Voyages et escapades

J’ai traversé à pied la Gaspésie… et cela m’a fait un bien fou!

J’en rêvais. Je l’ai fait. Une randonnée de six jours à travers les splendeurs de la nature gaspésienne. Départ sur la plage de Bonaventure, traversée des Chic-Chocs et arrivée au parc Forillon, le bout du monde, ou presque.

Petite-Vallée (Photo: ricochetdesign.qc.ca)

L’offre de la Traversée de la Gaspésie à bottine (TDLG) est irrésistible : des randonnées de 15 à 20 kilomètres par jour en compagnie de guides expérimentés, le confort des gîtes et hôtels le soir, des repas succulents où les spécialités du terroir sont à l’honneur, et le transport des bagages assumé pour nous. Tout est prévu, même les lunchs. Le meilleur des mondes, quo!

Arrête de rêver, fille, fais-le.

Je remplis mon sac et je pars. Destination: Bonaventure.

Onze heures de route à bord de l’autocar nolisé par l’organisation de la TDLG, c’est déjà le début de l’expédition. Dans l’impossibilité de même songer à faire une brassée de lavage ou autres tâches domestiques, je me laisse porter, la pensée déjà vagabonde.

Marcher pour décrocher de la liste de «choses à faire»…

Lorsque nous passons à Trois-Pistoles, ma voisine de siège me confie qu’elle sort tout juste d’une période mouvementée, une séparation après plusieurs années de vie commune. Cette traversée de la Gaspésie à pied, c’est sa façon de terminer son deuil avant d’entreprendre un nouveau chapitre de son existence. Elle me montre une clé, celle de la maison familiale qui vient d’être vendue. «Au bout de la route, je la lancerai dans la mer», lâche-t-elle. Dans ses beaux yeux, j’ai droit à mon premier paysage: un cumulus de tristesse sur trois montagnes d’espoir.

Marcher pour s’alléger…

Une belle initiative

À Bonaventure, je rencontre Claudine Roy, 62 ans, la fondatrice et l’âme de la TDLG. Avec son sourire irrésistible, sa bonne humeur contagieuse et l’immense tournesol jaune qui dépasse de son sac à dos, elle me donne envie de la suivre jusqu’au bout du monde. Ça tombe bien, c’est au programme ! Tout au long de la semaine, je verrai cette gamine espiègle étreindre et surveiller «son» monde, comme un chien de berger son troupeau.

Claudine est à l’image de sa Gaspésie natale: chaleureuse, aimante et directe. «J’ai eu une idée folle, celle de faire marcher du monde ensemble, d’aller au cœur de l’humain, et je l’ai fait. Ma vie a toujours été comme ça, c’est la passion qui me drive. Sinon, à quoi ça sert?» lance -t-elle.

Par un petit matin généreux en bourrasques, je retrouve mes compagnons de route sur la plage pour le départ. Aucun dénivelé pour cette première journée, juste une belle mise en jambes sur la grève, entre galets et marais. Le groupe se sépare en grappes, chacun trouvant son rythme. Nous sommes presque 200 participants, mais l’immensité de l’horizon est telle qu’on se sent quand même seul au monde.

Marcher pour voir plus loin que nous.

Surtout une gang de filles

Je n’ai pas de bottines de randonnée, juste de vieux Salomon de trail, usés à la corde par d’innombrables courses en sentier. Pas de bâtons de marche non plus – je le regretterai dans la descente de la cuve du mont Albert. Mon seul équipement consiste en un minuscule sac à dos dans lequel j’ai glissé un imper qui se roule, un couteau suisse, un sifflet et du chocolat.

Marcher pour découvrir que la grosseur du sac est proportionnelle à nos peurs, et que l’essentiel, c’est le chocolat (avec des noisettes).

Des participantes au mont Albert (Photo: ricochetdesign.q.ca)

En route vers le sympathique Café Acadien de Bonaventure où nous attend notre premier apéro de la semaine (ils ont le sens de la fête, les Gaspésiens!), quelque chose me frappe: la majorité des marcheurs sont des marcheuses. En fait, les trois quarts des participants sont des femmes, selon l’organisation.

Tiens, tiens… Loin du quotidien, ainsi que des obligations professionnelles et domestiques, les filles auraient-elles des choses à méditer? Je regarde toutes ces femmes qui avancent et je les trouve belles avec leurs grosses bottes de randonnée, leurs impers colorés et leurs éclats de rire. Cette traversée de la Gaspésie prend tout à coup un autre sens. C’est une marche au féminin, une évasion, un espace de réflexion et de «grand ménage» de la tête.

