Santé

Faut-il avoir peur de la pilule?

Embolies, AVC… la pilule contraceptive fait les manchettes. Quels sont les risques?

La pilule contraceptive est de plus en plus dure à avaler. Les poursuites judiciaires se multiplient, des recours collectifs s’organisent. Faut-il arrêter de la prendre ? Sans doute pas. Mais la prudence s’impose.

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Photo: Nicholas Eveleigh / Getty Images

Annie a jeté son ordonnance à la poubelle. La pilule, elle ne la prendra plus. Jamais. Il y a cinq ans, deux jours après Noël, une douleur aiguë dans les côtes gauches la terrasse. « Je me suis effondrée sur le canapé et je suis restée immobile plusieurs minutes », raconte-t-elle. La douleur s’intensifie, fait place à un engourdissement dans le bras, puis revient. À l’hôpital, après une batterie de tests, le diagnostic tombe : embolie pulmonaire. « Ma première question a été : “Est-ce grave ?” Je ne savais même pas ce que c’était ! » La trentenaire a vite sa réponse en recevant d’urgence oxygène et anticoagulants. Des caillots de sang bloquent les artères de ses poumons, ce qui met en péril leur fonctionnement. La cause, c’est Yasmin, la pilule contraceptive qu’elle prenait depuis trois mois, confirme l’équipe médicale. « Une infirmière m’a dit plus tard que la dernière patiente à avoir ainsi fait une embolie était décédée. À 18 ans. »

Les médias ont relayé plusieurs histoires similaires ces derniers mois. Ici comme ailleurs, des jeunes femmes en santé subissent des accidents vasculaires cérébraux (AVC), des embolies pulmonaires ou des thromboses veineuses à cause de leur contraceptif oral. Certaines gardent de graves séquelles – heureusement, ce n’est pas le cas d’Annie. D’autres en meurent.

Une question de générations

La pilule a bien changé depuis qu’elle a révolutionné les mœurs sexuelles dans les années 1960. Mais son principe demeure le même : un œstrogène et un progestatif, qui prévient l’ovulation.  Son évolution se compte en générations. « Entre la première génération et la deuxième, arrivée dans les années 1970 et 1980, on a gardé les mêmes hormones, mais en en diminuant les doses », relate Ema Ferreira, pharmacienne au CHU Sainte-Justine et professeure à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Ensuite, les sociétés pharmaceutiques ont mis au point de nouveaux progestatifs. C’est ce qui a donné lieu à la troisième génération (années 1990), puis à la quatrième (2000). Seule la première n’est plus sur le marché.

Dès le début, il y a eu des risques vasculaires. Le coupable : l’œstrogène. À l’occasion, il peut causer un caillot de sang – en général dans une jambe – qui bloque en partie ou totalement la circulation sanguine dans une veine. On parle alors d’une phlébite ou d’une thrombose veineuse. L’embolie pulmonaire – ce qu’Annie a vécu – survient quand le caillot se détache et voyage jusqu’à une artère des poumons. S’il se loge dans le cou ou le cerveau, c’est une embolie cérébrale, une forme d’AVC qui peut engendrer des troubles de langage et de mémoire ou encore une paralysie plus ou moins étendue. Les deux types d’embolies peuvent entraîner la mort.

Les risques d’être victime d’une de ces complications ? Très légers pour une femme en parfaite santé et ne présentant aucune contre-indication (obésité, tabagisme, antécédents familiaux de caillots) – mais un peu plus élevés avec des contraceptifs de troisième et quatrième générations, comme Yaz et Yasmin, indiquent des études. Toutes les pilules utilisent le même œstrogène. Ce sont donc les progestatifs, variant selon la marque, qui neutralisent, certains mieux que d’autres, la formation de caillots que peut provoquer l’œstrogène. « C’est l’équilibre entre les hormones qui compte. Avec certains progestatifs, l’effet de l’œstrogène est moins contre-­balancé », explique Marc Zaffran, médecin d’origine française spécialisé en contraception.

À quel point le danger croît-il en fonction des différentes générations de pilules ? C’est là l’objet d’un débat. En 2011, Santé Canada a estimé qu’une femme avait de 1,5 à 3 fois plus de risques de voir un caillot sanguin se former avec une pilule de quatrième génération qu’avec une de deuxième – un risque jugé faible. Depuis la mise en marché de cette nouvelle génération dans les années 2000, 20 utilisatrices en seraient mortes au pays. Il y a deux ans, un comité d’experts mis sur pied par l’Institut national de santé publique du Québec a analysé les principales études sur le sujet. Sa conclusion : si elle existe, la différence de risques entre les générations est minime.

Édith Guilbert, médecin-conseil à l’Institut et membre de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, faisait partie des experts consultés. « Les études se contredisent », dit-elle. Bon nombre sont financées par les grandes pharmaceutiques. D’autres comportent des faiblesses méthodologiques. « Sur le plan scientifique, c’est extrêmement difficile de faire la part des choses. » Le comité a réitéré l’importance de respecter les contre-indications et de faire un suivi, mais n’a pas recommandé de changement dans les pratiques cliniques.

