Format familial

Une journée dans la vie d’une famille de 7 enfants

Nous voulions vivre une journée dans une famille nombreuse. Nous avons cherché, cherché… (ça ne court pas les rues!) puis trouvé le clan Vary-Vidal-Desjardins. Deux parents, sept enfants, un chien, un lapin et une entreprise. Tout ça sous le même toit.

7h

Nous sommes dans le quartier résidentiel Duvernay Est, à Laval. Les rues sont désertes. Enfin, pas tout à fait. Un grand échalas file par la porte de derrière pour échapper à notre photographe (!) et attraper son bus. Jennifer, sa mère, nous accueille par-devant en s’excusant du désordre. Des chaussures de toutes les pointures colonisent le vestibule. François, un sympathique barbu avec qui Jennifer partage sa vie depuis 12 ans, nous tend la main.

Chaussures-Entree

Jennifer Vary, 41 ans, « éternellement fiancée » à François Desjardins, 36 ans. Les enfants Vary-Vidal : Charles, 21 ans, Benjamin, 18 ans, Philippe, 16 ans, Jérôme, 14 ans. Les enfants Desjardins : Frédéric, 10 ans, Béatrice, 7 ans, Évelyne, 1 an.

Nous passons à la salle à manger, quartier général de la maison. Le sourire fendu jusqu’aux oreilles, Frédéric mord dans sa toast au beurre d’arachide. Jérôme monte du sous-sol, où Benjamin roupille encore. L’ado salue timidement, puis sort promener le chien. Béatrice se joint à la mêlée en bâillant. Son papa lui tend un bol de céréales. « Fred m’a donné un coup de pied ! » gémit-elle. L’espiègle est sommé de s’excuser.


Papa-Boites-Cereales

Il règne un doux chaos dans ce jumelé agrandi pour loger la famille recomposée de sept enfants moins un – Charles, 21 ans, a migré chez sa blonde. Chacun s’acquitte de ses tâches consignées sur des tableaux fixés au frigo. Un système de points valorise les bons comportements (plus un pour la promenade du chien) et pénalise les moins vertueux (moins un pour le coup de pied !). « On a une certaine organisation, mais il y a beaucoup d’improvisation, précise Jennifer. On s’ajuste, on éteint des feux, on compose avec les imprévus. »

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Tableau-Taches-Frigo

L’imprévu, elle connaît : presque tous ses enfants sont des bébés surprises ! « Même en prenant des précautions, je deviens enceinte. Je dois ovuler quatre fois par mois », dit-elle à la blague. Charles, Benjamin, Philippe et Jérôme sont les fruits d’une première union. Thomas, Fred, Béa et Évelyne, sa nichée avec François. Thomas est le chaînon manquant, emporté dans son sommeil par un choc septique à l’âge de deux ans. Ses beaux grands yeux noirs, immortalisés sur une toile qui surplombe la table en chêne, veillent sur la tribu. « Beaucoup de couples se séparent après un tel drame, dit François. C’est trop dur. On a sombré chacun notre tour. Mais le fait d’avoir continué la famille a sans doute aidé. »

Cadres

Jennifer le dit d’emblée : l’amour de son conjoint et de ses enfants, du premier à la p’tite dernière, lui a permis de passer au travers du deuil de Thomas, emporté dans son sommeil à deux ans.

Vers 5 h, un matin de l’an dernier, Jennifer a crevé ses eaux. La tête du bébé était trop engagée pour que la maman se rende à l’hôpital, et Évelyne, la p’tite dernière, est née sous les yeux médusés des enfants. « Ils étaient tous cordés le long de l’escalier. En arrivant, les ambulanciers sont restés ahuris : “Y en a combien, coudonc ?” » se remémore François en riant.

