Je paraphrase l’écrivaine Marie Cardinal, autrice du roman Les mots pour le dire. Elle a bien expliqué que mettre des mots, les bons mots, sur une réalité peut soigner, voire guérir, les maux du corps, du cœur et de l’esprit. Il y a des mots qui réconfortent, d’autres qui blessent. Les mots, les femmes le savent, peuvent anéantir l’estime de soi. La violence conjugale se conjugue souvent en mots, d’abord. En paroles dévastatrices.
Au cours des derniers mois, on a beaucoup écrit sur les mots à ne pas dire. J’aimerais, quant à moi, insister sur celui qu’il est urgent de prononcer : systémique. Et, non, ce n’est pas de la sémantique !
Toutes les nations autochtones, l’association Femmes autochtones du Québec, plusieurs spécialistes des droits de la personne et sociaux, des citoyennes et citoyens par milliers réclament que l’on utilise l’expression racisme systémique pour décrire la réalité vécue par trop d’autochtones.
Je pense qu’on doit, comme société, faire ce pas et exiger de nos politiciens qu’ils aient le courage d’entreprendre une conversation d’égal à égal avec tous les peuples autochtones. Parler de racisme systémique, c’est admettre que nos institutions peuvent être traversées par des préjugés racistes, conscients ou inconscients. C’est accepter que la photo de la société québécoise soit une vraie photo. Pas retouchée pour se faire croire que l’on vit (et qu’on a toujours vécu) dans une société égalitaire et exempte de toute discrimination envers quiconque. Les femmes le savent bien, elles qui ont revendiqué – et revendiquent encore– que la société québécoise rejette le sexisme systémique.
Depuis la Révolution tranquille, les femmes n’ont pas seulement critiqué les machos, elles ont réclamé – et réclament encore – des changements structurels. Par exemple, une loi assurant la parité femmes-hommes dans la vie parlementaire. Autre exemple : le besoin de changements majeurs dans le système de justice, qui accompagne mal les femmes victimes d’agressions sexuelles.
D’autres se sont levés, il y a des dizaines d’années déjà, pour exiger la fin de l’homophobie systémique. Ils et elles voulaient davantage que la fin des épithètes méprisantes. Ils et elles voulaient vivre dans une société où des personnes non hétérosexuelles auraient les mêmes droits que les autres. Au début, ça a surpris et choqué. Et pourtant. Aujourd’hui, les gais et lesbiennes peuvent se marier et avoir des enfants. Maintenant, d’autres personnes, vivant d’autres orientations sexuelles, revendiquent aussi d’être considérées comme des citoyens et citoyennes à part entière.
Un dernier exemple sur les mots et maux de notre société. Il y a à peine 10 ans, on disait « communautés culturelles » en parlant, en fait, des minorités racisées. Communauté culturelle, ça ne veut rien dire du tout. Dire communauté culturelle, c’est noyer le poisson. Lequel ? Celui d’une discrimination systémique. Les Québécoises et Québécois nés ailleurs ou dont les parents sont nés ailleurs sont souvent victimes de cette discrimination sournoise, mais manifeste, dans des univers comme le travail, le logement, le monde culturel, les rapports avec la police et les services publics. Est-il normal que Montréal-Nord soit le quartier le plus pauvre du Canada ? Comment se fait-il que les organismes communautaires qui se démènent dans ce quartier soient moins bien financés qu’ailleurs ? Y aurait-il, là aussi, du racisme systémique ? Parlons-en et, surtout, agissons !
Le choix des mots – ici, le mot systémique – est donc crucial pour qui veut transformer les rapports entre personnes différentes, mais si semblables, aussi, par leur désir d’égalité, de bonheur et de paix. Dire les bons mots, c’est donner de l’attention à l’autre, aux autres. C’est décider que les minorités ont des droits inaliénables. C’est convier la majorité au respect de ces droits de la personne, sociaux et politiques. Bien choisir et bien dire les mots peut guérir.
Citoyenne engagée, Françoise David est vice-présidente du mouvement Démocratie Nouvelle, qui milite en faveur d’une réforme du scrutin au Québec. Après avoir travaillé longtemps dans les milieux féministes et communautaires, elle entre à l’assemblée nationale en 2012, en tant que députée de Québec Solidaire. Elle y restera jusqu’en 2017.