À bien y penser

En 2020, je trie, je jette, je range. Du moins j’essaie!

Je n’ai pas pris de résolution en ce début d’année, mais c’est tout comme: j’ai entrepris de classer ma paperasse. Et c’est toute une montagne!

Photo: Unsplash/Freddie Marriage

Travailleuse autonome, je n’ai pas le choix: j’ai un bureau à la maison. Mais depuis quelque temps, je n’arrive plus à m’y installer tant ma table de travail croule sous les papiers en tout genre.

Durant le congé des Fêtes, j’ai fini par ouvrir les yeux: quand j’entrais dans la pièce, c’était uniquement pour ajouter un nouveau document à ceux déjà empilés. L’heure était donc venue de me ramasser.

… Ou plutôt « les » heures – car elles se comptent par dizaines tant mon tri est minutieux. « Maniaque », corrigerait tout être humain normalement constitué. Car j’admets que ma manière de faire n’est pas universelle. À chacun ses bizarreries!

Moi, ce sont les gens qui ne gardent rien qui m’apparaissent les plus mystérieux. J’ai notamment en tête un ancien collègue de travail, rigoureux et toujours bien informé, qui chaque soir quittait en laissant derrière lui un bureau parfaitement lisse. Pas même une feuille n’y traînait. Dans une salle de rédaction, c’était là tout un exploit! Mais comment arrivait-il à faire chaque jour place nette? Nous n’appartenions pas à la même espèce.

Je ne suis pas pour autant adepte du fouillis. Au contraire, je suis très organisée: je fais des piles…, sauf que j’en sème partout!

J’essaie pourtant, sur une base régulière, de me guérir de ma tendance à beaucoup (trop) garder. J’ai lu dès sa sortie Le pouvoir étonnant du rangement, le célèbre ouvrage de Marie Kondo paru au Québec en 2015. J’ai été immédiatement séduite par sa méthode: ne conserver que ce qui fait vibrer de joie. Hélas, j’ai l’humeur très très joyeuse; la méthode KonMari n’en venait pas à bout… 

Reste que l’effet Kondo est tel que j’ai entrepris mon tri de 2020 en m’inspirant de deux textes (… retrouvés dans ma paperasse): un spécial « Bon débarras » publié par le Journal de Montréal il y a plusieurs mois et qui s’inspire de la méthode KonMari (pile « conseils pratiques »), et une chronique d’Aurélie Lanctôt, parue dans Le Devoir il y a un an, qui critique celle-ci parce que vider avec méthode, c’est encore se conformer aux exigences de la productivité (pile « textes qui font réfléchir »). C’est dire mon ambivalence.

J’essaie quand même d’être sérieuse dans ma démarche à cause d’une phrase lancée par une jeune personne de mon entourage: « Maman, te rends-tu compte que quand tu vas mourir, on va avoir deux maisons à vider! »  Oui, cet âge est cruel. Mais cette personne sait que lesdites maisons sont remplies de la cave au grenier (plus le garage, et aussi une grange). Et si j’en crois les orphelins de mon entourage qui ont eu à se plier à un tel exercice, il y a là de quoi se faire maudire de ses héritiers!

Mais j’ai tellement de mal à me départir de mes biens, ou pire encore à jeter… 

Pourquoi? Parce que ça peut encore servir (… et après quatre livres à mon actif, je confirme que de très vieux articles soigneusement conservés m’ont été utiles!). Parce que ça me rappelle des souvenirs, des amours, des amitiés. Parce que c’est joli, parce que c’est très démodé, parce qu’il ne s’en fait plus de pareil, parce qu’il ne s’en fera plus tout court (bonjour mes vieux carnets de banque!). Parce que j’aime les pieds de nez à la rationalité.

Confession: il y a quelques temps, j’avais enfin décidé de jeter une paire de bottillons de cuir beaucoup portés, souvent réparés, mais devenus totalement irrécupérables… Quelques minutes plus tard, je retournais les chercher directement dans la poubelle! Je les avais trop aimés pour qu’ils disparaissent ainsi. Ils sont désormais dans une boîte au fond d’un placard. Et oui Marie Kondo, je vibre toujours de bonheur quand j’entraperçois celle-ci!

Rassurons les inquiets: je ne garde quand même pas tout. Pas de syndrome de Diogène ici. Par exemple, quand ça fait trois, quatre, cinq ans que je n’ai pas mis un vêtement, je donne. Mais faut surtout pas me demander: « Es-tu sûre de ton coup? » Ah! la torture! Ah! les tourments du doute! 

J’applique aussi la stratégie « pour tout bien qui entre, un autre doit sortir ». Sauf que j’y ajoute une étape préparatoire: je réaménage les lieux. Et je dois admettre que je suis devenue une « pro » du remplissage de tablettes. Surtout depuis que je suis chroniqueuse littéraire!

Certes, je fais circuler allègrement les très nombreux romans que je reçois. Mais je ne peux m’empêcher de garder ceux que j’ai adorés, ceux d’auteurs appréciés, ceux qui me sont dédicacés, ceux dont quelques passages m’inspirent, ceux qui portent des leçons d’histoire, ceux qui… Bref, y’a toujours moyen que ça rentre entre deux livres, eux-mêmes bien coincés, dans une des nombreuses bibliothèques qui tapissent mes deux maisons…

N’empêche, depuis le début janvier, feuille par feuille, mon tri avance. Par ici la récupération, par là ce qui sera brûlé, dans des dossiers bien délimités tout ce que je veux garder – ceux-ci mis ensuite dans des boîtes clairement identifiées et disposées pour être facilement repérées. Marie K. applaudirait.

Et depuis que ma table de travail est réapparue, j’ai l’impression de mieux respirer. J’ai d’ailleurs fait visiter les lieux à la jeune personne de mon entourage. « Euh, où ça le ménage? », a-t-elle lâché, implacable, en regardant les piles qui entourent toujours la table. (Cet âge est sans pitié.)

Mais je ne me laisserai pas abattre! Je suis déterminée à (me) prouver qu’il est possible de se monter un patrimoine personnel sans être envahie, dans la joie, l’ordre et l’harmonie. Suffit juste de tasser ce truc, de libérer cette tablette, de mettre ceci par-dessus cela…

***

Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres. En 2019, elle a publié J’ai refait le plus beau voyage (éd. Somme toute) et Ce jour-là, Parce qu’elles étaient des femmes (éd. La Presse) soulignant les 30 ans de la tuerie de Polytechnique.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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