Élections fédérales 2015

«Je suis une électrice musulmane et j’en ai marre d’entendre parler du niqab!»

Le niqab, c’est le sujet «chaud» de la campagne électorale. Mais ce voile est porté par un peu moins de 2 % des Canadiennes musulmanes. Concentrons-nous donc plutôt sur des enjeux qui importent vraiment, écrit Shireen Ahmed, une écrivaine et activiste musulmane.

Femme-Niqab

Photo: Zunera Ishaq, qui a exigé de prêter son serment de citoyenneté à visage couvert et qui a gagné sa bataille. (Photo: Patrick Doyle / The Canadian Press.)

Comme des millions de Canadiens, j’ai suivi de près l’actualité entourant la prochaine élection fédérale. J’ai l’intention de voter, mais je suis bien indécise quant au choix du parti qui obtiendra mon soutien. En tant que musulmane, écrivaine, activiste et mère, je suis bien au fait de la chose politique, mais j’ai été consternée et frustrée par ce qui est devenu le sujet « chaud » de l’heure : le niqab.

J’ai commencé à porter le hijab, un foulard qui couvre ma tête tout en laissant mon visage à découvert, lorsque j’étudiais à l’université de Toronto. Ce fut un choix à la fois très personnel et spirituel. Pour ce faire, je n’ai consulté personne – ni ma mère, ni mon père, ni mon entraîneur de soccer. Comme c’est le cas pour plusieurs autres femmes, j’ai pris cette décision par et pour moi-même. Et à titre d’étudiante de premier cycle me spécialisant en politique canadienne et en études féministes, je savais bien qu’il s’agissait-là d’un droit cimenté dans notre Charte des droits et libertés.

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Malheureusement, la façon dont les femmes choisissent de se vêtir fait souvent l’objet d’un examen public. J’en veux pour preuve le fait suivant : à quelques jours de l’élection fédérale, le niqab, un voile porté par moins de 2 % des Canadiennes musulmanes, vole la vedette aux enjeux qui touchent vraiment les femmes de ce pays. En fait, le nombre de femmes portant le niqab lors de la cérémonie de citoyenneté est si faible que Citoyenneté et Immigration Canada ne le consigne même pas ! Et dire qu’au lieu d’en faire une maladie, nous pourrions plutôt discuter de l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte à la violence faite aux femmes ; de l’atroce écart salarial qui sépare hommes et femmes au Canada ; de programmes d’aide à la jeunesse et de services sociaux qui pourraient soutenir les jeunes femmes ; ou encore, de la tenue d’une enquête sur la disparition et l’assassinat de quelque 1000 femmes autochtones, un exercice qui, selon le premier ministre, ne figure pas en tête de liste des priorités de son gouvernement.

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Sondage après sondage, il a été démontré que les Canadiens ressentent un malaise face au niqab. Mais selon plusieurs sondages d’opinion, les hommes de ce pays croient également que les femmes sont moins compétentes qu’eux au volant. Nos dirigeants devraient-ils alors lancer un débat sur le droit des femmes d’avoir un permis de conduire ?

Un sondage que le premier ministre Stephen Harper cite dans sa guerre au niqab révèle que 82% des Canadiens sont en faveur de son retrait lors des cérémonies de citoyenneté. Ce pourcentage est encore plus élevé au Québec, où il atteint 93 %. Or, je suis convaincue que la grande majorité de ces répondants n’a jamais parlé ou interagi avec des femmes portant le niqab. Pourquoi les traiter avec dignité et respect lorsqu’on peut les juger et les honnir à distance ?

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Les ressources investies dans l’interrogation de l’opinion publique sur cette micro-population sont particulièrement préoccupantes parce que les commentaires qui en résultent versent souvent dans l’islamophobie. Dans l’une de ses récentes chroniques, Margaret Wente, du Globe and Mail, soutenait que les niqabs sont devenus symboliques pour les Canadiens — « un débat sur nos valeurs, l’égalité et les limites de la tolérance ». « Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour accommoder les différences culturelles et religieuses ? », y demandait-elle. Son verdict ? « Les niqabs n’ont pas leur place au Canada. » Ces propos sont racistes, non pertinents et inutiles. Ma réplique pourrait être tout aussi réductrice : je n’aime pas vos boucles d’oreilles en forme de crucifix (ou votre pendentif évoquant l’étoile de David ou encore, votre pull à capuchon Lululemon) et je ne crois pas qu’elles aient une place dans notre société.

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Le clan anti-niqab a cessé de faire valoir que ce vêtement pose un problème de sécurité (ce n’est pas le cas). Il ne peut prétendre de façon crédible que l’enjeu, ici, c’est le droit des femmes de choisir de le porter, puisqu’il tente lui-même d’éliminer ce choix. Ce qu’il peut faire, par contre, c’est remettre en question la loyauté des femmes qui portent le niqab envers ce pays.

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Mon Canada est un pays qui respecte la liberté de choix et ne se laisse pas distraire par des discussions vestimentaires alors que nous devrions nous pencher sur des questions plus pressantes. La juge en chef de la Cour suprême, Beverley MacLachlin, a déclaré : « L’État n’est pas en position d’être, ni ne devrait devenir, l’arbitre des dogmes religieux. » Pas plus que les hommes qui s’affrontent en vue de décrocher le poste de premier ministre ne devraient nous rebattre les oreilles sur la façon dont les Canadiennes s’habillent ou pratiquent leur foi.

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Cet article a d’abord été publié sur Chatelaine. 

Shireen Ahmed est une passionnée de soccer et de sports en général, conférencière et écrivaine établie à Toronto. Elle est née à Halifax, de parents pakistanais. Elle ne porte pas le niqab, mais le hijab, oui. Son travail se situe au carrefour de la politique, du sport et du féminisme. Elle aime aussi le café et les chats.

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