Société

Enjeux féminins : évolution de la famille québécoise

L’explosion de la famille traditionnelle – maman, papa et les rejetons – a permis aux femmes d’entamer une réflexion sur la maternité. Elles peuvent maintenant choisir quand, combien et dans quelles conditions elles souhaitent avoir des enfants … Si elles en veulent, bien sûr !

Moins d’enfants… Plus tard

Comme dans la plupart des sociétés développées, la natalité au Québec a connu un fort déclin après le babyboom qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Depuis, l’indice synthétique de fécondité est passé sous le seuil de remplacement des générations – soit, grosso modo, le nombre moyen d’enfants par femme nécessaire pour que la population se renouvelle par elle-même en l’absence d’immigration. Il est de l’ordre de 2,1 enfants par femme dans les pays développés.

Alors qu’à la fin des années 1950, l’indice de fécondité au Québec s’établit à 4 enfants par femme, 20 ans plus tard, il n’est plus que de 2,1. Celui-ci a poursuivi sa chute, atteignant un creux historique de 1,3 enfant par femme vers le milieu des années 1980. Après une petite recrudescence des naissances liée aux politiques natalistes du gouvernement libéral en 2008, il atteint maintenant 1,58 enfant par femme.

Ce faible taux est notamment dû au fait que plusieurs femmes choisissent maintenant de retarder le moment de devenir mère. Les femmes avaient, en moyenne, leur premier enfant à 30 ans en 2011, et à 30,8 ans en 2019.

En 35 ans, le taux de femmes qui occupent un emploi est passé de 48 % à 82 %. Un bond prodigieux qui s’explique en partie par la création, au Québec, des centres de la petite enfance

De la femme au foyer à la superwoman

La fin de la Seconde Guerre mondiale s’ouvre sur des transformations radicales au sein de la société occidentale.Le rôle social et interventionniste de l’État s’accroît, le secteur des services explose. Cela crée des besoins accrus en main-d’œuvre que les femmes ne manqueront pas de combler.

« Dans les années 1950 et1960, ce sont surtout les jeunes femmes ou les célibataires qui pouvaient s’offrir le luxe de travailler. Il n’y avait pas beaucoup de garderies, et aucune aide pour les mères au travail », souligne Hélène Cornellier, porte-parole de l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFEAS).

Les Québécoises doivent souvent composer seules avec le fardeau du bon fonctionnement de la famille. Les rendez-vous chez le médecin, les tâches ménagères, la préparation des repas et la supervision des devoirs reposent sur leurs épaules. On aborde la conciliation famille-travail, qui est une préoccupation grandissante.

« La transformation des rôles au sein de la famille progressera beaucoup plus lentement que la participation des femmes au marché du travail, rappelle Francine Descarries. Il faut dire qu’au départ, on ne parle pas tellement d’aménagement du temps ou de flexibilité. On considère que le travail des femmes est complémentaire à celui du conjoint. Ce salaire d’appoint justifiait de les payer moins et de leur confier la bonne gestion du foyer. »

Dans les années 1990, les coûts liés à cette conciliation commencent à peser lourd sur les employeurs, qui comptent de plus en plus sur les travailleuses.

En 1997, Pauline Marois, alors ministre de l’Éducation, dévoile sa politique familiale. Le réseau de services de garde à contribution réduite est lancé. Les femmes avec de jeunes enfants entrent à leur tour en masse sur le marché du travail. Entre 1976 et 2009, le taux d’activité des femmes âgées de 25 à 44 ans passe de 48,4 % à 82,4 %.

En contrepartie, un nombre croissant d’hommes souhaitent s’engager davantage auprès des enfants. Avant 2006, les pères n’avaient droit qu’à deux semaines de congé de paternité. Comme le fait de profiter de cet avantage était plutôt mal vu de leurs employeurs, seul un père sur cinq se prévalait de ce droit. Aujourd’hui, leur apport est plus largement reconnu, et près de 80 % prennent un congé.

Malgré tout, les responsabilités du foyer demeurent majoritairement dans la cour des femmes. En 2015, les hommes consacraient en moyenne 2h38 minutes par jour aux travaux domestiques, contre 3h46 pour leur conjointe, selon Statistique Canada. Cette disparité s’amenuise chaque année. Le hic, c’est qu’elle ne tient pas compte du travail invisible que demandent l’organisation de ces tâches et la bonne marche de la maisonnée. Ce travail invisible a d’ailleurs un nom : la charge mentale.

« La charge mentale décrit le phénomène selon lequel une femme en couple qui travaille demeure préoccupée par les tâches ménagères et la gestion de son foyer, même lorsqu’elle est au bureau », explique Hélène Cornellier. La bédéiste Emma a résumé cette idée par la formule « Fallait demander ! », titre d’une série de ses célèbres illustrations. « Les hommes veulent s’investir davantage, mais souvent, ils ne prennent pas l’initiative et attendent que quelqu’un y pense à leur place », poursuit Hélène Cornellier.

