Société

Survivre à l’assassinat de sa mère: le drame de trop d’autochtones

De nombreuses autochtones sont portées disparues ou ont été assassinées dans l’indifférence des autorités. Et leurs enfants, même des années après le drame, souffrent de séquelles importantes. Témoignages.

Anthony et Angela Gouveia avaient un message à transmettre, lors des audiences de l’Enquête nationale. «Aimez votre mère». Eux ont perdu la leur et pleurent encore son départ. Photo: Andréanne Moreau

L’absence d’une maman se fait sentir toute une vie – surtout quand elle a été victime d’une mort violente. À 70 ans, Maurice Kistabish pleure encore la sienne, assassinée alors qu’il n’avait que 18 ans.

«J’ai passé sept ans en pensionnat indien, jusqu’à mes 16 ans, et je n’ai pas beaucoup de souvenirs de ma mère avant cette époque. On peut donc dire que j’ai eu seulement deux ans pour la connaître. Je n’ai pas eu le temps de profiter de sa présence. Mais je me rappelle son amour pour ses enfants, sa façon de nous protéger, toujours», raconte Maurice aux audiences montréalaises de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Kathleen Kistabish Reuben avait 43 ans lorsque son corps a été retrouvé dans la rivière Harricana près d’Amos, en 1967. Ses huit enfants ont toujours cru qu’elle s’était noyée. Il y a deux ans, pendant un cercle de partage, leur tante Beatrice leur a avoué la vérité.

Les policiers étaient venus chez ses parents leur donner les résultats de l’autopsie et elle s’était chargée de la traduction. Kathleen n’avait pas d’eau dans les poumons, mais l’arrière de sa tête était écrasé. Sur le sol, des traces de pas menaient à la rivière. Trois personnes à l’aller, dont une qu’on tirait par moments. Seulement deux au retour. Souhaitant tourner la page, les parents n’ont pas porté plainte et ont refusé que l’enquête se poursuive. Les autorités ont fermé le dossier et n’ont procédé à aucune arrestation.

«Je n’avais jamais dit la vérité aux enfants, parce que je ne voulais pas les blesser. J’ai gardé cette histoire pour moi toute ma vie et ça m’a beaucoup fait souffrir», explique Beatrice Reuben Trapper, la sœur cadette de Kathleen.

Maurice n’en veut pas à sa tante d’avoir caché ce qu’elle savait sur la mort de sa mère. Lui-même se demande aujourd’hui comment il pourra annoncer cette nouvelle à ses propres enfants.

Peu importe la façon dont cela s’est produit, la mort de sa mère a eu des conséquences immédiates sur toute la famille. Les huit enfants de Kathleen ont été dispersés dans différents foyers. À 16 ans, Agnes, a pris la responsabilité des plus jeunes. Maurice, lui, s’est exilé pendant cinq ans chez ses grands-parents, à Matagami.

Maintenant marié depuis 42 ans, père de sept enfants, grand-père 13 fois et arrière-grand-père 8 fois, il vit ce que sa mère n’aura jamais eu la chance de connaître.

«J’ai vu mes enfants grandir. Mes petits-enfants m’ont connu, mes arrière-petits-enfants aussi. C’est ce qui m’a donné le courage de décider de vivre, de continuer. Même si je ne trouvais plus ma vie importante parfois, je l’ai fait pour la joie de mes enfants, de mes petits-enfants. Eux, ils aiment me voir», fait-il valoir.

Briser le cycle

C’est aussi la mort de leur mère, Jackie Lalonde, qui a incité Angela et Anthony Gouveia à venir témoigner à l’Enquête nationale. Blessée, traumatisée par une enfance difficile, elle a laissé ses enfants derrière elle et est partie vivre au Manitoba, où elle s’est enlevé la vie il y a six ans.

«Ma mère n’était pas bien. Elle cherchait le réconfort de toutes les mauvaises façons, dans l’alcool ou dans les bras d’un trou de cul. Ce n’était pas sa faute, mais moi, je me fâchais contre elle. Quand elle est sortie de ma vie, j’étais heureux. C’est affreux, je sais. La dernière chose que je lui ai dite, c’est de se prendre en main, et que, alors, je lui laisserais peut-être une place dans ma vie», raconte Anthony en sanglots.

Malgré l’abandon, il ne blâme pas sa mère. Elle était une femme brisée, comme plusieurs de ses quatre sœurs. L’une d’elles, Tess Lalonde, relate l’enfance qu’elles ont eue. Nées d’une mère autochtone ayant été battue dans les pensionnats et d’un père blanc pédophile, chacune des enfants de la famille a grandi dans la violence et la maltraitance.

«Nous sommes toutes passées entre ses mains, depuis notre plus jeune âge. Mon père a fini par être accusé et a écopé de deux années de prison, mais n’en a fait qu’une. Ça a tellement frustré Jackie qu’il n’ait jamais avoué ses crimes qu’elle est partie dans l’Ouest après les audiences», explique-t-elle.

Les conséquences de cette situation familiale se répercutent aujourd’hui sur une nouvelle génération, privée de mère. «Elle aurait dû être là pour moi, pour mon mariage, pour voir mon premier bébé. Qui est-ce que je vais appeler quand je vais avoir besoin de conseils pour prendre soin de lui? Je vais devoir me tourner vers Google», déplore Angela.

Son frère et elle gardent malgré tout un bon souvenir de Jackie, une femme drôle et si intelligente qu’elle terminait les mots croisés du New York Times en 45 minutes à peine, chaque dimanche. Ils tenteront maintenant de briser le cycle, d’offrir un meilleur exemple et un milieu de vie plus sain à leurs enfants.

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