Une rue endormie du Vieux-Longueuil, une maison centenaire élégante et sobre. Dans l’entrée, une bicyclette rose, quelques jouets, un boyau d’arrosage, une auto qui attend d’être lavée… L’image d’Épinal de la vie de banlieue. La porte s’ouvre sur une tignasse frisée en bataille, un t-shirt blanc au logo rouge délavé, un sourire fendu jusque-là, des yeux noisette plus pétillants qu’un Dom Pérignon. Et un retentissant « Allôôô! T’as pas eu de misère à trouver? Rentre, j’ai mis du vin au frais! »
Pendant qu’Hélène prépare une assiette à grignoter, je remarque un cartable déposé sur le comptoir de cuisine et ouvert sur des dessins. « Des autoportraits. Margot se dessine souvent faisant un clin d’œil, je ne sais pas pourquoi. » La naissance de sa fille, il y aura sept ans cet automne, a été accueillie comme un véritable miracle après moult fausses couches, dont une à quatre mois de grossesse. « J’avais un besoin hurlant d’être mère. Sans enfant, je ne me sentais pas complète, j’avais l’impression que ma raison d’être sur terre n’avait pas été entendue. »
Bye bye District 31
Margot et son père, Dominic, ingénieur de son et compagnon de l’actrice depuis près d’une décennie, ont pris congé pour l’après-midi. Quasi muette sur les réseaux sociaux, Hélène couve son monde: elle a attendu six ans avant de fouler un tapis rouge avec son chum, et il n’y a aucune photo de Margot sur Internet. Et jamais encore un journaliste n’était entré chez elle.
Mon hôtesse est un feu d’artifice. Phénoménale, solaire, lumineuse, d’après les mots de sa grande amie Guylaine Tremblay. « Et qui, en fille très généreuse, précise-t-elle, partage cette lumière avec les autres. »
Chez Hélène, la décoration, épurée et conviviale, réserve quelques surprises, dont un authentique banc d’église en bois avec agenouilloir qui donne presque envie de se confesser. Sur une étagère entre la cuisine et la salle à manger, une sculpture dorée capte les rayons du soleil. « Oui, c’est le trophée Artis que j’ai gagné pour District 31 au dernier gala, dit-elle, un peu gênée. Je l’ai posé là au retour de la soirée, et je n’ai pas eu le temps d’aller le mettre avec les autres au sous-sol. » Légère hésitation… « Tu veux aller voir? »
Ils sont là en effet, serrés comme des brebis sur une tablette trop étroite pour le troupeau: six Gémeaux (trois pour les Bye Bye, trois pour Annie et ses hommes), deux autres Artis (en 2006 et 2007) et un MetroStar, son ancêtre, tous récoltés pour Les Bougon. D’ailleurs, l’affiche de cette télésérie trash orne le mur d’à côté. Entre Antoine Bertrand et Rémy Girard, Hélène prend la pose en Dolorès, prostituée cheap aux yeux charbonneux. Rôle qui l’a lancée illico. « J’avais 29 ans, je commençais ma carrière et j’ai eu peur d’être la saveur du mois. Le plus difficile, c’est de durer. J’avais besoin de sentir que j’appartiens à cette industrie, à ce paysage culturel, et j’ai passé les 10 années suivantes dans une quête professionnelle pour m’installer. »
Elle a vite voulu casser l’image de « la fille fofolle et bubbly » en incarnant le Mal suprême: la marâtre d’Aurore, l’enfant martyre, en 2005. « On m’en parle encore. » Aurore était son premier film… et le premier de son réalisateur, un certain Luc Dionne.