8h30
Fred et Béa font un gros câlin à leurs parents et partent à vélo pour l’école. Jennifer se sert un café, ramasse un peu et passe l’aspirateur, comme chaque jour. « C’est bordélique, mais au moins c’est propre ! Je pourrais faire juste ça, du ménage, du lavage, de l’époussetage. Mais j’ai choisi de m’occuper à autre chose. » L’ex-conseillère en communication s’est convertie en savonnière artisanale il y a cinq ans. Elle confectionne toutes sortes de produits corporels et capillaires à base d’huiles et de beurres végétaux, qu’elle vend en ligne et dans des boutiques spécialisées. François l’aide pour le graphisme et la comptabilité en dehors de ses cours d’éthique et culture religieuse. Baptisée avec humour La Prétentieuse (« On se donne de grands airs sans se prendre au sérieux ! »), l’entreprise monopolise plusieurs pièces transformées en bureau, atelier, réserve et entrepôt. Les petits s’amusent à trancher les barres, les ados à couper les rubans d’emballage. La blonde de Charles prend les commandes et répond aux commentaires. « Dans les périodes de pointe, la table est couverte de colis. On mange debout ou dehors », dit Jennifer.

Maman-Savons-Artisanaux

Ce qui au départ était un passe-temps est devenu son gagne-pain. Surtout depuis son passage remarqué à l’émission Dans l’œil du dragon en 2013. Les mois suivants, ses ventes ont explosé, même si elle a refusé l’offre des investisseurs, qu’elle jugeait insuffisante.

9h
Benjamin s’est réveillé et monte changer l’eau du lapin. Sa session au cégep terminée, il « chille » avant d’aller travailler à la quincaillerie du coin. « Mes amis aiment venir ici parce qu’il y a beaucoup de vie, explique le beau jeune homme. Ils considèrent mes frères comme les leurs. Ils aident à mettre la table et s’offrent à promener le chien ! »

Mais tout n’est pas rose. Il est arrivé que les parents doivent réclamer l’aide de leurs proches pour joindre les deux bouts. « Là on se maintient, affirme François. À condition d’avoir une seule voiture et de limiter les voyages. Les grands paient leurs à-côtés et les allocations familiales nous donnent un coup de main. »

Grand-Garcon-Bebe-Chien

Vingt ans séparent Charles d’Évelyne. Autant dire une génération. « Je ne suis pas la même mère aujourd’hui. Mes aînés me le disent : “Dans notre temps, on avait droit à une heure d’ordi. Fred et Béa n’ont pas de limites !” Avec les grands, j’ai fait du bricolage, joué à cache-cache, raconté des histoires… Je n’ai plus cette patience avec les cadets. Leurs frères ont pris la relève. » Ça ne fait pas toujours l’affaire de Fred, qui trouve Jérôme bien ­moralisateur !

Béatrice, elle, ne rechigne pas quand Philippe l’aide dans ses devoirs. « J’en profite alors pour me relaxer », sourit Jennifer.

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François avait 23 ans quand il a rencontré sa belle. À peine séparée, elle est ­devenue enceinte de lui. « Mon premier enfant à moi, c’était son cinquième à elle, observe-t-il. J’ai appris mon rôle de père en accéléré. Mettons que mes beaux idéaux d’éducation se sont étiolés ! » Il a racheté la moitié de la maison et le nouveau couple l’a remodelée au gré des naissances. « Avec sept enfants, t’es jamais dépourvu, philosophe François. Il y en a toujours un pour te refiler de l’aide, t’écouter. J’aime ce climat de partage. »

« Mes amies me trouvaient folle de recommencer si vite, enchaîne Jennifer. Mais je suis en harmonie avec mes choix. Je les fais avec mon cœur. »

9h30
C’est l’heure de la sieste d’Évelyne. Sa maman lui donne le sein couchée sur le canapé du bureau. Une fois la petite endormie, elle en profite pour consulter ses courriels. François recense les produits en sifflotant. Ces deux-là forment une belle équipe, même s’ils disposent de très peu de temps en amoureux. Ils ne sont jamais seuls à la maison. Ou seulement quand les astres sont alignés – les grands-parents prennent les petits et les aînés passent le week-end chez leur papa. Alors parfois, Jennifer va rejoindre son cupidon le midi pour un tête-à-tête au resto. « C’est le seul moment où on peut se parler sans être interrompus ! »

Bebe-Dodo

10h10
L’artisane passe un linge sur la table et dépose ses briques de savon d’argile et d’aloès pour les trancher. « C’est le plaisir de la savonnière », s’égaie-t-elle. Il reste suffisamment de produits de toutes espèces pour qu’elle n’ait pas à en concocter de nouveaux. Les jours de production, elle doit désinfecter la cuisine de fond en comble et sortir les chaudrons pour chauffer les huiles et les beurres. En une journée, elle peut fabriquer jusqu’à cinq lots de savon, crème, pommade, shampooing, baume ou gel douche.

