Je ne sais pas pour vous, mais moi, je suis une « empirique ». Pour comprendre quelque chose, n’importe quoi, un métier, un pays, une langue, un état, il faut que je lâche le manuel d’instruction et que je me lance à l’eau. Quitte à avaler des bouillons, à manquer de me noyer et à découvrir, de force, à quel point l’instinct de survie est fort.
Comme dit un célèbre dicton à propos de la parentalité ; « Avant, j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants ».
Cette dichotomie entre la Théorie (ce pays merveilleux où on a le contrôle sur tout), et la Pratique (cette contrée bordélique qui n’en est pas à une contradiction près) existe évidemment en course à pied, et dans toute sa splendeur à part ça !
Avant, j’avais des idées préconçues, maintenant, j’ai des ampoules.
1. Einstein avait raison, le temps est relatif, et toutes les secondes ne sont pas égales
Il faut avoir couru sur une piste d’athlétisme pour comprendre à quel point retrancher 10 minuscules secondes sur un 400 mètres est difficile.
Courir, c’est découvrir, à ta grande horreur, que 10 secondes dans le confort d’une chaise longue (un mojito à portée de main de préférence), et 10 secondes avec un incendie dans la poitrine et des coulées de ciment dans les jambes ne sont pas du tout les mêmes 10 secondes.
Ô injustice, ô infamie !
Et c’est quand il faut le faire 10 fois de suite qu’on comprend, dans chaque cellule de son corps, le foutu concept des « secondes d’éternité » dont parlent les poètes…
2. Courir est un sport qui demande du courage
C’est un sport simple, et dur.
*& ?%@! que c’est dur !
Et c’est exactement ce qui fait sa beauté. Ce qu’il exige de nous. C’est dans cette zone que se situent nos pires défaites, autant dans les excuses qu’on se donne, dans les mensonges à nous-mêmes, que dans l’humiliation pure et simple. C’est aussi dans cette zone qu’on découvre notre coefficient de courage.
C’est une belle rencontre que celle que nous faisons avec le courage. C’est le couteau suisse de la vie, ça nous servira partout, et pour tout.
Et puis, il faut bien le dire, pour porter tant de fluo (et de choses qui ne vont pas ensemble), ça prend du guts en ta’ !
Photo: iStock3. La technique, ça s’apprend, le tempérament, non
Améliorer sa foulée, courir plus vite, c’est à la portée de n’importe qui désirant… améliorer sa foulée, et courir plus vite.
La tête de cochon, prête à toutes les humiliations, toutes les solitudes, toutes les conditions météo, jusqu’à l’euphorie finale ? Ça ne s’enseigne pas.
Tu la trouves en toi ou tu la trouves pas*.
*et ce n’est pas un défaut de ne pas la trouver. On a parfaitement le droit de préférer le hautbois, la lecture d’Emma Bovary ou le saut en parachute.
4. En courant, on rencontre des gens incroyables
Ce n’est pas tant qu’ils ont plus de qualités que les autres. Ils auraient même tendance à être un peu TOC, borderline cinglés.
C’est plus que les coureurs semblent déterminés à maximiser chacune des précieuses secondes qu’ils passent sur terre dans une sorte de « carpe diem » glorieux. Leur course, ce n’est pas pour vivre plus longtemps, c’est pour vivre plus fort. C’est une course à l’extraordinaire, qui est partout, à condition qu’on sache le reconnaître, c’est leur célébration de la vie en haute définition et en dolby stéréo.
Qu’ils soient juges, messagers à vélo, infirmières, chauffeurs d’autobus, fonctionnaires ou chanteurs western, ils ont tous un point en commun. Ils sont prêts à donner leur 110%, ce qui fait d’eux des gens capables de le reconnaître et de l’apprécier chez les autres.
Ça fait du monde pas reposant. D’un autre côté, sont jamais plates !
5. La santé n’est pas au cœur des préoccupations d’un coureur
Est-ce qu’il est content de profiter des bénéfices marginaux de la course et d’éviter l’hypertension, le diabète, l’arthrose, l’ostéoporose, et le blues hivernal ? Bien sûr que oui.
Est-ce qu’en laçant ses runnings, le coureur se dit; « Yé, je m’en vais faire baisser mon cholestérol » ?
Jamais de la vie.
Et quand un esprit chagrin le met en garde contre les « dangers » potentiels de « possibles » excès, le coureur fait un grand sourire et met ses écouteurs en montant le son.
Tiens, c’est Eminem qui chante « ‘till I collapse ».
C’est donc d’adon.
Geneviève Lefebvre est l’auteur de deux romans noirs, Je compte les morts et La vie comme avec toi, tous deux salués par la critique. Son dernier roman, Va chercher, vient d’être acheté par la maison d’édition Robert Laffont, et sortira en France en avril 2015.
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