mieux! »

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