À bien y penser

Les gros sabots de la séduction… et nous!

De toutes les relations humaines, les jeux de la séduction sexuelle arrivent tout en haut de la liste des plus prévisibles. Mais c’est bien tant pis pour qui cède aux clichés!

Photo: iStock.com / Wavebreakmedia

Activités professionnelles obligent (et aussi pour le plaisir!), je consacre beaucoup de temps à la lecture de romans. Et plus je m’y plonge, plus j’y puise une riche matière pour réfléchir à l’actualité qui nous agite.

Ce livre-ci par exemple, dont la toute première page s’ouvre sur une femme, Johanne, qui constate que, soudain, les «regards d’hommes […] glissaient sur elle pour s’arrêter sur des jeunes filles ou des jeunes femmes, la reléguant de la sorte dans le monde de l’invisible». Une franche tentative de flirt avec un beau trentenaire va même virer en eau de boudin. Quel choc pour cette championne de la séduction! «Il fallait bien se rendre à l’évidence. On la percevait bel et bien comme la quinquagénaire qu’elle était subitement devenue.»

Ce roman ne nous vient pas de France ni d’un auteur macho, et il ne date pas d’il y a 20 ans. Il a pour titre Gaston et les autres. Il est signé par une Québécoise, Patricia Portella Bricka, et est paru l’automne dernier aux éditions de la Pleine Lune.

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Avec originalité (Gaston, c’est un crâne que Johanne traîne avec elle pour le faire réparer!), on y voit la protagoniste confrontée à ce qu’elle a toujours cherché à fuir: la vieillesse. Carrière, amants, famille et amis, tout va brasser! Ce sera finalement pour le mieux. Attirer l’attention, ça peut se faire autrement que par le bon vieux truc du décolleté avec talons aiguilles, constatera Johanne.

Du coup, ça me renvoyait à un autre ouvrage, moins léger celui-là: le récit Marx et la poupée, qui relate le passage de l’Iran à la France de la jeune autrice Maryam Madjidi (Héliotrope, 2018).

Elle naît en 1980, en pleine révolution iranienne, de parents très militants. Quand les arrestations vont se multiplier dans leur entourage, la famille va se décider à s’exiler. Myriam raconte donc son intégration de petite fille, puis de femme, dans cette France où tout est à découvrir.

C’est dur, mais elle a quand même un atout: son passé en Iran. Avec des parents menacés, des oncles en prison, des prospectus appelant à la révolte cachés dans ses couches de bébé, puis le départ en catastrophe… Dans les soirées, c’est le succès assuré!

Elle écrit: «[J]’en ai souvent joué de ce romanesque. […][J]e me faisais conteuse devant un public avide d’histoires exotiques et je rajoutais des détails et je modulais ma voix et je voyais les petits yeux devenir attentifs […]. Je triomphais.»

Et pour séduire, le truc est encore plus facile! «Je mets mon costume de femme persane, je secoue mes voiles» et elle récite de la poésie, d’abord en persan avant de traduire en français. Ne reste plus qu’à cueillir l’homme conquis.

Évidemment, le mystère oriental, le charme latino, la distance asiatique ou le craquant de l’accent britannique, c’est du jeu sans consistance… où le gagnant n’est d’ailleurs pas toujours celui qu’on croit.

Prenez ce monsieur bien installé dans la vie: avec son fric et sa réussite, il pense dominer, alors qu’il suffit de si peu – un corps tout neuf – pour le faire marcher! C’est tout le propos du roman Good Boy, du jeune auteur Antoine Charbonneau-Demers (VLB, 2018), qui a pour personnage principal un étudiant de 19 ans qui entend bel et bien se faire croquer par ces hommes matures que sa seule jeunesse émoustille. La fausse candeur adolescente est bien plus habile que la naïveté de ceux qui ne se voient pas vieillir.

Tout ça pour dire que je n’ai guère compris l’émoi qu’ont suscité les paroles de l’écrivain, réalisateur et chroniqueur français Yann Moix – qui, de surcroît, a un livre à vendre, donc qui cherche l’attention.

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Quand j’ai entendu qu’il avait déclaré ne pas pouvoir aimer une femme de 50 ans (son âge) parce qu’il trouvait ça trop vieux, et qu’en plus il ne vibrait que pour les Asiatiques, j’ai bien rigolé: «Bon, un autre!» Et m’est venue en tête toute une liste d’hommes connus (ou pas!) qui sont en couple avec des femmes beaucoup plus jeunes qu’eux. Au Québec même, on n’en manque pas – dont certains qui s’affichent progressistes, à tendance féministe!

J’ai aussi pensé à mes copines et à mes amis gais, dans la cinquantaine, en quête d’un chum. Faut pas trop compter sur les hommes de leur âge, qui lèvent le nez sur qui leur ressemble. Mais comme il y a plus jeune et plus vieux, et également des exceptions, on n’en fait pas un drame. Ouste, au suivant!

Yann Moix, lui, a eu droit à une levée de boucliers plutôt qu’à l’indifférence. Ça m’a laissée dubitative. En quoi son opinion est-elle si importante? Qui sait s’il ne se fait pas tourner en bourrique par ces jeunes Asiatiques qu’il pense séduire? Et pourquoi vouloir à tout prix le convaincre qu’à 50 ans, une femme est encore jeune (il a reçu des tas de photos sexy de ses dénonciatrices!)? Vieillir, est-ce si catastrophique?

Et puis, les Français ont pour président un homme, Emmanuel Macron, dont la conjointe a 24 ans de plus que lui: n’est-ce pas un puissant contre-exemple à tous les messieurs Moix qui subsistent? Tout comme d’ailleurs la jolie déclaration qu’a faite Patrice L’Écuyer à Dominique Michel – presque 30 ans d’écart – il y a quelques jours à l’émission Les enfants de la télé: il a autrefois été véritablement amoureux d’elle, mais il n’avait pas osé le lui dire, craignant qu’elle ne le trouve trop jeune…

À côté des histoires de peau, des fantasmes faciles ou du portrait connu de l’homme de 50 ans en crise de jeunesse, il y a bien d’autres modèles, plus étonnants, plus égalitaires. Je vous laisse l’indignation; moi, seuls ces modèles m’intéressent.

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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir, où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime et signe des livres.

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