Entrevues

Caresses magiques: dialogues du vagin

«Un bouillon de poulet pour l’âme de la vulve.» C’est ce que propose Caresses magiques, un site web fondé par trois féministes dégourdies qui souhaitent qu’on parle de sexe pour vrai. Rencontre avec deux de ses créatrices.

Photo: Josée Lecompte

Depuis un an, sur votre site web, vous invitez les femmes à témoigner de leur parcours sexuel, en mots ou en images. Quel est l’objectif ?

Sarah Gagnon-Piché Jusqu’en 2013, j’ai animé Les Préliminettes, sur les ondes de CISM, la radio de l’Université de Montréal, avec Sara Hébert, la troisième instigatrice de Caresses magiques [en Europe au moment de l’entrevue]. Il y était question de sexualité, et même si on faisait surtout dans l’absurde et la dérision, on s’est graduellement mises à parler de nos expériences en toute franchise, encouragées par la grande ouverture de Sara. C’était tellement libérateur ! Autant pour nos auditeurs que pour nous, à en juger par les confidences qu’on a reçues. « Ah, tiens, toi aussi tu vis ça comme ça ! » On a senti que les filles avaient besoin de nommer ce qu’elles expérimentaient intimement. D’où la création du site Caresses magiques, sur lequel on a d’abord publié nos propres parcours autoérotiques, avant d’inviter toutes celles qui avaient le goût d’en faire autant à nous envoyer des textes, des bédés, des collages. À ce jour, on a reçu une cinquantaine de témoignages et ça continue d’entrer. En novembre, on a édité un recueil de ces récits, à compte d’auteures. Les 350 premiers exemplaires se sont envolés très vite, et on vient d’en réimprimer 400, en vente sur notre site web et dans quelques librairies à Montréal.

Manifestement, votre initiative touche une corde sensible…

Sarah La porno, omniprésente de nos jours, impose une certaine idée de ce que devrait être la sexualité. Mais, pour beaucoup d’entre nous, il y a une méchante marge entre ce modèle et ce qu’on vit vraiment. Et ça génère des complexes, voire de la honte. C’est fou ce que les femmes portent en elles de secrets.

Sophie Bédard Beaucoup de celles qui nous ont envoyé des textes mettaient des mots pour la première fois sur certains épisodes. Pas forcément traumatisants – c’était parfois cocasse. Reste que ça révèle à quel point les non-dits persistent. Elles avaient besoin de se vider le cœur. Ça fait du bien de lire d’autres filles qui disent avoir de la difficulté à jouir en couple, ou qui, comme moi, ont longtemps eu des douleurs pendant la pénétration. On se sent moins seule. Des hommes qui nous ont lues disent aussi que ça leur a permis de comprendre bien des choses.

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Photo: Josée Lecompte

Quels aspects de la sexualité des filles font encore l’objet de tabous ?

Sarah La manière très diversifiée de vivre sa sexualité est encore mal admise. Parmi les femmes ayant témoigné dans Caresses magiques, je pense à celle qui a avec son chum une entente particulière lui permettant d’avoir un amant. Personne n’est au courant dans l’entourage, à cause de la peur du jugement. Il y a aussi une participante qui raconte avoir subi un viol quand elle était enfant, mais qui en garde un souvenir positif [Dans son récit, l’auteure parle d’un « doux viol » dont elle garde « étrangement un bon souvenir ».] Pas question de faire l’apologie de la violence sexuelle – on s’entend. Sauf que cette expérience n’a pas été traumatisante pour elle. Et là, elle avait la liberté de le dire. On collige en ce moment des récits sur les fantasmes, et celui du viol a été évoqué… Ça existe, mais on a un gros malaise à l’exprimer. De la même manière que certaines femmes prônant des valeurs féministes n’osent pas admettre qu’elles s’excitent en imaginant des scènes de domination ou en consommant de la pornographie.

