Entrevues

Noël en quête de sens

Entretien avec le théologien Xavier Gravend-Tirole.

On voudrait y échapper, mais on y revient toujours. Pourquoi ? Parce qu’on tient à cette fête, nous dit le jeune théologien Xavier Gravend-Tirole.

Fin décembre. Dans les commerces, les files s’étirent jusqu’en Patagonie, une version party mix abrutissante de Frosty the Snowman use les nerfs, on pense en soupirant au marathon de visites à venir, et là, au milieu d’un stationnement bondé, survient la question à 100 piastres : ça rime à quoi, fêter Noël ? Le petit Jésus dans sa crèche et les grandes tablées chez grand-mère, c’était hier. Comment redonner un sens à cette fête dans un Québec où les valeurs ont viré de bord ? Réflexions qui font du bien avec le jeune théologien québécois Xavier Gravend-Tirole.

Chaque année, sondages et études indiquent qu’une bonne partie des Québécois sont frustrés, stressés et déprimés à cause, entre autres, de la course aux cadeaux et de la carte de crédit qui surchauffe. A-t-on perdu le sens de Noël ? On a beau être nostalgique, je ne suis pas sûr que lorsque les églises étaient pleines et que nos familles se réunissaient chez l’aïeul, Noël avait forcément plus de sens. Que les gens le vivaient avec plus d’authenticité.

Que pensez-vous alors de la façon dont on vit cette fête aujourd’hui ? On se cherche. Les traditions évoluent tout le temps – on ne fêtait pas Noël au 16e siècle comme au Moyen Âge, ni au 19e siècle comme au 16e. C’est difficile à accepter car on est rassurés à l’idée que certaines choses traversent le temps, qu’on s’inscrit dans une lignée. Sauf que le changement s’opère quand même, petit à petit. Jusqu’au jour où les rites des générations précédentes ne nous font plus vibrer. On ne ressent plus rien en les observant. Alors voilà : la crise de sens actuelle vient en partie de notre difficulté à replonger dans nos lieux de mémoire. Pensons à la messe de minuit, par exemple. Beaucoup y assistent encore, même s’ils ne sont plus pratiquants. Ils s’accrochent à ce morceau du passé, bien que cette cérémonie n’ait plus vraiment de sens pour eux et qu’ils aient un peu le sentiment d’entrer dans un musée. La mémoire est là, mais elle n’est plus vivante.

Qu’est-ce qui explique ce changement ? C’est en partie attribuable au fait que, depuis des décennies, nos repères traditionnels sont bousculés par le contact avec de nombreuses cultures et religions. Comment célèbre-t-on Noël dans une société où se côtoient des gens de croyances diverses et d’autres qui ne croient en rien ? Avec la laïcisation, la fête finira peut-être par disparaître de nos calendriers mais, pour le moment et pour longtemps enc­ore, on continuera de vouloir la souligner parce qu’elle fait partie de notre histoire depuis des siècles. On ne peut pas faire semblant que c’est un jour comme un autre. De toute façon, les humains ont besoin de rituels pour structurer leurs jours, leurs semaines, leurs années. Partant de ça, chacun peut se demander comment s’y prendre pour que cette fête enrichisse sa vie. C’est positif que les Québécois souhaitent toujours trouver des manières de célébrer Noël qui leur parlent vraiment.

Les Québécois dépensent en moyenne près de 500 $ pour faire des présents à leurs proches… C’est trop ? Évidemment. C’est devenu obscène, démesuré. Ne serait-ce que sur le plan écolo­gique : la planète suffoque, on consomme trop. Mais de là à les éliminer… Je pense que les cadeaux peuvent avoir un sens. C’est un moyen de dire autrement qu’avec des mots l’affection que l’on porte aux autres. En autant que ça n’éclipse pas ce qui pour moi est au cœur des célébrations de Noël, qu’on soit croyant ou athée : les relations humaines. C’est un moment privilégié pour retrouver ceux qui nous sont chers.
À ce propos, l’an passé, j’ai décidé de passer Noël seul chez moi. Je voulais comprendre ce qu’on éprouve. Je l’ai vécu assez sereinement parce que c’était mon choix. Mais j’ai quand même goûté à l’amertume, à la nostalgie, à la tristesse. Je ne le referai pas cette année ! Noël est le soir de l’amour par excellence : il révèle l’envie d’aimer et d’être aimé, l’espoir d’un bonheur familial retrouvé. On a beaucoup d’attentes envers les gens qui nous sont chers ce jour-là. Et c’est particulièrement souffrant pour ceux dont le cocon s’est effrité. Leur solitude est encore plus aiguë.

Même si vous êtes croyant, cherchez-vous aussi un sens à Noël ? On serait porté à croire que votre foi vous en préserve… Pas du tout ! Avoir la foi ne signifie pas que tout est réglé. Au contraire, croire, c’est chercher, douter, être en quête. Oui, on entre dans une fidélité à un dieu. Mais ça ne signifie pas qu’on cesse de se poser des questions. C’est la même chose que dans une relation amoureuse. Un moine m’a déjà dit, pour illustrer qu’il n’était pas moins tourmenté qu’un autre : « Un moine, c’est quelqu’un qui se pose tous les jours la question “Qu’est-ce que c’est qu’un moine ?” »
Pour ma part, j’ai exploré toutes sortes de façons de vivre Noël. Fils de parents divorcés, j’ai connu les va-et-vient d’une famille à l’autre pendant les fêtes, la frénésie de la consommation, Noël avec des amis, Noël à servir la soupe populaire, Noël à faire du bénévolat auprès de travailleurs du sexe. Et encore aujourd’hui, j’ai besoin de me redemander : « Qu’est-ce que ça veut dire pour moi, ce moment de l’année ? » Je pense qu’on peut y trouver un sens dans le fait de s’entourer de ceux qu’on aime et d’aider ceux qui manquent d’amour.

Qui est Xavier Gravend-Tirole ?
Il rit souvent pendant l’entrevue – un rire qui résonne dans le monastère italien d’où il me parle via Skype. Chemise entrouverte, yeux clairs, teint basané, le Québécois de 36 ans a la beauté d’un jeune premier. Rien d’austère chez celui qui voulait se faire curé à 20 ans et qui se définit comme un « nouveau chrétien ». Le goût du sacerdoce lui a « complètement passé », dit-il en riant. Il achève maintenant un doctorat sur le métissage religieux en Inde. Il enseigne aussi à l’Institut religions, cultures, modernité de l’Université de Lausanne, en Suisse. Son parcours singulier a fait l’objet de plusieurs reportages depuis 15 ans à l’émission Second Regard (R.-C.). D’abord parce que les jeunes prêchant l’amour de Jésus ne courent pas les rues. Ensuite parce que ses idées détonnent : pour lui, les femmes et les gais devraient pouvoir devenir prêtres. Il qualifie aussi d’« incohérent » le discours de l’Église sur la sexualité et la contraception.  Au début de l’année, il a publié Lettres à Kateri, une correspondance fictive entre deux amoureux que la foi sépare. À lire pour saisir sa conception pas banale du christianisme.

Lettres à Kateri, par Xavier Gravend-tirole, Éditions Le Jour, 232 pages, 21,95 $ (papier), 16,99 $ (numérique)

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