À bien y penser

Voter pour le moins pire? Pourquoi pas!

Une autre campagne électorale qui s’achève et qui n’aura pas été à la hauteur des attentes, incitant à se rabattre sur le «moins pire». Et si au fond c’était là un bon choix?

Les chefs entourent le journaliste Patrice Roy, quelques minutes avant le débat en français diffusé sur ICI Radio-Canada Télé, le 10 octobre. (Photo: Sean Kilpatrick / La presse canadienne)

Ça fait un bout de temps, quelques décennies sûrement, que les campagnes électorales sont, à tous nous entendre, ennuyeuses, superficielles, sans véritables enjeux, et «veux-tu bien me dire qu’est-ce que ça donne d’aller voter».

Commentatrice des élections, j’ai moi aussi entonné ce refrain. Pour la campagne fédérale actuelle, j’ai souligné les promesses en l’air ou insignifiantes, j’ai dénoncé les silences sur des questions d’importance, j’ai déploré que la personnalité des chefs leur tienne souvent lieu de programme. J’ai même affirmé que jamais campagne ne m’avait paru plus «plate».

Ça, c’était avant le débat en français présenté le 10 octobre par un consortium de médias.

J’étais pourtant sur mes gardes avant qu’il ne commence. Quelques jours plus tôt, le débat en anglais, lui aussi préparé par un regroupement de médias sous la responsabilité de la Commission des débats des chefs, une nouvelle instance créée par le fédéral, avait été si cacophonique et si agressant que seule mon éthique professionnelle m’avait retenue devant la télé.

Or, plaisir qui ira croissant durant les deux heures du débat, tout s’est déroulé dans l’ordre et surtout clairement ce 10 octobre au soir. Au point où j’ai trouvé bien trompeurs les commentaires à l’effet qu’il n’y avait pas eu de gagnant. Ah, mais si, gagnant il y avait! C’est le public qui raflait la mise!

C’est vrai que c’est déroutant pour quiconque ne peut imaginer la politique autrement que comme un combat de (petits) coqs. Mais le gros, le très gros des électeurs et des électrices est très loin de ce type d’analyse – exécrant même les campagnes négatives (et encore plus les menaces). On est plutôt de l’avis d’Elizabeth May: «Arrêtez de vous chicaner!»

Au soir du débat, le cri du cœur de la cheffe du Parti vert, lancé alors qu’Andrew Sheer et Yves-François Blanchet s’enterraient mutuellement, était le parfait reflet de l’exaspération collective face au chamaillage qui tourne à vide. Chers chefs, arrêtez de vous dénoncer et dites-nous ce que vous avez à offrir.

C’est justement ce que le débat en français a permis de faire, d’abord parce que Patrice Roy a parfaitement joué son rôle d’animateur en contrôle, ensuite parce que quatre journalistes aguerris ont posé aux chefs des questions que spontanément ils n’abordaient pas: la protection des renseignements personnels, par exemple, ou la rumeur d’une récession qui gronde à travers le monde mais que le Canada ne semble pas entendre… Il a bien fallu que les chefs sortent de leur cassette.

La formule a donc fait en sorte qu’au bout de l’exercice, un véritable choix apparaissait: entre Jagmeet Singh, du NPD, et Maxime Bernier, du Parti populaire, toutes les nuances du spectre politique avaient été exposées. Et il y avait du contenu. Parce que plusieurs sujets avaient été abordés et parce que chacun avait été tenu d’y répondre, côte à côte pour faciliter la comparaison, on avait réussi à dépasser la liste d’épicerie des promesses pour faire voir l’ensemble du repas que chaque parti est à préparer.

Dès lors, ne reste plus qu’à décider ce dont chacune, chacun d’entre nous a envie. Et au final, il est possible qu’un seul plat fasse la différence.

Je ne trouve pas ça réducteur, au contraire! Le simplisme, c’est plutôt de croire qu’un programme électoral peut encore séduire en entier. Évidemment qu’il y a toujours quelque chose qui retrousse, un truc qui achale, ou encore le propos d’un chef, ou d’un candidat!, qu’on n’endosserait pas. Du coup, en vrai individualiste de ce 21esiècle, on s’agace qu’un parti n’arrive pas à être tout à fait à notre image

Si on s’en tient à cet agacement, voter apparaît comme une résignation: au mieux, on opte pour le moins pire, au pire on vote «contre» le parti qu’on ne veut vraiment pas voir élu. Tout ça sur fond de nostalgie des plus vieux qui se souviennent des temps passés, où les hommes (… y’avait qu’eux!) avaient de la tenue et du contenu. Mouan, permettez le scepticisme: pour quelques grands noms, combien de «bozos» aujourd’hui oubliés! Et c’était tellement d’autres temps…

Voyons plutôt les choses comme elles sont. Attendre le meilleur d’un parti ou d’un chef relève du défi impossible. Nous sommes un électorat plus scolarisé, plus diversifié et plus informé qu’avant (oui, malgré les fake news!), donc plus exigeant et impitoyable. Et nous vivons dans une société complexe, où plusieurs enjeux transcendent les frontières; nulle démocratie n’a encore trouvé la recette magique pour contrôler cette nouvelle donne.

Ce qu’il faut attendre des partis, c’est donc moins la nomenclature d’engagements à réaliser qu’une manière d’envisager la société – le menu qu’au final leurs promesses vont concocter. Quelle promesse tient du dessert, laquelle de l’amuse-gueule, laquelle du plat de résistance?

Ça oblige la personne qui vote à faire un tri en ayant conscience que ce ne sera pas la perfection, car l’époque n’est pas à la haute gastronomie. Mais y a-t-il quelque chose dans le menu qui me fera oublier qu’ici la sauce n’a pas pris, ou que le dessert était trop lourd? Ou encore que cet ingrédient-là, j’y tiens absolument.

Bien sûr, on peut sauter le repas: ne pas aller voter. C’est un choix. Mais je le trouve d’une tristesse, d’une sécheresse… Tout imparfait soit-il, notre souper électoral a au moins le mérite d’être préparé par des humains, pas par des machines qui délivrent du manger mou ou des pilules. Sans politiciens, c’est la machine bureaucratique et technocratique qui dirige.

Je préfère encore avoir un mot à dire sur les cuisiniers, même s’ils font brûler les plats.

***

Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoiroù elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres. Son plus récent, J’ai refait le plus beau voyage, est paru aux éditions Somme toute.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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