Reportages

J’ai besoin d’un homme!

Y a-t-il trop de femmes en prison?

Un peu comme le débat sur la place des filles dans la police, le nombre accru d’agentes correctionnelles depuis le début des années 2000 suscite des questions quant à la sécurité.

Dans les prisons fédérales, le tiers des agents sont des femmes, et la proportion grimpe à 40 % dans les prisons provinciales. Résultat : il arrive que les filles soient entre elles lors de quarts de travail. « Ça m’écœure de l’admettre, mais j’ai vécu des situations où je regrettais l’absence de gars dans mon équipe », dit Isabelle Gratton, une ex-gardienne qui a passé 11 ans à la prison de Bordeaux.

Avec des consœurs, elle a déjà dû escorter un colosse incarcéré pour agressions sexuelles. « C’était tellement risqué que des prisonniers nous ont offert leur aide! » À son avis, le nombre de filles par quart de travail devrait être limité. Elles y ont leur place, bien sûr : quand Isabelle faisait partie du groupe d’élite chargé des interventions risquées, sa petite taille lui permettait de se faufiler dans des lieux exigus et lui conférait plus de flexibilité que ses collègues baraqués. « Mais la biologie impose des limites. Ce n’est pas du sexisme, c’est de la logique. »

Une bonne partie des gardiens abonde dans son sens. Une agente a même confié qu’elle songeait à quitter son poste, où elle ne se sent plus en sécurité. « Pour intervenir, ça prend parfois des bras, et là, il en manque », déplore-t-elle.

À lire aussi : depuis 30 ans qu’elles travaillent en prison, les filles en ont vu des vertes et des pas mûres.

Pourtant, tant du côté des prisons provinciales que fédérales, pas question d’imposer des quotas. « Les femmes sont aussi bien outillées que les hommes », soutient Johanne Beausoleil, première gardienne à accéder au poste de sous-ministre associée à la Direction générale des services correctionnels du Québec. Tous apprennent à se servir d’une arme à feu et du poivre de Cayenne et à maîtriser des techniques d’arts martiaux.

« Je n’ai jamais vu une fille partir en courant quand la situation se corse », dit Yan Garneau, gardien à Donnacona depuis 10 ans. « C’est le sens de l’observation et l’intérêt pour son travail qui font la compétence d’un agent, peu importe le sexe, pense aussi Pierre Dumont. Mais bon, je ne confierai pas un bouclier antiémeute de 100 livres à une fille qui en pèse 130… »

« Les craintes vis-à-vis des gardiennes n’ont pas de fondement scientifique, affirme Joane Martel, professeure de criminologie à l’École de service social de l’Université Laval. Ce ne sont que des perceptions. » Au contraire, nombre d’agents expérimentés confirment que les femmes sont aussi efficaces. De toute façon, les interventions musclées sont peu fréquentes, et d’habitude, elles se font en équipe. « Les gestes sont réglés telle une chorégraphie. La force physique compte moins que la synchronisation. »

Valérie Préseault, responsable des études de premier cycle à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, est tout de même tracassée par la féminisation des autres postes en prison. Dans plusieurs établissements, dont la Montée Saint-François, à Laval, il n’y a pas d’homme agent de libération conditionnelle, par exemple. Et pour cause : sur les bancs de l’École de criminologie, d’où est issue une bonne partie des intervenants en milieu carcéral, 90 % des étudiants portent la jupe. « Il faut des notes presque aussi bonnes qu’en médecine pour rentrer dans ce programme, et les filles sont meilleures à l’école. »

L’heure est venue de réserver des places aux garçons à l’université. « C’est mon cheval de bataille. Le déséquilibre est trop important. Les prisonniers ont besoin de modèles masculins positifs, eux qui ont souvent été traumatisés par des pères violents ou indifférents, dit l’ex-agente de libération conditionnelle. Ils ont besoin d’entendre de la bouche d’un gars que ça n’a pas de sens de traiter une fille de salope, par exemple. Quand une femme le leur dit, ça n’a pas le même impact. »

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