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Toscane: un voyage à vélo

Rouler dans les collines toscanes: le récit et les suggestions de Louise Gendron.

La fiche voyage de Louise

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● Plus de 50 voyages à ce jour, dont une vingtaine de semaines de survie dans le Sud !

● Le plus mémorable : Longyearbyen, en Norvège, la ville la plus au nord de la planète.

● Le plus sportif : le Parc national des volcans sur l’île d’Hawaï

● Le prochain (si Dieu le veut): les parcs nationaux américains

● La recette gagnante : Vivre le moment présent, tel qu’il se présente.

 

Photo: Bruno Ehrs / Getty Images

Photo: Bruno Ehrs / Getty Images

Sportive comme une borne-fontaine, j’avais décidé de me mettre en forme. Demain. Promis. Finalement, j’ai pris les grands moyens : je me suis inscrite à un voyage de deux semaines à vélo dans les collines toscanes, dans le centre-ouest de l’Italie.

C’est joli, un bourg médiéval : des forteresses, des églises vieilles de 700 ans, des places ombragées où siroter un vino bianco. Adorable. Seul défaut : c’est en haut. Toujours. Prudents, les urbanistes du Moyen Âge juchaient leurs villages sur les sommets les plus élevés des environs, pour mieux voir venir l’ennemi.

Et pour m’achever. C’est en tout cas ce que je pensais ce matin-là en buvant mon caffè, les yeux sur l’itinéraire de la première journée. Quelque 53 kilomètres de vallons avant le clou de l’excursion, l’ascension vers Cortona, charmante bourgade nichée à 500 mètres d’altitude. Moins de cinq kilomètres de montée, une broutille pour un vrai cycliste. Mais un Everest pour moi, qui ne m’étais remise à l’entraînement que quelques mois plus tôt. Non, mais qu’est-ce qui m’avait pris ?

Il m’avait pris que je m’étais souvenue d’une grande vérité : rien de tel que de ne plus avoir le choix pour se bouger le derrière. Je voulais me remettre en forme mais je n’arrivais pas à commencer. Alors j’ai donné mon nom pour ce voyage en Italie.

Ah ! la Toscane… Le seul nom fait rêver. Les vignobles, les villages fortifiés, les pasta arrosées de vino, les meilleures pizzas au monde. C’est vallonné et même un peu montagneux ? Vélo Québec évalue le niveau de difficulté à 4 (6 étant digne du Tour de France) ? Bof. Le départ était prévu pour la fin septembre. Nous étions en novembre. J’avais le temps…

Photo: Marie-Reine Mattera

Photo: Marie-Reine Mattera

La première étape de mon entraînement, celle du magasinage, je l’ai réussie comme une pro. Le vélo, les cuissards (aussi agréables à choisir qu’un maillot de bain), les gourdes, les chaussures, les pédales, j’ai tout acheté. Il faut ce qu’il faut. Et puis ce n’est pas une dépense, c’est un investissement.

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Mettre ces beaux achats au travail ? J’avais le temps. Alors, évidemment, je l’ai pris. Novembre : il fait noir à 17 h, on déprime un peu. Décembre : il y a les cadeaux à acheter, les fêtes à planifier. Janvier : on se remet des fêtes. Février : juste envie de partir dans le Sud.

Tout d’un coup, on était en mars. Et le vélo est devenu LA priorité. Je l’ai mis au centre de mon agenda. Et – tant pis pour le chic – en plein milieu du salon, devant la télé, sur un bidule qui permet de transformer n’importe quelle bécane en vélo d’intérieur. Je me suis procuré des DVD d’entraînement.

Trois fois par semaine, puis quatre, puis cinq, en revenant du boulot, j’enfilais mon cuissard et mes chaussures, je remplissais ma gourde et je m’attelais devant mon entraîneur virtuel.
Vingt minutes, 30 minutes, 45 minutes. À vitesse et à intensité croissantes. Ma capacité cardiaque s’améliorait, ma résistance aussi. Au bout de deux mois, je me suis tapé, dans mon salon toujours, un grand tour du lac Placid. En trois heures, 90 kilomètres de montées, de descentes, de vitesse. Je me trouvais géniale.

Jusqu’à ce matin de juin où, pour la première fois, j’ai mis le pneu dehors pour un 20 kilomètres sur la piste cyclable du canal de Lachine à Montréal.
J’ai failli mourir de trouille. Peur de tomber, peur de tourner, peur des autres cyclistes qui dépassent sans prévenir, qui vous frôlent, qui sont tous tellement meilleurs que moi. J’en aurais pleuré. J’ai pensé tout lâcher.

Photo: Alain Potvin

Photo: Alain Potvin

Je me suis inscrite à Explo Tour, un club de vélo qui organise une cinquantaine de sorties par été. Un club bon enfant, pas compliqué, où l’amitié l’emporte sur la performance. On m’a donné tout ce qu’il fallait – encadrement, encouragement, un peu de technique – pour passer à une autre étape. Je restais novice. Mais, au fil des semaines et des randonnées, j’ai gagné de l’expérience et de l’assurance.

La fin de septembre est arrivée même si je n’étais pas prête. Chéri, nos deux vélos et moi avons pris l’avion.