Certains professionnels mettent quand même la pédale douce. Au Centre de santé des femmes de Montréal, par exemple, la Dre Lori Kahwajian ne prescrit plus les pilules de troisième ou de quatrième génération comme premier choix. « Ce n’est pas tellement que je les crois mauvaises, dit-elle. Je veux surtout éviter qu’une patiente en entende parler dans les médias et décide d’arrêter de les prendre. » Elle s’exposerait alors à une grossesse non désirée.

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Shutterstock

Enjeux financiers et recours légaux

En France, la situation est tout autre. Depuis mars dernier, la Sécurité sociale ne rembourse plus les anovulants de troisième et de quatrième générations. Pourquoi ? L’État cherche à limiter leur utilisation. Désormais, la deuxième génération doit être privilégiée, à moins de conditions particulières. Cette « panique à la pilule », comme on dit là-bas, a une figure de proue : Marion Larat. En 2006, à 19 ans, elle a fait un AVC causé par Meliane (troisième génération, non commercialisée au Canada) qui l’a laissée épileptique, aphasique et partiellement paralysée. L’hiver dernier, elle a entamé une poursuite contre le fabricant Bayer.

La multinationale est aussi sur la sellette de notre côté de l’Atlantique avec Yaz et Yasmin. En mars 2013, dans un règlement hors cour, elle a accepté de verser un milliard de dollars à 4 800 utilisatrices américaines victimes de problèmes vasculaires. Le mois suivant, un juge ontarien a autorisé un recours collectif pan­canadien contre les mêmes pilules – ce qui ne veut pas dire que l’issue sera la même que chez nos voisins du Sud. Annie y participe. « Je le fais surtout pour la prévention, afin que les risques soient mieux connus, dit-elle. Si j’obtiens des sous, je vais m’offrir du plaisir, pas des REER ! Je vais gâter mon chum, qui s’est occupé de moi pendant ma convalescence… et mes nombreuses crises de larmes. »

Mal renseignées ?

Est-ce qu’on parle trop peu, trop mal des risques ? À deux reprises au cours des cinq dernières années, un médecin a prescrit à Sarah Labarre un contraceptif hormonal. Les deux fois, la consultation a été expéditive. Mais les effets secondaires, eux, se sont éternisés – sans que personne mette Sarah en garde contre d’éventuels problèmes majeurs.

La première fois, la femme de 25 ans a eu ses règles en continu en prenant Yasmin. Au bout d’un mois, le médecin l’a encouragée à persister. Trois mois plus tard, épuisée, elle a de son propre chef jeté l’éponge. À l’automne 2012, l’anneau vaginal Nuvaring, contenant un progestatif de troisième génération, lui a causé des « pertes comparables à une fausse couche ». Trois semaines durant. Elle apprenait par la suite que l’anneau est déconseillé à celles qui ont eu des ennuis avec les anovulants de troisième ou de quatrième génération.

Choquée, elle a relaté ces expériences sur le site Web du magazine Urbania l’hiver dernier. Les témoignages similaires ont afflué (voir La croisade de Sarah, plus bas). « Bien sûr, il ne faut pas généraliser. Mais je reçois beaucoup de témoignages selon lesquels le médecin n’a pas expliqué les risques ou a refusé d’associer à la pilule un effet secondaire ressenti par une patiente », raconte-t-elle. Pour elle, le lien de confiance entre patientes et médecins est rompu.

La Dre Édith Guilbert, de l’Institut national de santé publique du Québec, tempère ces propos. « Je ne peux pas vous dire ce qui se passe dans le bureau de chaque médecin. Chacun travaille de son mieux avec les contraintes de notre système de santé. Mais moi, j’explique les signes de danger à surveiller systématiquement », précise-t-elle.

Pour le Dr Marc Zaffran, ce n’est pas que le manque de communication qui pose problème. Il juge que le corps médical se fie beaucoup trop aux pharmaceutiques pour se faire une opinion sur les anovulants prescrits. « L’industrie pharmaceutique lui fournit de l’information incomplète sur les médicaments, surtout en ce qui concerne les effets secondaires », dit-il.

Entre peur et prudence

L’heure n’est pas à la panique. « Les risques sont très faibles, insiste la Dre Guilbert. Une thromboembolie pendant la grossesse ou dans les trois à quatre semaines qui suivent l’accouchement est beaucoup plus fréquente que pendant qu’on prend la pilule, toutes générations confondues. »

Aussi, la majorité des accidents vasculaires surviennent dans les deux premières années de la prise d’une pilule. Les femmes qui ont recours à la troisième ou à la quatrième génération d’anovulants sans éprouver de problèmes depuis plus de 24 mois peuvent donc dormir tranquilles. « Les autres devraient songer à passer à une pilule de deuxième génération », avance le Dr Zaffran. Ou à un moyen de contraception différent. Tout en gardant en tête qu’il n’y a pas de solution miracle. Aucune méthode n’est infaillible. Chacune comporte des avantages et des inconvénients.

