Féminin universel

Colloque de l’Alliance des professeurs: un beau gâchis!

En excluant Nadia El-Mabrouk de son colloque annuel, les dirigeants de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal viennent d’en faire une martyre de la liberté d’expression.

Photo: iStock.com / Zurijeta

 

L’Alliance des professeures et professeurs de Montréal, syndicat très militant et engagé, tiendra le mois prochain son colloque annuel. Et on peut dire que c’est mal barré…

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir dans le programme de l’événement (auquel je participerai en tant que conférencière) une conférence intitulée «Laïcité et éducation: osons la cohérence», de Nadia El-Mabrouk. Professeure à l’Université de Montréal, Mme El-Mabrouk milite pour l’interdiction du port de signes religieux pour les enseignants. Or l’automne dernier, l’Alliance des profs s’est plutôt prononcée en faveur du port de signes religieux pour les enseignants…

Toujours en parcourant la brochure, j’ai constaté que Mme El-Mabrouk prendrait aussi part à une table ronde avec la journaliste engagée et féministe Pascale Navarro, où il serait question des stéréotypes de genre et de l’éducation à l’égalité. Le descriptif de l’atelier promettait de traiter «des droits de l’enfant, des droits des femmes ainsi que du contenu des apprentissages en lien avec l’éducation à la sexualité et le cours éthique et culture religieuse».

J’ai grimacé en lisant cela. Pourquoi? Parce que les partisans d’une laïcité qui lave plus blanc que blanc s’en prennent régulièrement au cours d’éthique et de culture religieuse enseigné au secondaire. Ils le perçoivent comme un cheval de Troie visant à endoctriner les élèves au maléfique dogme du pluralisme culturel et religieux.

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Pour tout vous dire, j’étais tiraillée. Je trouvais que c’était à la fois audacieux et plutôt incongru pour un syndicat d’inviter une intervenante aux vues si diamétralement opposées à ses prises de position publiques. Et puis, pourquoi pas? ai-je finalement tranché. Il y aurait certainement, au cours du colloque, une autre conférence sur la laïcité présentant un point de vue différent. Or, j’ai eu beau chercher, je n’en ai pas trouvé.

Mauvaise décision

De nombreux membres de l’Alliance ont manifesté leur mécontentement face à la présence de Mme El-Mabrouk au colloque annuel, au point où la direction du syndicat a annulé l’invitation faite à cette dernière. Bien que le dialogue me semble toujours préférable aux guerres de tranchées, on peut se demander si la participation de Mme El-Mabrouk au colloque aurait tant dérangé si on s’était donné la peine de lui opposer un véritable contrepoids.

Car c’est bien là le problème: l’absence d’une contrepartie. Aucune femme musulmane voilée ne figure au programme comme panéliste ou conférencière, ni aucun enseignant arborant un signe religieux, point. On a exclu du débat les principales et principaux intéressé.e.s. Encore une fois.

De plus, des enseignants ont indiqué sur les réseaux sociaux avoir souhaité l’exclusion de Mme El-Mabrouk en raison de ses vues arriérées et discriminatoires quant aux droits des personnes trans exprimées dans La Presse et on peut très bien comprendre leur courroux.

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Bref, quand les choses sont si mal barrées dès le départ, cela ne peut que mal tourner… Disons-le franchement, on vient d’assister à une véritable comédie d’erreurs. D’abord, inviter Mme El-Mabrouk sans s’assurer de lui opposer une contrepartie, ça ne tenait pas la route. Et la décision insensée de l’exclure du colloque non plus… Au contraire, il aurait plutôt fallu ajouter au moins une conférence! Et voilà qu’on veut marcher sur la peinture et la réinviter

Quel gâchis. Non seulement on se prive d’une discussion intéressante sur le port des signes religieux, Mme Navarro s’étant retirée par solidarité, mais on vient renforcer le stéréotype voulant qu’une certaine gauche soit intolérante aux idées divergentes et incapable de débattre.

Et surtout, on a érigé Mme El-Mabrouk en martyre de la liberté d’expression. Voilà qui amènera de l’eau au moulin des tenants d’une version intégriste de la laïcité, alors qu’en réalité, cette idéologie, en voulant annihiler les différences culturelles, génère de l’exclusion.

Dommage que l’Alliance des profs ait choisi d’éviter une nécessaire et franche discussion à ce sujet.

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Marilyse Hamelin est journaliste indépendante, chroniqueuse et conférencière. Elle est aussi l’animatrice à la barre du magazine culturel Nous sommes la villeà l’antenne de MAtv. Elleblogueégalement pour la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et est l’auteure de l’essai Maternité, la face cachée du sexisme (Leméac éditeur), dont la version anglaise – MOTHERHOOD, The Mother of All Sexism (Baraka Books) – vient d’être publiée.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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