Lorsque Geneviève a perdu son père, elle croyait bien que tout irait comme sur des roulettes pour la succession. Or, le liquidateur désigné par testament a failli à sa tâche, et les deux filles du défunt ont dû reprendre le flambeau six ans plus tard. Toute une épreuve pour Geneviève et sa sœur, qui sont retournées à la case départ. « J’ai dû contacter plusieurs administrations, envoyer des documents… Tout n’est pas réglé, mais le dossier progresse. »
Il leur faudra encore une bonne dose de patience car, en raison de divers délais administratifs, les liquidations s’étirent en moyenne sur 18 à 24 mois, selon les notaires consultés pour cet article. Les multiples étapes, à réaliser dans le bon ordre pour éviter des ennuis juridiques ou financiers, peuvent être fastidieuses. Or, la transmission de patrimoine s’accélère avec le vieillissement de la population : selon Statistique Canada, près d’un tiers des familles québécoises ont déjà reçu un héritage (contre seulement 17 % en 2007, d’après les données de l’Institut de la statistique du Québec). Nous sommes donc toutes susceptibles d’être un jour sollicitées pour remplir ce rôle. Prête, pas prête ? Voici les trois grandes qualités d’une bonne liquidatrice.
Être méthodique
Lorsqu’une personne décède, tous ses biens sont considérés comme sa « succession ». Le liquidateur, autrefois appelé « exécuteur testamentaire », a pour rôle de distribuer ces avoirs selon les souhaits du défunt, en s’assurant de ne pas nuire aux héritiers. « La liquidation successorale est un lourd processus dont la complexité est généralement sous-estimée. C’est un pensez-y-bien », prévient la notaire Nathalène Chapuis, qui exerce à Montréal.
Le processus compte 11 grandes étapes, précise Marc-Antoine Bernier, notaire chez Éducaloi. « Cela débute par l’obtention de la preuve de décès auprès du directeur de l’État civil et se termine par la publication de l’avis de clôture du compte du liquidateur au registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM). » Cet important document confirme que la succession a pris fin et que le liquidateur est libéré de ses obligations. « Entre les deux, le liquidateur devra effectuer la recherche du dernier testament auprès de la Chambre des notaires et du Barreau du Québec, identifier les héritiers, fermer les comptes du défunt et en ouvrir un au nom de la succession, établir les biens et les dettes, obtenir des certificats fiscaux, etc. », énumère le notaire.
Vous pensez pouvoir sauter des étapes ? Mauvaise idée ! Elles doivent toutes être effectuées, et ce, dans un ordre précis, puisque procéder autrement pourrait porter préjudice aux héritiers et entraîner de fâcheuses conséquences pour la liquidatrice elle-même.
Pas moyen d’y échapper. Même si de prime abord la succession semble être un « cas simple » – un testament clair, un seul héritier et pas de dettes –, il faudra malgré tout mener à terme la totalité du processus.
Il est impensable, par exemple, de commencer à distribuer de l’argent ou des biens aux héritiers avant d’avoir établi le bilan officiel des avoirs et des dettes du défunt, appelé inventaire. « Si [cet exercice] n’a pas été effectué, les héritiers pourraient se trouver en mauvaise posture et être tenus personnellement responsables de dettes, même supérieures au legs reçu », explique Me Nathalène Chapuis.
Autre exemple qui fait réfléchir : après avoir produit les déclarations d’impôt du défunt et de la succession, puis payé les sommes dues, le liquidateur doit obtenir auprès des autorités fiscales les certificats prouvant que la personne décédée ne leur doit plus rien. En cas d’oubli, attention! « Si le liquidateur n’a pas en main ces quittances fiscales, il peut devoir verser lui-même les sommes toujours dues, plus les intérêts et pénalités, avant de les réclamer aux héritiers », indique la notaire. Ce qui signifie qu’il devra d’abord payer ces montants de sa poche.
En outre, un liquidateur qui fait preuve de négligence peut se voir démis de ses fonctions, si les héritiers en font la requête au tribunal. Il pourrait même être poursuivi s’il s’avère que la succession a perdu de l’argent par sa faute.
Me Chapuis note que de nombreux liquidateurs négligent non seulement la rédaction des actes requis, mais aussi leur publication. Ces démarches sont pour- tant indispensables pour que les personnes et organismes à qui le défunt devait de l’argent puissent vérifier que leur dette est inscrite dans l’inventaire. Si l’un d’entre eux sortait de nulle part pour réclamer son dû après la distribution des biens (le délai de prescription commence à courir après la publication de l’avis de clôture du compte de liquidateur, et ils ont trois ans pour se manifester), les héritiers risquent de ne pas trouver la chose très drôle. Pas de publication, pas de délai de prescription !