Le lendemain, la salle à manger de l’hôtel bruissait des conversations de 28 Martiens, tous habillés comme Lance Armstrong, qui se racontaient les 5 000, 6 000 ou 8 000 kilomètres qu’ils avaient pédalés dans leur saison. Moi, je regardais sur la carte les côtes de la journée. Dont la montée de cinq kilomètres au bout de laquelle je trouverais mon lit. Et je me donnais mentalement des coups de pied : pourquoi donc n’avais-je pas choisi la Hollande ? Il paraît que c’est très beau. Et très plat.

Hors de question d’être malheureuse en Italie. Je me suis parlé dans le casque de vélo : « Je ne me rendrai pas en haut, c’est certain, mais je vais au moins commencer. Et quand je n’en pourrai plus, eh bien, je continuerai à pied. »

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Une journée splendide à profiter de la douceur de l’air. Oui, il y a de la côte. Mais à chaque sommet sa récompense : à perte de vue, les vallons, les petites villes, la campagne. Tout est tellement beau. Comment font-ils donc ? Où diable ces gens-là cachent-ils leurs magasins-entrepôts et leurs boulevards industriels ? Et comment faisons-nous pour nous contenter de nos banlieues ternes ? Pour vivre dans un pays où la beauté est un luxe pas du tout nécessaire ?

En fin d’après-midi, j’entame doucement l’ascension que je ne peux pas réussir. Un coup de pédale à la fois, un lacet après l’autre… Un kilomètre, puis deux. Tout le monde me dépasse. À bout de souffle, rouge comme une tomate italienne (il fait 33 °C), j’arrête une minute pour regarder le paysage. Puis je remonte en selle. J’arrête encore. Mais je regrimpe. Une fois. Puis une autre. Au dernier kilomètre, la pente est vraiment raide : si je mets un pied à terre, je suis cuite. Alors je roule, à si faible vitesse que j’irais plus vite à pied. Mais je continue. Jusqu’à l’esplanade de Cortona, où je descends de vélo dans une douce euphorie. Un petit pas pour l’homme, une grande victoire pour la borne-fontaine. Je me sentais comme la reine de la Toscane.

On nous avait prévenus : chaque journée de ce tour serait plus difficile que la veille. Ça ne me dérangeait plus. Un jour à la fois, un kilomètre à la fois, j’y arriverais bien. Et tant pis si je n’y arrivais pas.

Photo: Gary Yeowell / Getty Images

Photo: Gary Yeowell / Getty Images

J’ai fait là un des plus beaux voyages de ma vie. Partout, des routes bordées de cyprès serpentent parmi les vignobles, des villages de carte postale, des chats qui somnolent aux terrasses des trattorias sympathiques. La tomate goûte la tomate, le fromage vient du coin, le pinard aussi. On mange des pasta à tous les repas, on boit du vin tous les soirs mais on ne prend pas un kilo.

Photo: Davie Epperson / Getty Images

Photo: Davie Epperson / Getty Images

La Toscane est le paradis du cycliste. Pas de nids-de-poule, la chaussée comme un tapis. Pas d’automobilistes impatients, même les camions restent derrière vous en attendant le bon moment pour vous doubler. On peut arrêter dans un café juste pour faire pipi sans que le patron sourcille.

Les Martiens, dont les performances et l’équipement m’intimidaient tellement, se révèlent finalement des gens extraordinaires. Le vélo, comme la randonnée, ressemble au nudisme. Jocelyne est médecin, Madeleine est juge, Caroline est vendeuse ? On l’apprend au hasard d’une conversation. Ou on ne l’apprend jamais. De toute façon, ça n’a pas d’importance. Ici, tout le monde est cycliste.

Mais à son rythme. Les épicuriens se contentent des 350 kilomètres de l’itinéraire obligatoire et passent le reste du temps à visiter les musées et les boutiques, à flâner dans les villages, à prendre un latte ici, un apéro là. À rêver à ce que doit être la vie dans un appartement de Sienne où la salle de bains est suspendue dans le vide au cinquième étage – distrait, l’architecte du 17e siècle a oublié de prévoir un espace pour l’installer.

Les experts (ou les monomaniaques), eux, avalent près de 900 kilomètres en deux semaines. Ils en font 125 dans une journée, s’enfilent le midi un antipasto, une pizza, une demi-bouteille de rouge, un tiramisu et deux expressos avant d’enfourcher de nouveau leur monture pour se taper en rigolant 9 kilomètres de montée et aller voir la jolie chapelle au sommet…

Ma championne : Rosaline, 68 ans, qui fait toutes les excursions, les rallonges, les journées facultatives. Elle aime bien, mais trouve ça un peu facile. L’été dernier, elle s’est offert une petite randonnée de Vancouver à Saint-Jean, Terre-Neuve, plus de 8 000 kilomètres en deux mois et demi. Une moyenne de 150 kilomètres par jour, 6 jours par semaine. « Le septième jour, c’est pour démonter, nettoyer et graisser le vélo, faire la lessive, arrêter à la pharmacie », raconte-t-elle. Pourquoi ? « Pour le défi, pour voir si j’étais capable. »

 

 

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