Elle arrive sur sa trottinette, joues rosies et cheveux au vent. Avec quelques minutes de retard à notre rendez-vous. « Excuse-moi, je me suis couchée à trois heures. Les enfants sont chez leur père, j’ai pu dormir un peu plus ce matin. » À l’évidence, autant le manque de sommeil que le temps qui passe ont peu de prise sur Mariloup Wolfe. Un avis que ne partage pas la principale intéressée. Mais avant d’aborder ce sujet et bien d’autres, un p’tit remontant est nécessaire.
C’est elle qui a suggéré le café-bar Gypsy, une nouvelle adresse au cœur du Plateau, le quartier de son enfance retrouvé avec bonheur après sa séparation il y a trois ans. Et c’est devant un jus détox vert (très) fort en gingembre que Mariloup m’explique ce qui l’a gardée debout si tard. « J’ai eu une grosse journée. Hier, c’était le 10e jour de tournage de Mon fils ». Cette télésérie de six épisodes a été écrite par Anne Boyer et Michel D’Astous (Yamaska, L’heure bleue, à TVA). Mariloup la réalisatrice y dirige une distribution cinq étoiles: Élise Guilbault, Patrice Godin, René Richard Cyr, Kathleen Fortin…
Mon fils, qu’on verra cet hiver sur Club illico, traite de santé mentale, celle du jeune Jacob, 18 ans, qui souffre de schizophrénie. Le sujet a pour Mariloup une résonance particulière. « Mon père est psychiatre. Il recevait des patients à la maison le soir, quand j’avais cinq ou six ans. Son bureau avait une double porte, on n’avait pas le droit d’entrer. Mais je devais passer devant pour aller aux toilettes, et je me disais, y’a des fous derrière la porte. »
Mariloup, en ancienne première de classe, débarque toujours ultra préparée sur un plateau. Pour Mon fils, elle a visité plusieurs unités psychiatriques en amont du tournage. « Mon père est venu avec moi, il était tellement fier de me présenter à ses collègues : “Ma fille fait une série sur la psychiatrie.” » Il est aussi allé la voir à l’œuvre. « Après, il m’a dit, tu sais, peut-être que le jeune acteur aurait dû faire ça plutôt que ça. “Mais, papa tu aurais dû me le dire sur le moment, il est trop tard maintenant !” Il n’avait pas osé. »
Réaliser son rêve
Marcel Wolfe vit encore dans la maison d’enfance de Mariloup, face au parc La Fontaine et collée au mythique Jardin des merveilles, disparu aujourd’hui. « Les paons, ça crie fort, les éléphants aussi », dit la blonde actrice-réalisatrice, en se remémorant les braillements et les barrissements qui la réveillaient aux aurores. Ce joli coin de verdure, au cœur de la métropole, elle y tient. « J’y suis tout le temps, j’habite à deux minutes. On y va? »
En route vers le parc La Fontaine, elle me rappelle le parcours qui l’a menée à la réalisation. « En 2001, j’étudiais à l’Université Concordia en production cinématographique. Ma mère venait de mourir d’un cancer à 55 ans, j’étais fatiguée de la vie, perdue, je me cherchais. » Sur un coup de tête, et encouragée par son père, un cinéphile qui lui a donné très tôt la piqûre du septième art, elle a participé à un concours de courts métrages. Et Fly Fly (un bijou d’à peine trois minutes, à voir sur son site perso) a gagné le premier prix, assorti d’une bourse de 5 000 $. « Le film a voyagé dans des festivals, à Namur, en Belgique, à Rouyn-Noranda… » La fille perdue avait trouvé sa voie.
Pourtant, au même moment, elle tenait un rôle de premier plan dans Ramdam (de 2001 à 2008 à Télé-Québec), l’émission jeunesse qui fera de Mariloup Wolfe l’idole d’une génération et l’une des vedettes les plus populaires au Québec. Tout à ses études en cinéma, l’actrice n’a pas fait d’école de théâtre. « Le jeu est arrivé par hasard dans ma vie. » Un frère à l’emploi d’une agence de casting, quelques figurations, un talent naturel, une détermination, un peu de chance aussi, et le reste s’est enchaîné.
Ce que Mariloup veut…
Son succès au petit écran (et au grand, notamment dans C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée) ne lui a pas fait oublier son premier amour. Mariloup avait un but: réaliser un long métrage avant sa trentaine. En 2008, à 30 ans, elle tournait Les pieds dans le vide, doté d’un impressionnant budget de 4,2 millions. « Quand Mariloup décide quelque chose, ça arrive », affirme avec admiration la productrice Annie Blais. Elles se sont rencontrées à l’occasion de ce premier film, et se sont retrouvées 10 ans plus tard pour le second, Jouliks – la pièce de théâtre du même titre, écrite par Marie-Christine Lê-Huu, a été encensée à sa création, en 2005.