Par ailleurs, le liquidateur peut demander à la succession de rembourser tous les frais liés à sa charge, indique Me Marc-Antoine Bernier. D’où l’importance de conserver ses factures et preuves de paiement.
Rester humble
Me Nathalène Chapuis conseille fortement de rencontrer un notaire en début de processus pour s’assurer de partir du bon pied et de bien comprendre les différentes étapes. « La liquidatrice est la représentante officielle de la succession aux yeux de tous et elle doit bien s’entourer pour protéger la succession et les héritiers, mais aussi pour se prémunir contre des oublis éventuels », souligne-t-elle.
Selon la complexité de la tâche, il est aussi recommandé de se faire accompagner par un professionnel, aux frais de la succession, par exemple un comptable ou un fiscaliste pour voir aux aspects fiscaux, et par un notaire pour le volet juridique. « Pour maîtriser les frais, il est possible de requérir l’aide du notaire sur certains aspects uniquement, par exemple la rédaction de l’inventaire ou la préparation du projet de partage des biens, et d’effectuer d’autres tâches soi-même en fonction de son niveau d’aisance », affirme Me Chapuis.
Si le chantier semble titanesque, il vous est toujours possible de refuser d’être la liquidatrice même si votre nom est mentionné dans le testament. « D’ailleurs, si vous pensez manquer de temps pour vous acquitter de cette tâche, vous devriez dire non plutôt que d’accepter une charge qu’il vous sera difficile de remplir », note Me Bernier.
Le testament prévoit généralement un remplaçant au cas où la personne désignée initialement viendrait à se désister. En l’absence de cette mention, les autres héritiers détermineront qui reprendra le flambeau (ce sont également eux qui votent pour choisir un liquidateur lorsque le testament n’en mentionne aucun). Mais attention, si vous êtes à la fois la seule héritière et la liquidatrice, vous ne pourrez pas vous soustraire à votre tâche.
Savoir se faire comprendre
Le bon déroulement d’une liquidation exige aussi des habiletés sociales, estime Me Chapuis. « Je constate qu’il existe souvent un problème de communication entre le liquidateur et les héritiers. Ces derniers peuvent éprouver un certain ressentiment envers lui, par exemple si l’un d’entre eux souhaitait être désigné par la personne décédée, mais qu’il ne l’a pas été », dit-elle. C’est pourquoi effectuer un suivi régulier avec les héritiers et les tenir au courant de l’avancée du travail permet généralement de désamorcer les conflits potentiels et d’éviter les blocages.
Pour sa part, Geneviève recommande d’avancer un pas à la fois et de ne pas se décourager. Bien se renseigner est aussi la clé d’une liquidation réussie selon elle. « Dès qu’une personne apprend qu’elle a été nommée liquidatrice, elle devrait s’informer sans même attendre le décès sur le processus à suivre ainsi que sur ses obligations. Mieux vaut faire ses devoirs avant, car le jour venu, on sera en deuil et sous le coup de l’émotion », fait-elle valoir.
Bénévole ou pas ?
Le liquidateur a le droit de réclamer une rémunération s’il ne compte pas parmi les héritiers ou s’il est héritier à titre particulier (c’est-à-dire que le défunt lui lègue un bien précis). Plusieurs options sont possibles, comme une somme forfaitaire ou un taux horaire. «Si le testament ne prévoit pas [de compensation], les héritiers peuvent s’entendre sur un montant», dit Me Marc-Antoine Bernier.
Le légataire universel (le défunt lui a légué tous ses biens) ou à titre universel (le défunt lui a légué une partie de ses biens) qui a été désigné comme liquidateur ne peut pas, lui, exiger d’être rémunéré. Le légataire à titre universel peut toutefois en faire la demande aux autres héritiers.
Dans tous les cas, tout montant reçu doit être inclus dans la prochaine déclaration de revenus du liquidateur. Par conséquent, n’allez pas dépenser votre argent sans compter, car le fisc pourrait vous attendre dans le détour !
Ressources utiles
- Démarches à faire par le liquidateur : Gouvernement du Québec, gratuit.
- Le liquidateur : Éducaloi, gratuit.
- Succession – Prévoir pour partir l’esprit tranquille, Les Éditions Protégez-Vous en partenariat avec la Chambre des notaires et Éducaloi, 2023, 112 p., 12,95 $.