Reportages

Sex and the city, version mohawk

Une nouvelle série télé qui raconte la vie pleine de rebondissements de quatre jeunes femmes d’une réserve amérindienne près de Montréal.

Les comédiennes de la télésérie : Jenny Pudavick, Maika Harper, Heather White et Brittany LeBorgne.

Les comédiennes de la télésérie : Jenny Pudavick, Maika Harper, Heather White et Brittany LeBorgne. (Photo : Maude Chauvin)

Dans le garage d’un bungalow au fond d’un rang à Kahnawake, Tracey Deer rigole en silence. Une main sur la bouche pour ne pas pouffer, les écouteurs vissés aux oreilles et les yeux rivés sur un écran de télé. La scène qu’on tourne à l’intérieur de la maison, avec une jeune femme hystérique, un gars macho et un bébé à la couche visiblement pleine, est particulièrement comique.

Ce n’est pas tous les jours qu’on se bidonne en regardant une production télé portant sur des autochtones. Pourtant, « On est très drôles, assure la réalisatrice. C’est même l’un des secrets les mieux gardés au Canada ! Il en a fallu de l’humour pour supporter tout ce qu’on a vécu. »

C’est pour parler de sa communauté avec un brin d’autodérision (et beaucoup d’amour) que Tracey Deer, qui vit entre son Kahnawake natal et le quartier branché de Griffintown, à Montréal, a créé la comédie dramatique Mohawk Girls. La série sera diffusée au pays, en anglais, sur la chaîne nationale autochtone APTN et sur la chaîne multiculturelle OMNI à partir de novembre.

Après avoir réalisé des documentaires engagés sur les adolescentes de Kahnawake (Mohawk Girls – oui, comme la télésérie) et sur la notion d’identité fondée sur la « pureté du sang » chez les peuples autochtones (Club Native), la cinéaste souhaitait rejoindre un public plus large.

Des filles de leur temps

Mohawk Girls suit les aventures de quatre jeunes femmes à la recherche du bonheur : Zoe, bourreau de travail et coquine à ses heures ; Caitlin, qui ne se valorise qu’à travers le regard des hommes ; Bailey, déchirée entre le désir de plaire à ses parents et celui de succomber à un homme qui vit en dehors de la réserve ; et Anna, métisse, qui vient s’installer dans la réserve pour ses études après avoir grandi à New York. Les amies sont interprétées par des actrices autochtones canadiennes, principalement des nouvelles venues.

« Elles proposent leurs propres définitions des mots carrière, sexe, famille, identité… C’est comme Sex and the City, sauf que, au lieu de vivre à Manhattan – et d’acheter des chaussures à 500 dollars –, ces femmes habitent une réserve amé-rindienne. Évidemment, elles ne font pas
face aux mêmes situations que des New-Yorkaises, mais reste qu’il y a de grandes similitudes », note Tracey Deer, fan finie de la série américaine.

On découvre notamment la rivalité entre les femmes pour séduire les hommes de la réserve intéressants, disponibles… et qui ne sont pas des cousins ! Car il s’agit d’un enjeu de taille là-bas : le désir de préservation de la culture et de la langue se traduit par une valorisation des unions au sein de la communauté. « À cause de cette pression, des femmes formidables se contentent de moins en amour, déplore Tracey Deer. Ça donne des familles dysfonctionnelles. »

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Photo: Maude Chauvin

Une culture à découvrir

On perçoit aussi en filigrane le racisme dont ses pairs sont victimes. Dès le premier épisode, Bailey doit remettre à sa place un imbécile croisé dans une fête, à Montréal, qui lui dit qu’elle a de la chance de ne pas payer de taxes, d’« arnaquer le système »… Tout comme on découvre que la colère contre les non-autochtones est encore vive chez certains Mohawks. La même Bailey sera bien découragée par un prétendant de la réserve qui lui explique que, s’il demeure bénéficiaire de l’aide sociale, c’est pour se venger des Blancs qui ont envahi les terres ancestrales.

C’est d’ailleurs pour ces derniers une occasion rêvée de découvrir la culture mohawk de 2014. Car Kahnawake a beau être à quelques minutes à peine de Montréal, rares sont les Québécois qui y ont mis les pieds, à part peut-être pour faire le plein d’essence ou acheter des cigarettes, selon Brittany LeBorgne (Zoe), qui y a grandi. « Je pense que cette série va nous humaniser, dit-elle. Pour beaucoup de gens, les Premières Nations sont encore un mythe. Ça va montrer qu’on est des personnes avec des sentiments comme les autres et qu’on vit les mêmes défis. » Les héroïnes et leur entourage sont loin des rôles stéréotypés qu’ont les autochtones dans la plupart des films et émissions, juge-t-elle.

Effervescence sur le plateau. La réalisatrice Tracey Deer, elle-même mohawk, et la scénariste Cynthia Knight.

Effervescence sur le plateau. La réalisatrice Tracey Deer, elle-même mohawk, et la scénariste Cynthia Knight.

Si universel

Fait cocasse, bien qu’il s’agisse d’une production mohawk, la scénariste principale, elle, est juive ! Cynthia Knight dit se retrouver dans plusieurs aspects des expériences de Zoe, Caitlin, Bailey et Anna. « Moi aussi, j’ai senti les pressions de ma famille pour m’imposer certains choix, dont celui d’épouser un Juif. » La scénariste (et coproductrice déléguée avec Tracey Deer) croit qu’on peut tous s’identifier aux personnages et apprécier la série. « Après tout, on grandit tous en entendant des “ Tu devrais ”», dit-elle. Il y a quelque chose d’universel dans la quête des protagonistes : « Trouver qui tu veux être, ce que tu veux apporter au monde ».

Déjà, en 2010, un premier épisode a été diffusé à la télé pour tester l’intérêt du public : l’équipe a reçu un signal très positif. « C’est sûr que tous ne sont pas fous de joie à l’idée de cette série, admet Brittany LeBorgne. Ils ont peur de laisser les autres entrer dans notre univers. Mais la majorité des gens ont adoré ! »

Tracey Deer souligne que plusieurs de ses concitoyens se sont reconnus dans la télésérie. « C’est tellement Kahnawake ! » disaient-ils. Et c’est là le plus beau compliment qu’on puisse lui faire.

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