« Quand j’ai lu le scénario qu’en a tiré Marie-Christine, il y a quatre ans, j’ai beaucoup pleuré, se souvient Mariloup, assise à l’ombre d’un érable. J’ai été incroyablement touchée par cette enfant de sept ans qui raconte avec des mots poétiques l’histoire d’amour fou de ses parents qui s’entredéchirent. » Mariloup a tout aimé: l’univers marginal, la campagne, les années 1960-1970… « Ç’a été viscéral, et ça ne s’explique pas, mais je savais que c’était pour moi. J’ai rencontré les producteurs, dont Annie Blais. Je n’ai pas été choisie, et ça m’a vraiment ébranlée. »
Peu importe, pendant deux ans, elle n’a pas lâché le morceau. « Chaque fois qu’on se croisait, confie Annie Blais, Mariloup me lançait : “Jouliks, c’est moi qui vais le faire.” C’est devenu une blague entre nous. Elle y tenait tant qu’elle a même pensé à jouer le rôle de la mère, une trentenaire. Je lui répondais qu’elle était trop vieille. » Puis un jour, Mariloup reçoit l’appel qu’elle attendait. « Annie m’a dit en riant : “Lâche ta poupée vaudoue, le réalisateur s’est désisté, le film est à toi!” »
La confiance d’une pro
En 10 ans, Mariloup la cinéaste a pris du galon. « Elle sait ce qu’elle veut, et elle installe une espèce d’autorité naturelle sur le plateau, souligne Annie Blais. Dans sa direction d’acteurs, notamment, elle a atteint une maîtrise extraordinaire. »
Une force que confirme la comédienne Mylène St-Sauveur, dirigée en 2017 par Mariloup dans la télésérie Hubert et Fanny (ICI Radio-Canada Télé). « Elle comprend ce par quoi on passe, elle sait comment nous parler. J’avais des scènes de nudité et d’intimité à tourner, mais j’étais en confiance grâce à Mariloup », résume Mylène.
Jouliks présentait un défi de taille: trouver l’actrice principale. « Je cherchais une fillette qui sait jouer le drame, qui porte un fardeau sur ses épaules, un peu tomboy, avec quelque chose de sauvage… », dit Mariloup. Parmi les 235 aspirantes vues en audition, une perle rare: Lilou Roy-Lanouette, sept ans. « C’est son premier film, et la première fois qu’elle jouait. » Et quels débuts!
Mariloup avait déjà dirigé de très jeunes acteurs, et son travail avec Lilou a confirmé son aisance avec les enfants. « Peut-être parce que les miens ont le même âge? » lance la cinéaste.
Les siens s’appellent Manoé et Miro, neuf et sept ans. Leurs noms surgissent souvent dans la conversation. Ils montrent à l’occasion leurs adorables frimousses aux quelque 450 000 abonnés (Instagram et Facebook combinés) de leur mère: pendant les vacances, à la rentrée scolaire…
Il y a deux ans pourtant, Mariloup m’avait dit ne pas vouloir exposer ses fils sur les réseaux sociaux. Elle a changé d’avis. « J’ai assisté à un événement avec eux sans me douter qu’il y aurait un tapis rouge… Ils font tellement partie de ma vie. J’ai envie de partager ce bonheur avec les gens. À petites doses », précise-t-elle.
Dans Jouliks, Miro et Manoé font de la figuration. « J’ignore ce qu’ils choisiront plus tard comme métier, mais j’aime qu’ils sachent ce que je fais. Chacun leur tour, ils s’assoient sur ma chaise de réalisatrice, je leur mets mes écouteurs et ils disent : “3, 2, 1, action!” » Une scène à laquelle Mylène St-Sauveur a assisté. « Mariloup, c’est un modèle, une super-woman très groundée qui mène de front sa vie personnelle et professionnelle, dit-elle. De voir une femme qui réussit aussi bien la conciliation travail-famille, c’est encourageant! »
Mais la superfemme n’est pas à l’abri des remises en question. « Depuis trois ans, je tourne chaque été, quand ils sont en vacances. Ils se plaignent. Et je me sens terriblement coupable. » Son regard suit un garçonnet qui court dans le parc. « J’essaie de leur faire comprendre que le reste de l’année, je vais aller les chercher tous les jours à trois heures et demie, quatre heures, alors que les autres parents viennent souvent à cinq heures. Ils me disent, maman, tu devrais vendre la maison, on serait riches, tu pourrais arrêter de travailler et t’occuper de nous autres. “Oui, les garçons, mais même si j’étais millionnaire, je travaillerais, parce que j’adore ce que je fais.” »
Miroir, miroir…
Très demandée derrière la caméra, Mariloup se fait plus discrète devant, mis à part les messages publicitaires télé pour Chevrolet. Apparemment, et pour le moment, cela suffit à nourrir son envie de jouer.
« La réalisation me comble vraiment. Je suis moins confrontée à mon image, et c’est tant mieux. » D’elle-même, elle aborde le sujet. « Vieillir, je ne trouve pas ça simple. » Difficile à croire, mais bon…
En fait, Mariloup m’avait dit la même chose en 2017, à 39 ans. Elle tient le même discours aujourd’hui. « Quand je me prends en selfie, je mets parfois des filtres, et ça aide. Mais quand je me vois en photo, les miennes ou celles des autres, j’ai sur le coup toujours un petit choc, je ne m’aime pas. Après, ça passe. »
Alors que je la raccompagne chez elle, je remarque ce sourire spontané, cette flamme dans les yeux. Une évidence: Mariloup est heureuse. Et peut-être… amoureuse? « J’ai décidé que je ne parlerais plus de mes amours. J’ai eu ma leçon. Cela dit, depuis trois ans, tu sais, je me suis amusée… » Comprenne qui voudra.
Longtemps, elle a été la moitié d’un couple célèbre. Aujourd’hui, elle se dit entière. « Je me sens épanouie. Quand tu te sépares, c’est un peu comme si tu te choisissais. Le fait d’être seule m’a fait vivre des moments importants avec mes enfants. J’ai responsabilisé mon rôle de mère. » Un premier rôle qui le restera toujours.
Jouliks, avec Lilou Roy-Lanouette, Victor Andres Trelles Turgeon et Jeanne Roux-Côté. Sortie en salle au Québec: le 1er novembre.
À lire aussi: La vie des grands artistes en photos