Le jeudi 15 décembre, la librairie féministe L’Euguélionne ouvrira ses portes à Montréal. Je ne peux m’empêcher d’y voir un autre signe de la vigueur renouvelée du féminisme québécois – ça me réjouit beaucoup. Après plusieurs dizaines d’années sans librairie féministe dans la métropole, on aura enfin droit à une nouvelle adresse, à côté du métro Beaudry.
À quelques jours de l’ouverture officielle, je suis allée rencontrer deux membres du collectif fondateur : Stéphanie Dufresne et Sandrine Bourget-Lapointe. L’atmosphère était fébrile et la fierté se lisait sur leurs visages alors qu’elles me faisaient faire le tour des propriétaires, entre les boîtes de livres et les bibliothèques à garnir. « Ici, il y aura le coin café, avec un comptoir où s’accouder pour bouquiner et discuter », m’expliquait Stéphanie en mimant la pose. « Dans la pièce avec le mur turquoise, il y aura les livres jeunesses, les bandes dessinées et les essais. Là-bas, la fiction. Et on veut mettre en valeur les zines sur ce présentoir et en les accrochant à la colonne centrale. »
Livres neufs ou usagés, en français et en anglais, nouveautés et classiques oubliés, l’offre de L’Euguélionne ratisse large. Dans les grandes vitrines, le pamphlet incendiaire pourra côtoyer autant le roman d’amour que le polar ou la BD de science-fiction. Sandrine précise qu’il y en aura pour tous les goûts : « Nous voulons mettre de l’avant la littérature des femmes dans toutes ses possibilités, ça ne se résume pas seulement à des essais sur la condition féminine! Une étudiante pourra y trouver des ouvrages spécialisés, mais une personne voulant s’initier au féminisme ou simplement curieuse et aimant la littérature fera de belles découvertes. »
Ce projet de librairie féministe est né à l’été 2015 de manière informelle et spontanée sur les réseaux sociaux. Stéphanie raconte qu’un statut Facebook a provoqué des discussions productives : « Notre collègue Marie-Ève Blais est libraire. Elle a retrouvé Une chambre à soi de Virginia Wolf dans la section fiction, un classement inapproprié qui nie la portée beaucoup plus vaste de cette œuvre. Sa réflexion sur le manque de reconnaissance des femmes qui écrivent, sur la façon qu’on les relègue trop fréquemment à des genres moins prestigieux a fait émerger l’idée d’un lieu où ce genre de chose ne se produirait pas. »
C’est donc pour contrecarrer cette tendance lourde qu’un collectif enthousiaste s’est formé avec l’intention claire d’intégrer les valeurs féministes dans l’entreprise. La librairie est une coopérative de solidarité qui a bénéficié d’un financement collectif, notamment par le biais d’une campagne Indiegogo au printemps. C’est aussi un espace culturel porté par la communauté. L’Euguélionne désire également créer des ponts entre les communautés féministes francophones et anglophones et soutenir des œuvres autopubliées, des livres, mais aussi des zines et des affiches. « L’autopublication est une pratique importante dans l’histoire des féminismes », dit Sandrine. « Les femmes ont ainsi pu prendre la parole et la diffuser comme elles le voulaient. »
Des mots qui font parfaitement écho à cette citation tirée du livre L’Euguélionne, qui a inspiré le nom de la librairie : « N’attendez plus de permission pour agir, parler et écrire comme vous l’entendez ». Signé par Louky Bersianik, ce roman de science-fiction paru en 1976 est considéré comme l’une des premières œuvres féministes littéraires québécoises.
Le 15 décembre, tout le monde est invité à la soirée d’ouverture. « Parce que, comme l’écrit bell hooks, Feminism is for everybody! », lancent les nouvelles libraires. Ben quin.
Librairie féministe L’Euguélionne
1426, rue Beaudry, Montréal
librairieleuguelionne.com
Et parce que c’est Noël, voici en cadeau les recommandations des libraires de L’Euguélionne! (Psitt! Vous pouvez vous procurer les zines sur leur boutique en ligne!)