Saut dans le vide
Installés dans le séjour avec vue sur la piscine, nous trinquons au vin blanc. En récapitulant son printemps étourdissant, Hélène revient sur la « démission » de la sergente-détective Isabelle Roy, le 8 avril, devant 1 600 000 accros scotchés sur leur sofa. « District 31 a été une folle machine qui a duré trois ans et que j’ai adorée, dit-elle, reconnaissante. J’ai pu vérifier que j’étais capable de jouer dans un show plus réaliste, avec un niveau de jeu beaucoup plus simple que ce que j’étais habituée à faire. Pas caricatural ni comique. C’est formidable de constater que, même après 20 ans de métier, on évolue encore, on apprend. »
Pourquoi alors tirer sa révérence? La raison, Hélène l’a expliquée à Fabienne Larouche, productrice de la série, et à Luc Dionne, l’auteur, qui ont compris. « Dans le long monologue final que Luc m’a écrit, les derniers mots sont exactement ceux que je lui ai dits: “J’suis pus capable, le peu qui me reste, je vais le garder pour moi, OK?” »
Un départ qui n’a pas surpris son ami Joël Legendre. « Hélène est toujours à la recherche de l’équilibre, et quand le travail prend trop de place, elle n’est pas bien, elle veut revenir à sa base, sa famille. »
Elle a pris sa décision sans avoir de plan B. « Je quittais pour rien d’autre, c’était un réel saut dans le vide. » Ça n’a pas été long avant qu’un parachute se présente, appelé Toute la vie et signé Danielle Trottier.
L’action de cette nouvelle série télé de l’autrice d’Unité 9, encore une fois réalisée par Jean-Philippe Duval, se déroule dans une école qui accueille des adolescentes enceintes ou mères. « Avec Jean-Philippe, on cherchait une comédienne entre 35 et 45 ans pour le rôle de Tina, la directrice, l’âme de l’école, explique Danielle Trottier. Dans ce créneau-là, il y a plusieurs actrices, et on en a rencontré un certain nombre. On avait bien sûr pensé à Hélène, mais elle était encore dans District 31. Dès qu’on a eu vent de son départ, on l’a contactée. »
Hélène était aux anges. « Guylaine Tremblay me parlait souvent de son réalisateur d’Unité 9, et elle me disait: “Il faut que tu travailles avec Jean-Philippe! Il adore l’univers des femmes, leur intimité. ” » À deux reprises déjà, elle avait auditionné pour entrer à la prison de Lietteville, sans succès. « En plus, il avait pensé à moi la deuxième année quand Suzanne Clément est partie, mais le rôle de Shandy était trop proche de ma Dolorès des Bougon et j’ai refusé. Ça commençait à être gênant. » Ce coup-ci, il fallait que ça marche. Et ça a marché du feu de Dieu, confirme Danielle Trottier. « Hélène a fait l’unanimité à l’audition. Il y a eu une vraie rencontre entre une comédienne et un personnage. Son énergie est légendaire. Elle a beaucoup de métier, ça se voit tout de suite quand elle arrive sur un plateau. Et je l’ai regardée agir avec les jeunes comédiennes, c’est une rassembleuse. Hélène a été choisie, mais elle nous a choisis aussi. »
Toute la vie signale le retour à la télévision, après huit ans d’absence, de Roy Dupuis, dans la peau d’un psychoéducateur. Une information qui n’est pas passée sous le radar. « Je ne sais pas si je peux le dire, mais tout le monde me demande [elle prend une voix rauque et un ton dramatique]: “C’était comment ta première journée avec Roooy, il est comment sur le plateau, Roooy?” Je suis sûre que personne ne lui a demandé: “Comment c’est de jouer avec Hélèèène?” » Elle rit de bon cœur, remplit nos verres. « C’est drôle, parce qu’on ne m’a jamais questionnée autant sur un partenaire de jeu. »
Oui, elle est bien d’accord, Roy est un grand acteur qui a toute une réputation, mystérieux, ténébreux, etc. Et, à une certaine époque, peut-être aurait-elle été impressionnée. « Mais ça reste un gars comme les autres, et c’est comme ça que j’aborde les gens. Ça ne me tente pas d’être en dessous de personne ni au-dessus. Je ne vois pas pourquoi je serais honorée, ni pourquoi je ne le serais pas. On joue ensemble, je suis très contente, c’est super agréable, point à la ligne. »