Au fond, c’est peut-être ce qu’on avait perdu de vue. La pilule est banalisée. Les femmes « oublient » de la mentionner quand on leur demande quels médicaments elles prennent. « Sur le plan de l’accès à la contraception, cette banalisation est une excellente chose. Mais la pilule demeure un médicament entraînant des effets indésirables », souligne Sophie de Cordes, de la Fédération du Québec pour le planning des naissances. Le rappeler ne ternit pas ce symbole de la libération des femmes. « Au contraire, rappelle le Dr Zaffran. Le savoir, c’est la liberté. »

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Photo: Mathieu Breton

La croisade de Sarah

L’hiver dernier, Sarah Labarre, 25 ans, a lancé un cri du cœur aux lectrices du magazine Urbania. Secouée par un deuxième épisode douloureux en cinq ans avec les anovulants, elle voulait savoir si d’autres avaient vécu des histoires similaires.

Les réponses n’ont pas tardé. « Après seulement deux jours, je croulais sous les témoignages [elle en a reçu plus de 170…]. On parle ici de femmes qui ne me connaissent pas et qui me confient des si­tuations intimes à propos de leurs organes génitaux, explique-t-elle. Ce n’est pas rien ! » Et c’est sans compter les dizaines de commentaires sur le site d’Urbania et sur Facebook. Les deux billets de blogue qu’elle a publiés sur ses aventures contraceptives (« La fois où j’ai servi de cobaye » et « Cher médecin, ou : avant on avait les curés, maintenant on a les médecins », qu’on peut encore lire sur urbania.ca) ont abondamment circulé sur les réseaux sociaux. Thromboses, AVC, embolies pulmonaires, médecins qui ignorent ou tournent au ridicule les inquiétudes de leurs patientes…

Les histoires recueillies glacent le sang. Et les effets secondaires plus mineurs l’enragent tout autant. Quand une fille lui écrit qu’elle a « seulement » perdu sa libido, elle fulmine. « Comme si ce n’était pas important ! Ça démontre à quel point on banalise l’appétit sexuel des femmes. Ça me scandalise ! » s’exclame-t-elle.

Les réactions ne sont pas toutes favorables. « On m’accuse de chercher à jeter des patientes dans des grossesses non désirées, alors que ce n’est pas du tout le cas. » Que fera-t-elle avec tout ce matériel ? Pour l’instant, elle jongle avec l’idée d’en tirer un ouvrage de sensibilisation. Une réorientation professionnelle fait aussi son chemin. Actuellement au baccalauréat en arts visuels à l’Université du Québec à Trois-Rivières, elle lorgne des domaines plus près de la contraception. Elle se voit en « gynécologue ou sexologue rebelle ». En attendant, elle poursuit son combat. « Je ne veux pas qu’on prescrive moins d’anovulants, je souhaite qu’on les prescrive mieux. »

Quelle génération de pilules ?

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2e génération

Progestatifs : lévonorgestrel, norgestrel, noréthindrone

Exemples : Alesse, Aviane, Lo-femenal, Min-Ovral, Portia, Seasonale, Triquilar

 

3e-generation3e génération

Progestatifs : désogestrel, norgestimate

Exemples : Cyclen, Linessa, Marvelon, Ortho-cept, Try-Cyclen

 

4e-generation4e génération

Progestatif : drospirénone

Exemples : Yaz, Yasmin

À noter : la première génération n’est plus commercialisée.

Les signes à surveiller

Les symptômes suivants peuvent annoncer un problème vasculaire. Si l’un d’eux se manifeste, mieux vaut consulter un médecin sans attendre:

  • Mal de tête important
  • Problème de vision
  • Enflure persistante à une jambe
  • Douleur ou sensibilité à une jambe, à la poitrine ou à l’abdomen
  • Difficulté à respirer
  • Vomissements incontrôlables

Les risques en chiffres

Les données sur les contraceptifs et les risques de caillots sanguins varient grandement. La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada estime que, chaque année, de 4 à 5 femmes en âge de procréer sur 10 000 subissent une thromboembolie veineuse. Avec un contraceptif hormonal (toutes générations confondues), ce serait deux fois plus, soit de 8 à 9 sur 10 000.

Pour l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), le risque de base oscille plutôt entre 1 et 10 sur 10 000 chaque année. Chez les femmes qui prennent la pilule, il atteint de 10 à 15 sur 10 000. Si le risque est plus élevé avec les contraceptifs de quatrième génération, l’écart est minime (de l’ordre de 1 à 2 cas de plus sur 10 000), considère l’INSPQ.

Santé Canada juge les risques faibles. En 2011, il a comparé l’apparition de caillots selon la prise de pilules de deuxième ou de quatrième génération. Chaque année, une femme sur 10 000 fait une thrombose ou une embolie parmi les utilisatrices d’un contraceptif de seconde génération. Avec la quatrième génération, le risque double et atteint de 1,5 à 3 sur 10 000.

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