Ce qui m’a frappée, en lisant le recueil, c’est à quel point beaucoup d’entre nous ont développé très tôt de la curiosité et de l’appétit pour le sexe. D’ailleurs, bien des toutous ont servi de partenaires, à leur corps défendant… Si la libido « dans le tapis » est admise et encouragée socialement chez les gars, c’est moins le cas chez les filles, il me semble.

Sophie En effet, ce n’est pas du tout mis de l’avant. Il n’y a qu’à regarder les films pour ados, qui n’en ont que pour la sexualité des gars.

Sarah C’est sûr. Les filles préservent leur trésor, elles ! Ta virginité, c’est un cadeau que tu n’offres pas à n’importe qui ! [Rires]

Sophie C’est si important d’attendre « le bon »… D’ailleurs, c’est un élément qui ressort dans les témoignages de Caresses magiques : le mythe de la première fois. On voudrait donc que ce soit extraordinaire. « OK, c’est vendredi que ça se passe ! » Alors qu’il peut y avoir plein de premières fois…

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Qui vont sans doute compter davantage que la vraie première fois…

Sarah Oui, puis on ne doit pas culpabiliser si ça ne se passe pas comme on l’avait imaginé. Je reviens toutefois à l’appétit sexuel des filles – je me réjouis qu’on en parle ouvertement, bien sûr, mais de là à prôner que ça prend cinq orgasmes par jour parce que c’est extraordinaire pour la santé… Ça ne doit pas se transformer en prescription non plus. Il faut pouvoir dire qu’on n’y arrive pas – et que ce n’est pas une nécessité de venir à répétition… Pour moi, Caresses magiques est surtout un lieu où chacune peut dire comment fonctionne sa propre sexualité.

L’une des participantes au recueil revendique d’ailleurs le fait qu’elle ne soit pas portée sur le sexe et que ça ne l’empêche pas d’être libérée. Elle écrit : « C’est comme s’il y avait un consensus : tout le monde se masturbe, tout le monde a des orgasmes, tout le monde est libéré. Fuck off. »

Sophie Ce texte était très important pour nous, parce que l’asexualité, ça existe. On parle abondamment des fameuses statistiques sur la fréquence hebdomadaire des rapports sexuels, mais très peu des gens pour qui l’essentiel n’est pas là.

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Plusieurs filles ont aussi témoigné de la honte qu’elles ont longtemps éprouvée à se masturber, souvent parce qu’un parent les avait trouvées en pleine séance d’onanisme et les avait réprimandées… Les adultes ne semblent pas trop savoir comment aborder la notion de plaisir sexuel avec leurs enfants.

Sophie Dans les cours de sexualité au secondaire, il n’en est même pas question. L’approche est axée sur la prévention et la biologie. On apprend ce qu’est la puberté, comment se protéger des MTS ou ne pas tomber enceinte… Et ça s’arrête là. Il y a pourtant des manières très adaptées de parler d’orgasme, de jouissance. Par exemple, si tu vois ton enfant se masturber dans le salon, tu peux lui dire : « Tu te donnes du plaisir, c’est normal, c’est très bien… Comme c’est un geste personnel, tu peux faire ça dans ta chambre. » Les profs, les parents, les éducateurs doivent trouver le bon ton pour ne pas le culpabiliser.

Sarah Parce que, autrement, ça peut être long avant de te débarrasser du sentiment qu’une personne te regarde et te juge, même quand tu es toute seule dans ta chambre. Certaines arrêtent complètement de se toucher à cause de ça.

Le recueil de Caresses magi­ques va-t-il être le premier d’une série ?

Sarah Oui ! En analysant les témoignages reçus, on voit que de grands thèmes se dégagent et on voudrait les pousser plus loin : les techniques de masturbation, le couple, les fantasmes, les pressions sociales inhibant la sexualité. On invite d’ailleurs les lectrices de Châtelaine à participer. Pas nécessaire de signer de son véritable nom. Il s’agit d’envoyer un texte de 500 à 1 500 mots ou une bédé à caressesmagiques.com. Tous les détails sont dans notre site.

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