Chroniqueuse du mois

Elkahna Talbi : à quand de bons soins à domicile ?

La grand-mère tunisienne de l’autrice et comédienne a vécu une partie de sa vie chez sa fille, à Montréal. Puis, quand sa santé s’est détériorée, elle a déménagé chez son autre fille, en Tunisie, où les soins à domicile pour les personnes âgées sont gratuits. À quand la même chose au Québec ?

J’ai grandi dans une maison bigénérationnelle. Mais à l’époque, vivre avec ses grands-parents, c’était aussi rare que de trouver des avocats au Steinberg.

Mimi, ma grand-mère maternelle, est arrivée au Canada quand ma petite sœur est née, pour aider ma mère.

– Ta grand-mère vit avec vous ?

– Oui, quand elle est au Québec.

– Elle n’a pas sa maison à elle?

– Non.

– Pis quand elle retourne en Tunisie ?

– Elle vit avec son autre fille.

– OK, mais tu ne trouves pas ça bizarre ?

Je ne m’étais jamais posé la question. J’ai fini par la poser à ma mère, qui m’a répondu que c’était comme ça, chez nous. Les aînés vivent avec leurs enfants, surtout lorsqu’ils sont veufs.

Ma mère a repris ses études tout en travaillant, parce que Mimi était là pour nous. Moi, si je parle le tunisien aujourd’hui, c’est parce que je l’ai appris jeune avec Mimi. Toutes ces fois où ma sœur et moi avons pu jouer au parc plus longtemps, c’est parce que Mimi était là pour nous surveiller, hiver comme été. Et même si ce n’était pas la joie et l’harmonie à l’année, je n’aurais pas voulu que ça se passe autrement.

Car, on va se le dire, une adulte de plus qui te discipline, ça peut devenir vraiment lourd. Il faut aussi savoir qu’une grand-mère allophone qui gueule dans un français louche en répondant au téléphone à tes amis, genre « Kéhna pas là ! Toi, rappelle ! Message! », ça endommage un peu une vie sociale. Surtout quand elle dévisage tes amis garçons comme s’ils étaient tous des tueurs en série, tout en te disant en arabe de protéger ton trésor.

Mais bon, faut croire que cette proximité familiale ne m’a pas tant traumatisée, puisqu’il se trouve que je vis techniquement encore chez mes parents. Pas avec eux, mais chez eux. Ils sont les proprios du triplex où j’habite. J’occupe le rez-de-chaussée avec mon chum, Carl, dont la famille vit à Richelieu – tenez-vous bien – dans une maison trigénérationnelle !

Notre deuxième étage est occupé par ma meilleure amie, Ines. Elle est aussi, accessoirement, ma petite sœur. Et notre premier étage (qu’on a nommé Douiret, du nom du village amazigh d’où sont originaires mes ancêtres du sud de la Tunisie) sert pour le moment de bureau et de refuge pour les amis et la famille venus de loin. Cela dit, je vous laisse deviner qui, dans quelques années, risque d’emménager avec nous.

Pour revenir à Mimi, elle a continué à vivre avec mes parents, même quand ma sœur et moi n’étions plus là. Elle est retournée définitivement en Tunisie, chez ma tante, quand sa santé s’est détériorée. Là-bas, les soins à domicile pour les personnes âgées sont accessibles à tous.

J’ai la chance d’avoir une belle relation avec mes parents. Ma sœur et moi avons l’intention de les garder près de nous le plus longtemps possible. Je crois qu’il serait fondamental que le système de santé nous permette de le faire sans que ça nous en coûte un rein. Des soins à domicile qui seraient la norme et non l’exception.

Je crois, comme les boys d’Alaclair Ensemble, que Tout ce qui compte, yeah, c’est la famille, la famille, la famille, qu’elle soit celle qui nous a vu grandir ou celle qu’on a choisie pour s’épanouir.

Poète, slameuse, comédienne, autrice, Elkahna Talbi, aussi connue sous le nom de Queen Ka, est active sur la scène artistique québécoise depuis plus de 10 ans. Elle fait aussi partie du comité sur la langue française de la ville de Montréal, présidé par Louise Harel.

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