Pour Francine Descarries, les femmes n’obtiendront l’égalité que lorsqu’être père ou mère sera considéré comme équivalent. « Les révolutions féministes font toujours bouger les choses au Québec. Ça prendra du temps, mais on va y arriver », laisse-t-elle tomber, optimiste.

Quatre Québécois sur 10 sont touchés de près ou de loin par l’infertilité.

La procréation assistée : une révolution !

En 1978, le premier bébé-éprouvette voit le jour en Angleterre. Les progrès technologiques permettent dorénavant aux couples infertiles, aux femmes seules et aux couples homosexuels d’avoir un enfant biologique.

La fécondation in vitro n’est toutefois pas sans danger. Pour réduire les risques souvent graves associés aux naissances prématurées et aux grossesses multiples provoquées par l’implantation de plusieurs embryons, le gouvernement du Québec adopte en 2010 la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée.

Le Programme québécois de procréation assistée instaure la gratuité de l’insémination artificielle et d’un certain nombre de traitements de fécondation in vitro pour tous les couples, sans discrimination. Au cours de sa première année d’application, plus de 4 000 femmes y ont recours, pour un total de 887 grossesses.

En 2015, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, met fin à la couverture publique de plusieurs services de procréation assistée, en plus de resserrer les critères d’admissibilité aux traitements. Ces compressions suscitent la controverse.

Le gouvernement Legault devait déposer au printemps un projet de loi visant à rétablir la gratuité des traitements de fécondation in vitro. Un dossier à suivre, donc. Les données les plus récentes de Statistique Canada révèlent que le taux d’infertilité a presque doublé en 20 ans, passant de 8,5% en 1992 à plus de 16% en 2012. Près de 4 Québécois sur 10 seraient touchés directement ou indirectement par l’infertilité, selon un sondage CROP réalisé en 2015 pour l’Association Infertilité Québec (ACIQ).

C’est une problématique qui soulève plusieurs enjeux, estime Vardit Ravitsky, professeure de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « La question au cœur du débat, c’est : est-ce un privilège ou un droit de devenir parent biologique ? » résume-t-telle. Autre question qui fait polémique : le recours à la gestation par autrui ou au don de sperme ou d’ovules. «Au Québec, il est interdit par la loi de rémunérer une mère porteuse ou un donneur. Ça doit se faire uniquement sur la base de l’altruisme. Le gouvernement espère ainsi éviter l’exploitation ou le consentement non éclairé », poursuit la professeure.

Mais, même lorsqu’on trouve un donneur ou une génitrice volontaire, la suite est loin d’être simple pour les parents d’intention, expression qui désigne les personnes qui, dans le contexte de la maternité pour autrui, ont formé un projet parental faisant appel à une mère porteuse. «Lorsqu’on ouvre la porte à une tierce partie, les problèmes éthiques et juridiques sont partout, avance-t-elle. Ici, c’est la femme qui accouche qui est considérée comme la mère. Les parents d’enfants issus d’une mère porteuse doivent donc adopter leurs enfants − une demande qui dépend parfois de la bonne humeur du juge. » Au Québec, le statut des mères porteuses baigne dans un flou juridique. Devrait-on enfin reconnaître la pratique ou carrément l’interdire ? Le ministère de la Justice devrait trancher sous peu.

Être femme sans être mère, d’Émilie Devienne (Robert Laffont, 2007), L’envers du landau, de Lucie Joubert (Triptyque, 2010), et Nullipares, collectif dirigé par Claire Legendre (Hamac, 2020).

Sans enfant et sans regret

Carrière, santé, soucis financiers, plaidoyer environnementaliste… Pas envie d’enfanter ? Les raisons de ne pas donner la vie sont multiples et toutes également valables. Pourtant, le tabou de la femme sans enfant – égoïste et trop ambitieuse – a la vie dure. «La pression sociale qui veut qu’il faille avoir des enfants pour être une femme “entière” et complètement épanouie est encore très forte. Cette pression est notamment véhiculée par les médias et les réseaux sociaux qui forgent les imaginaires, et participent à la valorisation de la maternité», relève Laurence Charton, sociodémographe et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique.

Une Québécoise sur cinq n’aura pas d’enfant à la fin de sa période de fécondité, selon les projections actuelles de l’Institut de la statistique du Québec. Pour autant qu’on sache, il n’existe pas ici de données sur les raisons qui font que ces femmes ne deviennent pas mères, mais des études réalisées en France et aux États-Unis indiquent que la moitié des femmes sans enfant vivraient ainsi par choix.

Pour combattre les préjugés et défendre leur légitimité, les «childfree» se regroupent sur les réseaux sociaux et se font de plus en plus voir et entendre dans le web (le site femmesansenfant.com, de Catherine-Emmanuelle Delisle, par exemple), les médias et la littérature. En témoignent aussi les livres Être femme sans être mère, d’Émilie Devienne (Robert Laffont, 2007), L’envers du landau, de Lucie Joubert (Triptyque, 2010), et Nullipares, collectif dirigé par Claire Legendre (Hamac, 2020).

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