Une nouvelle à la fin du temps des fêtes m’a particulièrement accroché le cœur: celle de la disparition de la Sherbrookoise Édith Blais et de Luca Tacchetto, son compagnon de voyage italien, au Burkina Faso.
Au moment où j’écris ces lignes, on ne sait toujours pas ce que le duo est devenu, et leur entourage s’inquiète grandement.
Que je compatis!
J’ai moi-même des enfants attirés par des terres lointaines, des villages reculés, des pays méconnus. Foin des musées européens, des plages ensoleillées, des croisières, ou des destinations asiatiques désormais à la mode – Vietnam ou Cambodge : ils carburent à l’Afrique, l’Orient, l’Amérique latine… Et pas dans leurs coins touristiques!
J’ai souvenir du temps des fêtes d’il y a dix ans. Notre aînée, même pas 20 ans, était partie au début de l’automne 2008 comme coopérante au Niger. Le pays était pauvre, mais sans turbulences inquiétantes. Jusqu’à ce que, à la mi-décembre, deux diplomates canadiens s’y fassent enlever par une section de Al-Qaïda.
Choc, alerte de sécurité relevée, branle-bas de combat. Tout Canadien dont la présence n’était pas indispensable dans le pays était invité à rentrer chez lui.
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Sauf que notre fille à nous estimait que, tout bien évalué, elle devait rester car elle n’avait pas terminé le travail qu’elle avait à accomplir là-bas.
Je nous revois, son père et moi, la veille de Noël, à parler avec le responsable de l’organisme pour voir comment convaincre notre fille de revenir… Mais celle-ci, cartes géographiques à l’appui, martelait que la capitale Niamey était sécuritaire et promettait qu’elle prendrait toutes les précautions nécessaires : j’y suis, j’y reste, ça finit là! Bref, elle a terminé son mandat pendant que nous étions sur les dents, soudainement passionnés d’actualité nigérienne!
Des mois plus tard, elle y retournait, seule, cette fois, mais attendue par des amis nigériens.
Son voyage a été de très courte durée. Juste après son envolée, il y a eu attentat et le gouvernement canadien révisait la cote de sécurité du pays. Mais sans même avoir vu l’avis, aussitôt débarquée elle comprit à quel point le climat politique s’était envenimé, à quel point les étrangers étaient en danger.
Moins de 48 heures après son arrivée, elle nous téléphonait pour dire qu’elle devait rentrer. La rumeur voulait que des chauffeurs de taxi étaient de mèche avec Al-Qaïda pour enlever des étrangers. Même le quartier où elle résidait, tout comme le parcours pour se rendre à l’aéroport, n’étaient pas sécuritaire.
Ici, il était tôt le matin, la radio était ouverte, on se préparait à partir au travail. Le bulletin de circulation montréalaise m’est soudainement apparu d’une insupportable insignifiance: je n’avais en tête que des images de ma fille assassinée au bord du chemin…
Nous avons donc passé la journée sur la brèche, à tenter de trouver un billet d’avion pour qu’elle puisse quitter le pays dans les 24 heures. Je passe les détails, mais ce fut épique! Ce jour est resté synonyme pour moi de tourbillon et de souffle coupé.
Mais elle est revenue saine et sauve. Fin de l’aventure.
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Ou plutôt non: début pour les parents de l’apprentissage de la distanciation émotionnelle! Car notre fille a continué de voyager dans des contrées pas reposantes, imitée ensuite par le reste de la fratrie. En ce temps des fêtes finissant, nos deux filles étaient d’ailleurs encore sur la route… hors des sentiers touristiques battus!
«Ça te dérange pas de les voir partir comme ça?» m’a demandé ma mère. Que dire, sinon que j’en ai pris mon parti, moi qui suis pourtant toute prudence et «moumounerie».
Mais est-on vraiment au-dessus de nos affaires quand, en pleine écoute endiablée de la (formidable!) Fureur Spéciale 20 ans, mon mari et moi n’avons pu nous empêcher de nous demander où est rendue notre plus jeune? «Me semble que ça fait un bout qu’on n’a pas eu de ses nouvelles…»
Si je n’étais pas la mère de grands voyageurs, je serais du genre à entonner le refrain vu sur les réseaux sociaux: «mais qu’est-ce que ces jeunes ont d’affaire à aller dans des pays où il y a du trouble!» Et que ça dénonce (parfois très crûment!) la témérité des uns, la naïveté des autres…
Il y a de ça, certes. Mais à écouter mes enfants, et tous ces jeunes qui voyagent de la même façon, ils ont dans la tête un autre mot-clé: confiance. Confiance en eux, mais surtout confiance en l’humanité. Croire que partout, il y a de bonnes personnes avec qui apprendre et échanger.
Il y a un livre tout récent qui illustre très bien cette générosité d’esprit: Frères amis, frères ennemis (Somme toute, 2018) dans lequel deux frères journalistes, Frédérick et Jasmin Lavoie, partagent leur correspondance durant l’année où l’un était basé en Inde et l’autre au Pakistan. Des coins du monde agités, c’est le moins qu’on puisse dire, mais où ils ont circulé sans forfanterie – à la québécoise! – pour nous faire voir au-delà des craintes, certes réelles, mais qui ne doivent pas tout cacher.
Alors je mets les risques dans la balance: parfois cette belle confiance vire mal; mais le plus souvent, elle donne lieu à des expériences marquantes, inoubliables. Je me répète donc que le meilleur l’emporte presque à tout coup.
Mais je suis quand même très contente quand sonne enfin l’heure d’aller cueillir cette confiante jeunesse à l’aéroport!
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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoiroù elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.
Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.