Entrevues

France D’Amour

À la fois rêveuse et pragmatique, l’auteure-compositrice-interprète n’a pas besoin de la bénédiction des autres pour valider ses choix de carrière ou de vie… tels que son adhésion à la scientologie.

C’est soir de première montréalaise pour France D’Amour. On ne l’a pas vue dans la métropole depuis près de deux ans. Le communiqué de presse indique qu’à l’achat d’un billet les gens recevront en prime Les autres, le nouvel album de la chanteuse qui signera même des autographes après le spectacle. L’offre est alléchante et pourtant… Le National, théâtre mythique et un brin miteux de la rue Sainte-Catherine, n’est pas bondé. « Une salle malheureusement dégarnie. Plusieurs bancs étaient en effet restés vacants lorsque les lumières se sont éteintes… », lira-t-on le lendemain dans le Journal de Montréal.

Arrive sur scène une France aussi à l’aise que si elle était en gougounes dans son salon. La rockeuse, toute petite avec sa grosse guitare, y va de ses plus récentes compositions sans oublier ses succès de jeunesse (« Animal / Tes yeux de métal / Un tatou de feu sur ta peau sauvage… »). Elle raconte des historiettes, ose l’humour, s’en sort plutôt bien, bref, fait ce qui lui chante, le tout à la bonne franquette. Trois musiciens l’accompagnent dans son trip : ils l’adorent, ça se voit, et la suivraient jusque sur la lune (en tout cas jusqu’à Kapuskasing, un bled du nord de l’Ontario, lointaine escale d’une récente tournée). Bravos. Rappels. Re-bravos. Rideau.

Plusieurs semaines plus tard… Je commence l’entrevue avec France D’Amour en lui disant avoir bien aimé ma soirée au National, comme la critique d’ailleurs (« Excellent show, solide, drôle, rock’n’roll, énergisant, chaleureux… », était-il écrit dans le quotidien La Presse). Pas elle. « J’ai vécu un cauchemar. » Et, question de remettre les pendules à l’heure, elle précise : « À part ce show-là, ça va super bien. Je remplis mes salles en province bien plus que des artistes qui ont une renommée extraordinaire. » Message reçu.

D’habitude, c’est elle qui produit ses spectacles. Mais, à Montréal, ça coûte trop cher, alors elle a fait appel à des producteurs. Erreur. « C’était pas la bonne salle, ils n’ont fait aucune promo. La veille, j’étais pas sûre que j’allais faire le show, ils voulaient pas payer les musiciens. Jusqu’à la dernière minute, ils ont vraiment sucé mon énergie. » Elle n’est pas pour autant en maudit contre ces « ils », ces producteurs médiocres qu’elle ne veut pas nommer. Elle est juste… déçue. « Oui, c’est dommage. Mais, dans ce métier, j’apprends tous les jours. »

À force d’apprendre, France doit en savoir long : ce métier, elle le pratique depuis presque 25 ans. L’âge que je lui donne ce jour-là. Frimousse agrémentée de taches de rousseur, sans maquillage, la taille menue, l’allure décontractée d’une étudiante en arts à l’UQAM.

« Le courant en mode que j’aime le plus, c’est le grunge du début des années 1990. » J’avais deviné. Quand elle marche dans la rue avec François, son fils de 21 ans, les gens pensent qu’ils sont frère et sœur. « Oui, oui, c’est vrai. Et c’est cool. Surtout qu’il est super grand. » Elle dit avoir gardé son cœur d’enfant – ses voisins de ruelle l’ont déjà vue toute seule faire des anges dans la neige.

Sauf qu’elle affiche 43 printemps au compteur. Et quand elle se voit en photo, elle remarque les ridules annonciatrices de l’outrage des ans. « Ma sœur, qui est esthéticienne, m’a dit : “Tu devrais te faire injecter du Botox.” Elle et moi, on est très ouvertes… Elle m’a même déjà dit que je devrais aller me faire dégraisser. »

Même si un jour France ressemble à un pruneau tout mou, sa sœur ne pourra jamais réussir à la convaincre. « Je n’ai pas peur de vieillir, mais j’ai peur des interventions chirurgicales. Je ne juge pas les gens qui décident de se faire refaire ou remonter quelque chose. Mais quand tu te définis dans le regard de l’autre, c’est dangereux. »

Avant de la rencontrer, j’ai scruté son répertoire, lu les paroles de ses chansons, souvent autobiographiques. Dans Le soleil du cirque, elle s’adresse à celui qui partage sa vie depuis plusieurs années, un artiste qui a longtemps travaillé à Las Vegas au sein du Cirque du Soleil :

« C’est toi l’acrobate / C’est moi le clown / C’est toi qui sautes / C’est moi qui tombe »

Quand elle prend la plume, France n’est pas toujours fleur bleue. Elle peut être cynique, voire acerbe. Lettre à ma mère est un exemple. Une missive chargée à bloc, presque un missile contre sa belle-mère :

