Ma parole!

Les objets ont-ils encore une valeur?

Aujourd’hui, on peut acheter une chemise de mauvaise qualité pour 30 $ et un pantalon plutôt mal cousu pour 40 $, écrit notre chroniqueuse Geneviève Pettersen. Oui, les prix des objets se sont démocratisés, mais qu’a-t-on perdu au change?

Ma_paroleEn fin de semaine, j’ai regardé le Maria Chapdelaine de Gilles Carle. Maria Chapdelaine, c’est ce roman de Louis Hémon qu’on nous forçait à lire au cégep et que j’étais la seule de la classe à aimer. Gilles Carle l’a adapté pour le grand écran et je vous suggère fortement de le regarder pendant le temps des fêtes. Vous pourriez même lire le livre. C’est pas mal bon. Ça raconte l’histoire d’une fille qui hésite entre trois prétendants : François Paradis, le coureur des bois mauvais garçon, Lorenzo Surprenant, l’homme riche qui a refait sa vie aux États-Unis, et Eutrope Gagnon, le bon gars qui cultive la terre. Je vous laisse deviner pour lequel d’entre eux le cœur de la belle Maria bat à tout rompre.

Photo: iStock

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Je regardais le film de Gilles Carle, donc, et, outre une Carole Laure magnifique mais beaucoup trop «vieille» (elle avait environ 35 ans au moment du tournage) pour incarner une jeune fille de 18 ans, j’ai été fascinée par une scène. Nous sommes à la veille du jour de l’An, et Eutrope Gagnon se rend au magasin général pour commander des vêtements. Il regarde le propriétaire droit dans les yeux et lui demande de lui vendre un chapeau, un manteau de ville, un veston, une chemise et un pantalon. Ce dernier ouvre un grand catalogue et lui montre les modèles disponibles. Ils ne sont pas nombreux, et Eutrope fait son choix, espérant ressembler à un homme du grand monde. On se doute bien qu’il veut s’accoutrer de même pour impressionner Maria lors de la messe de minuit et que toutes ses économies y passent.

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Si je vous parle de Maria Chapdelaine, c’est que ce segment de notre histoire populaire m’a rendue nostalgique de l’époque où les choses avaient une valeur. Non, je ne suis pas devenue l’ayatollah du terroir, mais il est clair que quand tu payais un chapeau l’équivalent du prix de trois vaches, tu le gardais quelques années, tu y faisais attention. C’est évident, aussi, que ledit chapeau était fait par un chapelier, et non par une femme sous-payée dans un lointain sweatshop indien.

Je m’ennuie de ce temps où des tailleurs, des couturiers et des artisans prenaient la peine de faire les choses. Et je m’ennuie surtout de cette époque où on accordait de la valeur à ce savoir-faire. Maintenant, on peut avoir un chapeau en feutre bon marché pour 20 $, une chemise blanche coupée approximativement pour 30 $ et un pantalon dont les coutures vont craquer au bout de trois lavages pour 40 $. Et le pire là-dedans, c’est que ça ne nous fera pas grand-chose de nous en débarrasser parce qu’on les aura payés une bouchée de pain et qu’on pourra courir dans la grande surface la plus proche pour les remplacer.

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Je sais qu’à l’approche de Noël, on est tannés de culpabiliser ou de se faire faire la morale sur ses habitudes d’achats. On a juste envie de se gâter et de gâter les gens qu’on aime. Les produits bon marché sont alors la solution puisqu’on veut de la quantité, et non de la qualité. Mais je vous invite à penser à Eutrope et à la joie qu’il se faisait de porter son bel habit. Pourquoi ne pas acheter une seule chose, mais une bonne, à la personne à qui vous avez envie de faire plaisir? Pourquoi ne pas investir et donner l’argent durement gagné aux artisans d’ici au lieu de le donner à des multinationales qui encouragent l’exploitation humaine et détruisent l’environnement? Moi, je milite pour la réhabilitation de l’objet. Redonnons ses lettres de noblesse à notre chapeau, qu’on puisse le porter fièrement et longtemps. C’est de notre culture qu’il s’agit, après tout.

Pour écrire à Geneviève Pettersen: genevieve.pettersen@rci.rogers.com
Pour réagir sur Twitter: @genpettersen
Geneviève Pettersen est l’auteure de La déesse des mouches à feu (Le Quartanier)

 

 

 

 

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