L'édito

Génération perfection

Dans une société qui encense la performance et offre tous les moyens d’atteindre les plus hauts standards, nous n’avons plus vraiment d’excuses pour nous planter. Et c’est une très mauvaise nouvelle, écrit notre rédactrice en chef.

Ballerines

Photo: Stocksy

Je pensais être imperméable à la peur de l’échec. Non, non, ne riez pas. J’y croyais vraiment. Après tout, j’ai tendance à me lancer dans des projets au potentiel casse-gueule élevé. Le genre, aussi, qui pourrait vendre sa maison demain matin (euh, qui l’a fait plusieurs fois) et aller vivre à peu près n’importe où. L’optimiste-indépendante qui rassure ses poussins anxieux en leur disant d’oser prendre des décisions, d’avoir confiance en l’avenir. Convaincue, la fille.

Mais alors qu’on concoctait notre dossier sur l’échec, j’ai dû me rendre à l’évidence : c’était une vue de l’esprit. J’ai bien la trouille de me planter. Pas cette peur qui paralyse et empêche de faire des choix. Celle, plus subtile mais insidieuse, qui maintient dans le doute. Je décide, je tranche, j’avance – et pas mal vite –, mais je m’interroge constamment.

Cela dit, je n’ai rien contre cette manie. C’est, à mes yeux, une qualité plus qu’un défaut. Que l’on trouve davantage chez les femmes, d’ailleurs, et qui explique entre autres pourquoi elles s’avèrent souvent des gestionnaires efficaces. On l’a bien vu lors de la crise économique de 2008 : les entreprises qui comptaient des femmes à leur tête ont mieux performé dans la tourmente. Et c’est souvent vers elles qu’on se tourne quand ça va mal.

Ce n’est donc pas le fait de douter qui m’ennuie, mais ce qui l’alimente. Car, je dois l’avouer, c’est le souci de bien faire, de ne pas me tromper. Ce qu’on appelle le syndrome de la première de classe. Et on serait nombreux à en être atteints, selon les experts qui étudient la place de la performance dans notre société.

Selon eux, nous serions carrément terrorisés par l’échec. Pas étonnant. Tous les aspects de nos vies sont matière à évaluation : le rendement au boulot, notre efficacité à l’entraînement, la façon dont nous élevons nos enfants, ce que nous ingurgitons, la popularité sur Facebook… Sans compter toutes les possibilités qui s’offrent à nous, aujourd’hui, pour atteindre les plus hauts standards. Nous n’avons plus vraiment de prétextes pour nous planter.

C’est aussi la conclusion de la sociologue Diane Pacom, professeure à l’Université d’Ottawa et spécialiste des tendances sociales. Elle a notamment étudié l’effet de cette pression chez la génération Y et celle qui suit. Les adultes et ados qui ont grandi dans ce système de performance et à qui on a oublié d’apprendre qu’une bonne débâcle, ce n’est pas la fin du monde. C’est même parfois sacrément instructif.

Les jeunes, dit-elle, n’ont plus tellement l’occasion de composer avec l’échec. Ni à l’école ni à la maison. Ces « enfants-projets » ont tout reçu – amour, éducation, voyages, activités de toutes sortes – et n’ont plus d’excuses pour se tromper et décevoir les attentes (élevées) de leurs parents.

Cette analyse me fait penser au commentaire d’une lectrice, reçu à la suite d’un de mes billets. Elle écrivait : « Je me demande comment nous, les mères de 50 ans et plus, avons pu fabriquer des jeunes femmes aussi performantes, anxieuses et incapables de jouir de la vie… » Étant plutôt confiante et hédoniste, je me suis sentie interpellée à moitié. Mais elle a tout de même raison : on se retrouve aujourd’hui avec une belle gang de perfectionnistes. La bonne nouvelle, c’est que ça se soigne. On s’y met ?

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