À bien y penser

Les contes de fées peuvent tourner au drame, Sheryl Sandberg nous en parle

Quand, soudainement en vacances aux Mexique, la vie amène une brèche dans la vie parfaite.

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En 2013, le best-seller Lean In signé par Sheryl Sandberg m’avait énormément plu. Madame Sandberg, numéro deux de Facebook, racontait avec réalisme et humour un monde du travail où les femmes avaient toujours leur place à prendre. Elle publie maintenant Option B, un livre encore tiré de sa vie, mais cette fois de l’intime: le deuil. Est-ce aussi prenant? Oui.

Avec Lean In (En avant toutes en français), Sheryl Sandberg mettait le doigt sur les obstacles rencontrés par les femmes pour faire leur place sur le marché du travail (de leur entrée jusqu’aux plus hauts échelons), même ceux auxquels on ne pense pas. Et elle proposait des façons d’y faire face. Le tout était relaté d’une manière bien particulière, mêlant anecdotes personnelles (pas toujours à l’avantage de l’auteure!) et statistiques. J’avais dévoré et adoré.

Éditions Jean-Claude Lattès

Me restait quand même en tête que Sheryl Sandberg figurait sur la liste sélecte des milliardaires américains, mariée de surcroît au PDG de SurveyMonkey, présent sur la même liste. Bref, un couple de pouvoir appartenant au sommet du 1%. J’applaudissais aux préoccupations sociales de madame Sandberg, solidement exposées et documentées dans Lean In. Mais l’argent donne aussi les moyens et le réseau de contacts pour se faciliter le quotidien. En dépit de toute son empathie, une Sheryl Sandberg ne pouvait pas vraiment comprendre le 99%: sa vie était tellement protégée.

J’ai donc eu, je l’avoue, un moment de surprise quand j’ai appris le décès soudain, il y a tout juste deux ans, de son mari, Dave Goldberg. À 47 ans, en pleines vacances au Mexique, le cœur avait lâché. Il laissait derrière lui deux jeunes enfants. Même les contes de fées des gens riches et célèbres et heureux (mélange pas si fréquent!) pouvaient donc tourner au drame?

Et drame il y a eu, car la femme forte qu’est Sheryl Sandberg s’est effondrée, avalée par une peine immense, doutant de tout et d’elle-même. C’est ce qu’elle raconte dans Option B, paru à la fin avril (disponible uniquement en anglais pour le moment). L’option B, c’est celle à laquelle il faut bien consentir quand l’option A devient impossible. L’objectif, dès lors, c’est de tirer le meilleur parti de l’option qui nous est imposée.

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Comme pour Lean In, on trouve dans Option B un mélange d’anecdotes personnelles, de témoignages d’hommes et de femmes de tous horizons, et de données qui font constater combien les Américains sont mal lotis en matière de filet social. Soutien financier, congés du travail: tout leur manque.

L’intérêt d’Option B, c’est que ces considérations sont mieux prises en compte que dans Lean In. L’ultraprofessionnelle Sandberg a tout à coup été confrontée à la fragilité de Sheryl: veuve subitement alors qu’elle était encore amoureuse, et surtout mère inquiète pour le bonheur de ses enfants. Il y avait soudain une brèche dans sa vie parfaite, ce qui a entraîné plusieurs prises de conscience. Par exemple qu’une épreuve peut vous laisser sur le carreau. Ou encore qu’il est bien plus difficile pour les mères seules de faire front. Dans Lean In, elle l’avait sous-estimé.

Cette sensibilité-là fait la force d’Option B, elle le distingue même d’autres ouvrages sur les coups durs de la vie (car Option B ne se limite pas qu’au deuil). Il est bourré de conseils, mais il se veut d’abord un livre de réconfort et de compréhension.

Sheryl Sandberg reste dans une caste à part (un exemple: pour amuser ses enfants orphelins, elle sera un jour invitée par le PDG de SpaceX, un ami, à assister à l’amerrissaged’une fusée! Qui dit mieux?). Mais elle ne cesse de souligner à quel point elle est privilégiée, à quel point il faut changer les politiques publiques, à quel point il faut soutenir des organisations formidables (elle-même, ai-je lu ailleurs, y consacre la moitié de sa fortune) et les gens engagés.

En fait, en la lisant, je me disais que la vraie catégorie à part à laquelle appartient Sheryl Sandberg, c’est la toute petite frange du 1% sympathique, ouverte et agissante. Avec ses livres, elle ose à la fois s’exposer et tendre la main à toutes pour avancer. Elle ne se protège d’aucune façon, madame Sandberg. C’est au fond pour ça qu’elle marque les esprits.

 

Josée Boileau

Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.

 

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