Entrevues

Martine Delvaux: l’amour filial au temps du féminisme

Dans son livre Le monde est à toi, l’écrivaine féministe Martine Delvaux revient sur l’éducation – légitimement imparfaite et taillée dans l’amour – de sa fille de 13 ans.

Photo: Valérie Lebrun

Photo: Valérie Lebrun

Vous n’avez jamais empêché votre fille de porter des diadèmes et des robes de princesse. En quoi ce geste-là est-il foncièrement féministe pour vous?

C’était son désir à elle; elle prenait plaisir à se costumer, à rêver. Les femmes doivent pouvoir faire leurs propres choix en ce qui concerne leur corps, et ça commence dès l’enfance. J’ai moi-même été une petite fille qui portait des voiles tout le temps. Ma mère m’a raconté que je voulais être «princesse-religieuse-infirmière». Quand j’ai vu que ma fille voulait porter des diadèmes, je me suis dit que c’était un peu la même chose. Ça ne me faisait pas peur.

Aujourd’hui, je deviens folle quand j’entends que les filles ne peuvent pas porter de camisoles à fines bretelles dans les écoles secondaires, alors qu’il fait très chaud. Le problème, ce n’est pas la fille, ce sont les regards autour d’elle.

 

Vous n’avez pas travaillé à faire de votre fille une féministe. Mais elle l’est quand même devenue: comment est-ce arrivé? 

C’est difficile de revenir sur les traces d’une éducation. Elle l’est sans doute devenue parce que j’ai essayé le plus possible de lui parler comme à un être humain qui a de la valeur. Je n’en ai pas fait un objet, je ne l’ai pas câlinée comme si c’était un chat. Le féminisme est là: dans le fait de donner une vraie place à son enfant. Si on se défend quand il nous dit qu’on a fait une connerie, on invalide sa vision du monde. Il faut accorder de la crédibilité à sa lecture des choses. C’est un exemple, mais je pense que ça s’est tricoté comme ça.

 

Votre fille apprend de vous, et vous apprenez d’elle. Cette idée de transmission mutuelle est vraiment au cœur de votre récit…

Absolument. Cet amour-là fait que c’est parfois elle, le guide. Elle m’a appris à avoir beaucoup d’humilité. Quand ma fille a commencé à lire, l’enseignante nous a donné une feuille avec des lettres toutes croches et nous a dit: c’est ce que vos enfants voient. Pour eux, c’est du charabia. Je n’ai jamais oublié ça. Dans cette capacité à se mettre à la place des autres, il y a du féminisme.

 

Vous écrivez: Être une mère féministe, c’est aussi s’assurer de mal élever. Qu’est-ce que vous avez voulu dire?

Le danger, quand on a des filles, c’est de verser dans tous les clichés qu’on leur colle à la peau. Je ne pense pas que j’exagère en affirmant qu’on s’attend encore à ce qu’elles soient polies, douces, souriantes. Or, si on insiste là-dessus, on les met dans une position de vulnérabilité, de prêtes-à-être-opprimées. C’est dangereux. On pouvait me le reprocher, mais je n’ai jamais obligé ma fille à faire un câlin à quelqu’un alors qu’elle ne le voulait pas. Je me disais: si je lui laisse entendre qu’elle doit le faire maintenant, qu’est-ce que ça va être quand elle aura 14, 18, 30 ans? On en demande beaucoup aux mères, mais aussi aux filles. Mal élever, c’est se dire: tu as le droit de hausser la voix, de péter les plombs, de te tromper, d’en échapper – d’être imparfaite.

 

Vous insistez beaucoup sur le fait que ce livre n’est pas un guide, ni un manifeste. Pourquoi?

Parce que je ne voulais pas qu’on m’accuse de tenir des propos idéologiques ou dogmatiques. Ce que je décris n’est pas un mode de vie mû par le désir de transmettre à ma fille une définition très précise de ce qu’est le féminisme. Ma démarche était plus sensible, plus poétique que ça.

lemondeestatoi

Le monde est à toi, Martine Delvaux, Héliotrope, Montréal, 2017, 152 pages

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