«La TDLG, c’est mon moment à moi, un cadeau que je me fais en dehors de mon quotidien, un espace pour me ressourcer», me confie Virginie Egger, illustratrice et mère de deux grands garçons.

Marcher pour s’accorder du temps.

Au fil des sentiers, les filles racontent qu’elles sont à un moment charnière de leur vie – nouvelle carrière, départ des enfants de la maison, rupture amoureuse, fin de projet professionnel – et que cette pause en mouvement de plusieurs jours a pour elles valeur de symbole.

Marcher pour apprivoiser le changement.

Les jours suivants, nous nous mesurons aux montagnes des Chic-Chocs : monts Xalibu, Albert, Blizzard, Pic de l’Aube… Des noms évocateurs, une nature aussi rugueuse que grandiose et des montées abruptes où les sapins cèdent la place à la toundra des sommets. Des horizons à perte de vue, sans traces de civilisation, des rencontres magiques – geais gris, ours noirs et caribous fauves – et des descentes vertigineuses… Puis, la chaleur du Gîte du Mont-Albert et un bon vin que nous partageons en parlant des exploits de la journée.

Marcher pour partir à la découverte d’un pays unique: la Gaspésie.

À la rencontre de soi

La comédienne Sophie Faucher se trouve juste à côté de moi lorsqu’elle trébuche sur une racine et fait une mauvaise chute à quelques centimètres d’un ravin escarpé. Sophie se relève et, avec humour, balaie l’incident du revers de la main, prouvant que son moral est fait du même acier que ses mollets.

Marcher pour dédramatiser.

Je me sens privilégiée d’être entourée de ces femmes pleines de ténacité et de grandeur qui montent un pas à la fois, le souffle court et les jambes en feu. Plus le sommet est difficile à conquérir, plus la sensation est grisante. Nous l’avons fait!

Nous avançons en accordant notre rythme et nos envies de parler (ou non). Mes compagnes viennent de tous les horizons, de tous les styles de vie, mais nous avons une chose en commun : la route… et parfois quelques ampoules.

Le trois quarts des participantes de la Traversée de la Gaspésie en bottine sont des femmes. (Photo: Geneviève Lefebvre)

J’apprends que Michelle Allen, la talentueuse scénariste de la série Fugueuse, est une fervente adepte de randonnée et qu’elle prépare un trek à l’île de la Réunion. Je connaissais son humour de ville, je découvre son rire des bois. Pas une seule fois nous ne parlons de nos métiers.

Marcher pour se connaître autrement.

Sur les cimes des montagnes gaspésiennes, la vue coupe le souffle, fait monter les larmes aux yeux et ouvre l’appétit. Assise sur un rocher parmi mes compagnes, je mange mon lunch en ressentant un bonheur indicible m’envahir. Moi, la solitaire, si réfractaire à tout ce qui est grégaire, je me sens vraiment heureuse de partager ces moments de beauté avec d’autres humains émerveillés.

Marche, prie, mange ton sandwich.

Et puis, trop vite, trop tôt, nous arrivons au parc Forillon, le bout de la route… Avec ses vallées sensuelles et ses falaises escarpées, sa lumière digne d’un tableau flamand et ses concerts de baleines et de phoques, c’est le plus long et le plus doux de tous nos trajets. Le point d’orgue parfait pour terminer notre périple.

Lors des derniers kilomètres de cette semaine riche en émotions, je croise ma voisine d’autocar. Nous échangeons un sourire qui se passe de mots. Je sais qu’elle se dirigera bientôt, seule, vers la mer pour se débarrasser de la clé qui symbolise son ancienne vie.

Quelques braves se jettent dans les vagues glacées en riant comme des enfants. J’ignore de quoi sera fait l’avenir pour nous toutes, mais une chose est sûre: la route partagée nous change. Elle allège les cœurs, console des peines et forge des amitiés.

Marcher pour saisir le temps au vol et s’offrir la grâce d’un moment d’éternité.

Marcher.

Scénariste et écrivaine, Geneviève Lefebvre a écrit quatre romans, dont Toutes les fois où je ne suis pas morte (Libre Expression), son plus récent.

 

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