Le secret
Ce nouveau rôle est peut-être celui qui se rapproche le plus de sa vraie nature, croit Hélène. D’ailleurs, elle gardera ses boucles naturelles à l’écran, une première en carrière. « Tina a mes cheveux. » Le détail capillaire n’est pas anodin. « Tranquillement, ajoute-t-elle, l’actrice accepte qu’il n’y ait pas une si grande distance entre elle et le personnage. »
Outre la crinière indomptée, Hélène partage de nombreux traits avec Tina, dont le besoin de maternité et l’amour viscéral des enfants. « Tina en voulait, mais n’en a pas eu. Elle a un manque, et ces filles dans son école viennent le combler. Si Tina pouvait, elle les adopterait toutes. »
L’adoption, Hélène y a pensé beaucoup avant l’arrivée de Margot, et après aussi. « Je viens d’une famille de deux, mon chum d’une famille de trois, je ne voulais pas d’un enfant unique, je voulais une smala, idéalement trois ou quatre, mais j’ai rencontré l’homme de ma vie tard. » Voilà une dizaine d’années, l’actrice alors célibataire espérait adopter en Haïti, mais au moment où elle s’apprêtait enfin à s’envoler pour Port-au-Prince, le séisme de 2010 a tout chamboulé. « Dominic et moi, on s’est dit qu’on allait adopter au Québec. »
C’était il y a plus de trois ans. « Pour des questions légales et de confidentialité, on n’a pas pu en parler avant aujourd’hui. L’adoption sera finale dans quelques mois, mais elle l’est déjà techniquement. Et là, je te le dis et tu pourras l’écrire: je suis mère de deux enfants, Margot, ma fille, mais ça, tout le monde le savait, et Oscar, mon fils, né au Québec et qui aura bientôt quatre ans. »
Hélène préparait le terrain pour une sortie publique en rongeant son frein. « J’avais besoin de le dire, j’étouffais. Le secret était épouvantable à garder, comme si je trahissais mon garçon. »
Au dernier gala Artis, en acceptant son trophée, quelque part dans ses remerciements, elle a glissé un « mes enfants » qui a sans doute été mis sur le compte de l’énervement. Que nenni! « J’ai fait exprès. » Dans la salle, Guylaine Tremblay contenait difficilement son émotion. « Je savais tout ce qu’il y avait derrière ce “mes enfants”, son désir de le dire enfin, pour elle et son chum. Je la vois aller, c’est une mère formidable. Le bonheur est dans sa maison. »
Une mère comblée
Hélène ne peut résister à l’envie de fouiner dans son portable pour me montrer son trésor. « Sérieux, il est beau, hein? C’est mon p’tit gars. Oscar est arrivé dans notre famille comme la pièce du casse-tête qui manquait. » Elle zappe sur une autre photo. « Et là, il est avec sa grande sœur. » Craquante, elle aussi, avec sa frimousse qui rappelle sa mère. « Ils s’entendent comme larrons en foire. »
Hélène continue à regarder sa progéniture enlacée et tout sourire. Une larme perle. « Il me ressemble plus, côté personnalité, que ma propre fille. C’est dingue. Comme moi enfant, il a besoin d’être vu, alors qu’elle est plus réservée. Margot est un gros bouddha, c’est madame adaptation, lui, un gros chat qui veut se faire flatter. Je pourrais en parler pendant 120 heures. »
Elle pourra le faire désormais, avec tout le monde, et parions qu’elle ne s’en privera pas. « L’adoption nous apprend quelque chose de fondamental comme parents, chose que j’aurais dû savoir ou apprendre avec ma fille biologique: nos enfants ne nous appartiennent pas. On est juste là pour les guider. Et c’est mon mandat avec eux. Oscar n’a pas mes gènes ni mon sang, mais il a tout le reste: mon âme, ma bienveillance. Et tout mon cœur. »
Merci au Château Ramezay – Musée et site historique de Montréal pour son accueil lors de la séance photo.
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