10h30
Évelyne s’est réveillée. Jennifer la confie à Benjamin, qui lui colle des bisous. Elle doit préparer les colis et inscrire les adresses à la main. « Avec bébé, ça ralentit la production. Le baume à lèvres, par exemple, doit se faire d’un trait, sans quoi il durcit. Et certains produits, comme la soude caustique, sont irritants. » Elle bosse quand elle veut, mais cette flexibilité est une arme à double tranchant. « Il n’y a pas de coupure entre la maison et l’entreprise. Dans la même journée, je m’occupe de la boutique en ligne, je démarre une brassée et j’emballe les commandes. J’ai l’impression d’être une mère indigne qui travaille tout le temps », se culpabilise celle qui tient un blogue sur sa vie de famille nombreuse, Grande Dame.

15h
Évelyne dans les bras, Jennifer prépare un gâteau aux biscuits et à la crème fouettée. Elle appelle Jérôme : « Viens m’aider ! » L’ado monte aussitôt, s’enfile quelques biscuits au passage. Bébé passe dans les bras de papa, le bec barbouillé de chocolat. Carla Bruni chante en arrière-plan. Ça fleure bon le savon qui sèche dans l’atelier. « On les met où, les étiquettes ? » demande Jérôme. « Y a plus de place, on va rajouter un étage », plaisante François.

15h40
Fred et Béa vont ranger leurs vélos dans la cour. Jennifer les laisse jouer dehors, attraper des couleuvres si ça leur chante. Elle retourne à la cuisine faire mariner la viande. Charles, l’aîné, s’est annoncé pour souper. La fois où il a gardé ses frères et sa sœur pendant une semaine, alors que sa mère – enceinte d’Évelyne – et François prenaient des vacances en Écosse, il a réalisé la lourdeur des tâches domestiques. « Il m’a dit : “Maman, tu surpasses tous les XMan !” Il s’était tapé les devoirs, le souper, les chicanes… Il était épuisé ! »

Maman-Ado-Souper

Je lui demande si elle a hâte que ses enfants soient grands et indépendants. « Leur brouhaha va me manquer, dit-elle. Ils me font avancer et m’empêchent de craquer – je porte la mort de Thomas comme une blessure. Je suis fière de les voir grandir. Les grands s’expriment clairement, ils sont vifs d’esprit, élégants, même, dans leurs moqueries ! Ils me facilitent la vie. Si je disparaissais demain, ils sauraient se débrouiller. »

À 16 h 30, j’ai dû partir m’occuper de ma propre famille (un garçon et deux beaux-fils, y a rien là finalement !). Le lendemain, j’ai trouvé un message de Jennifer.

« Cet après-midi, Charles est arrivé vers 17 h. Béatrice l’a serré dans ses bras, Fred a jasé avec lui. Évelyne s’est mise à pleurer parce qu’elle ne le reconnaît pas. J’ai classé quelques trucs dans l’atelier puis on a soupé ensemble. Personne n’a ramassé la vaisselle, on était trop claqués. J’ai bordé les petits. Béatrice a oublié son sac d’école sur le patio à la pluie battante. Ce matin, il était trempé. Le bordel de la veille m’attendait sur le comptoir… »

S’organiser à neuf

  • À qui le tour de vider le lave-vaisselle, débarrasser la table, ranger l’épicerie, sortir le recyclage ? Pas de chicane, tout est consigné au tableau. Une fois la corvée terminée, le jeune coche la case appropriée et appose sa griffe. Au suivant !
  • Le linge est lavé par catégories et déposé sur le lit
    du responsable – Benjamin s’occupe des serviettes, Jérôme des chandails, et ainsi de suite.
  • Un vestibule et un étage ont été ajoutés à la maison.
    Les grands dorment au sous-sol, les petits en haut avec les parents.
  • Bien manger n’implique pas de planifier tous les repas. « Je fais mon épicerie en fonction des rabais », dit Jennifer. Le panier coûte en moyenne 300 $ par semaine, sans compter le ravitaillement quotidien en lait, fruits, pain…

Garcon-Recuperation

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