Lâchée lousse

Chine: la revanche des femmes?

Devoir montrer chaque mois une serviette hygiénique tachée de sang à son patron pour prouver que l’on n’est pas enceinte. Pouvez-vous imaginer ça? C’était l’une des méthodes de l’État chinois pour s’assurer du respect de la politique de l’enfant unique, qui vient d’être abolie après 35 ans.

La mesure aurait empêché 400 millions de naissances selon les autorités, la moitié moins selon les spécialistes indépendants. Ne chipotons pas pour un petit 200 millions – à peine six fois la population du Canada. Après tout, on ne fait que commencer à évaluer l’ampleur des dégâts, estime Mei Fong, une journaliste malaisienne d’origine chinoise qui a passé des années à documenter les effets de cette politique. Son ouvrage One Child – The Story of China’s Most Radical Experiment (Houghton Mifflin Harcourt) tente de faire le tour des problèmes qui frappent l’empire du Milieu.

Photo: Johannes Eisele/AFP/Getty Images

L’équilibre entre les sexes d’abord. La politique de l’enfant unique a été mise en place 1) dans une culture où, pour les parents, la naissance d’un héritier mâle garantissait la pérennité de la lignée et la présence d’une bru chargée d’adoucir leurs vieux jours ; et 2) à un moment où il devenait possible de connaître le sexe d’un fœtus et d’avorter de celui qu’on ne voulait pas. Résultat : alors que normalement, chez l’Homo sapiens, il naît entre 103 et 106 garçons pour 100 filles, le ratio est passé à 120 ou même 130 garçons pour 100 filles.

Cette situation inédite dans l’histoire de l’humanité a quelques effets saugrenus. Les jeunes femmes tiennent maintenant le haut du pavé dans le marché du mariage ; elles convolent de plus en plus tard (à Shanghai, l’âge moyen de la nouvelle mariée dépasserait 30 ans) et divorcent plus souvent, n’ayant plus à supporter une relation qui leur déplaît. Certaines posent même des conditions nouvelles : que leurs enfants portent leur nom plutôt que celui du père, par exemple…

D’autres conséquences sont pas mal moins drôles. Les démographes évaluent que, dès 2030, un homme sur quatre se retrouvera célibataire pour de bon, ayant dépassé l’âge de se trouver une compagne. Il existe déjà des villages presque exclusivement peuplés de ces esseulés découragés.

Ouvrage One Child – The Story of China’s Most Radical Experiment de Mei Fong

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Et puis, le quart de la population masculine qui perd espoir, ça fait beaucoup de testostérone refoulée, assez pour menacer la stabilité sociale. Dépendance au jeu et aux drogues, prostitution, agressions, kidnappings et trafic de femmes, le taux de violence a déjà commencé à augmenter dans certaines régions du pays, rapporte Mei Fong.

Ces générations d’enfants uniques vivront dans la société la plus vieille du monde (en 2035, la Chine comptera deux retraités par travailleur). Chaque couple sera en outre responsable de quatre parents âgés, tout ça dans un contexte économique plombé par la pénurie de main-d’œuvre et de consommateurs.

Le déséquilibre des sexes a déjà des conséquences économiques imprévues. Le taux d’épargne des ménages chinois, par exemple, est le plus élevé du monde. Parce que les jeunes hommes (et leurs parents) se saignent aux quatre veines pendant des années pour arriver à amasser une dot (oui la coutume a changé de sens. Ce sont maintenant les parents du marié qui doivent payer !), ou pour acheter le bel appartement et la voiture essentiels pour séduire une fiancée potentielle. Ces dizaines de millions d’écureuils exercent une pression énorme sur le marché immobilier, freinent la croissance économique et créent même un déséquilibre dans la balance commerciale du pays.

« Tous ces remous sociaux et économiques, ces millions de drames humains n’ont pas servi à grand-chose, écrit Mei Fong. Pendant la même période, le Japon et la Corée du Sud ont vu leur taux de natalité chuter autant que celui de la Chine. À cause de l’urbanisation, de la scolarisation des filles et de la hausse du coût de la vie, tout simplement. La politique de l’enfant unique a été un désastre. Tout ça pour rien. »

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