« Comment veux-tu que je l’aime / Elle qui dort à ta place / Cette pâle deuxième / Que mon père embrasse (…) / Comment veux-tu que j’fasse / Pour pas dev’nir violente / Quand j’te vois tomber face à face / Avec ta remplaçante »

Aïe ! « Disons que ma belle-mère n’est pas une fan de France D’Amour. Ma mère, par contre, adore cette chanson. » Et ton père ? « Il n’écoute pas du France D’Amour. Ce qu’il aime, c’est Joe Dassin, Le café des trois colombes… » Elle hausse les épaules. « Ça ne m’offusque pas. Je ne fais pas ce métier pour être aimée. Je ne pourrais pas écrire de chansons si je carburais à ça. Mais attention, je ne désire pas être aimée, mais je l’apprécie. »

« C’est une drôle de fille, explique Marie-Christine Blais, journaliste culturelle à La Presse, qui regarde aller France depuis ses débuts. Elle est beaucoup plus qu’une chanteuse pop “jetable et remplaçable par une autre”, l’image que bien des gens ont d’elle. C’est un être né pour la scène, une musicienne jusqu’au bout des ongles, une solide mélodiste avec une voix au timbre unique. »

France se dit bien au parfum de ne plus être la « saveur du mois », sans être une has been pour autant. Ces considérations ne l’empêchent pas de dormir. L’important, assure-t-elle, c’est d’être encore là. « C’est pas le succès qui me définit ni qui donne un sens à mon existence. Ma vie, c’est mon fils, mes amis, c’est plein de choses, pas que le showbiz. »

Elle le dit sans détour : elle ne gagne pas des fortunes, mais vit bien. Elle sait où va l’argent. Depuis plus de 10 ans, elle gère sa carrière – rien ne lui échappe. « Ça m’a forcée à devenir une femme d’affaires. » Elle avoue trouver parfois ce double emploi un peu lourd. « C’est sûr que si je rencontrais quelqu’un qui avait les bonnes raisons d’être gérant de France D’Amour… »

Je lui fais remarquer qu’elle parle souvent d’elle à la troisième personne. France D’Amour n’est pas cinglée. C’est qu’il y a deux France : France D’Amour, l’artiste qui rêve, et France Rochon, la femme qui a les deux pieds sur terre. Parfois, c’est l’une qui parle, parfois, c’est l’autre. « On pourrait dire que France Rochon gère France D’Amour. »

C’est Nick Carbone, celui qui l’a « découverte » et le seul gérant qu’elle ait jamais eu, qui l’a rebaptisée. « France Rochon, il n’aimait pas ça. Il est arrivé avec D’Amour. Il m’avait dit : “Il faut que ton nom vieillisse bien”, en me donnant l’exemple de la chanteuse Belgazou. Belgazou, c’était cute quand elle avait 20 ans, mais pas à 60 ans. »

Dans ce temps-là, Nick suppliait les journalistes de ne pas révéler que la jeune chanteuse prometteuse et rock’n’roll était aussi la maman d’un petit garçon. « Je l’ai su après. C’est fou ! J’en revenais pas. Nick pensait sans doute que ça nuirait à mon image. » À l’époque, France vivait encore avec le père, un musicien et réalisateur de disques. Après « une séparation réussie, que nos copains envient », comme elle le précise fièrement, ils ont vécu à proximité pour faciliter les allers-retours de fiston entre l’un et l’autre. Amie avec son ex, amie aussi avec son fils.

« J’ai de la misère avec l’autorité. Je sais qu’il y a plein de gens qui trouvent qu’on n’est pas supposés être amis avec ses enfants, mais ça a marché pour François et moi. On vit ensemble, et je suis la première personne à qui il vient parler des conneries qu’il a faites, de ses histoires avec les filles. C’est fabuleux, c’est touchant, je trouve ça extraordinaire parce que je me sens privilégiée. Il se sent en terrain de confiance parce que je ne l’ai jamais jugé ou chicané. »

Comme France aussi se sentait en confiance, nous avons abordé le sujet sensible dont elle avait accepté de parler au préalable : son adhésion à la scientologie. La nouvelle est sortie à la une d’un journal à potins il y a près de trois ans. « Pour moi, c’est un truc personnel, je ne voyais pas l’intérêt public d’en parler mais, comme la journaliste m’avait dit qu’elle écrirait un article même si je refusais d’en discuter avec elle, j’ai dit : “OK, qu’est-ce que tu veux savoir ?” »

France n’a pas 20 ans quand la scientologie entre dans sa vie, pour la changer à jamais. Une amie lui a parlé d’un livre, La dianétique : La puissance de la pensée sur le corps, la pierre angulaire de cette « Église » extrêmement controversée ; au Québec, elle a le statut de religion, alors qu’ailleurs, comme en France et en Allemagne, elle est considérée comme une secte. « J’ai trouvé que ce qui était écrit là-dedans avait du sens, et que c’était intelligent. J’ai trouvé des réponses à mes questions. »

Et des questions, France Rochon s’en posait plusieurs. « J’étais une enfant très perturbée, confuse. Je ne me comprenais pas, j’avais peur de la vie, de la guerre, des autres. J’étais perdue. » Son père a pensé l’envoyer dans une « école de réforme » parce qu’elle n’en faisait qu’à sa tête. Tous les ingrédients étaient réunis pour qu’elle tourne mal. « C’est sûr que sans la scientologie je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. »

Dans le jargon scientologue, France a atteint le stade de Clair, c’est-à-dire un « individu optimal, l’objectif de la thérapie de Dianétique », comme on peut le lire dans le célèbre bouquin. Un Clair possède « une intelligence très supérieure à la normale ; c’est un être dynamique qui prend plaisir à l’existence. » « Être un Clair, c’est fantastique ! » s’exclame France, surprise que j’en sache autant sur la scientologie et heureuse de voir que j’ai acheté la fameuse brique de 661 pages. (Honnêtement, j’ai arrêté la lecture au bout de 100 pages, découragé par le charabia de Ron Hubbard, père de cette religion fondée aux États-Unis en 1952, ex-auteur de livres de science-fiction. Je ne deviendrai jamais un Clair.)

Sans entrer dans les détails, car tout ça est archicomplexe, devenir Clair exige des années de travail… et plusieurs milliers de dollars. En 2004, France s’est offert une année sabbatique pour se ressourcer et écrire les chansons de l’album Hors de tout doute, sorti l’année suivante. Elle est donc partie quelque part « dans le Golfe du Mexique » – la chanteuse comme la compagnie de disques resteront vagues sur la destination précise avant et après son séjour là-bas. Depuis, la rumeur court sur le Web (où les textes anti-scientologie abondent) : France était à Clearwater, en Floride, le « siège social spirituel mondial », la Mecque de la scientologie. Vérifications faites auprès de la principale intéressée, elle était à Tampa… juste à côté. « Oui, admet-elle, laconique, j’ai suivi un cours à Clearwater. » Je ne peux m’empêcher de lui dire qu’en 2007, France Rochon aurait donné 40 000 $ à l’Église de scientologie de Montréal (en pleine campagne de financement pour construire un nouveau siège social de 10 millions de dollars). C’est du moins ce que révèle un document, diffusé sur Internet par une organisation canadienne anti-scientologie. Sa réaction est immédiate : « Où t’as trouvé ça ? » Puis elle nie avec énergie, et un certain humour. « Ben, en tout cas, j’ai l’air généreuse, c’est pas pire. »

Être à la fois un personnage connu et un scientologue affiché n’est pas de tout repos. C’est le cas de Tom Cruise, John Travolta et même du chanteur intello Beck, souvent la cible de railleries et d’insultes.

Sur le site officiel de France D’Amour, seule personnalité publique québécoise ouvertement scientologue, les fans peuvent laisser des messages : parmi les nombreux éloges, quelques internautes lui demandent gentiment de se « réveiller » (« Ton talent, tu ne le dois qu’à toi-même, pas à la secte criminelle de la scientologie »). Elle s’étonne de la violence de certains propos que je lui rapporte, mais n’a pas l’air inquiète. En fait, elle s’en balance. « La scientologie n’a pas à être défendue, je n’ai pas à la défendre. Tabarnouche, c’est quoi le problème ? J’ai lu des livres, j’ai suivi des cours, j’y ai trouvé des trucs pour mieux chanter, pour avoir plus confiance en moi, pour être plus heureuse. D’autres personnes vont faire d’autres cheminements pour arriver au même point, et c’est correct ainsi. Et là, on m’attaque à cause de ça ? Je m’en fous de ce que les gens pensent ou disent de moi. Je n’aurais pas abordé le sujet de moi-même si tu ne m’avais pas demandé d’en parler. »

France D’Amour n’a pas la mission de sauver le monde. Et, surtout, elle ne veut convaincre personne.

BIO EXPRESS
1966  Née le 30 mars, adoptée à 4 mois par une famille de Mont-Rolland dans les Laurentides :
« Le père qui a trois jobs pour arriver, la mère, serveuse dans un restaurant, quatre enfants. » Elle n’a jamais voulu connaître ses parents biologiques.
« On ne sait pas sur qui on va tomber, mais on sait qu’on va tomber sur un drame. Je n’ai pas cherché qui et pourquoi. »
1980  Reçoit une guitare en cadeau. « Je ne l’ai plus jamais lâchée. »
1984  Première fille acceptée en « guitare-jazz » au cégep Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse.
1985 Se joint à titre de guitariste et de chanteuse au groupe U-Bahn, qui reprend les hits de l’époque (et qui changera souvent de nom). Fait la tournée des bars.
1990  Début de sa carrière solo.
1992  Premier disque : Animal
1999-2001  Incarne Esméralda dans Notre-Dame de Paris, au Québec et en Europe.
2002  Tente une percée en France.
2008  Été : remplace Patrice L’Écuyer à l’émission Les matins de Montréal, à Rythme FM.
2009  Été : en tournée québécoise avec un tout nouveau spectacle de jazz. Un retour, dit-elle, à ses premières amours.

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